Prise d’initiative ukrainienne même si je ne suis pas sûr qu’il s’agisse de l’effort principal de la grande offensive. Quelques gains ont été obtenus qui peuvent peut-être donner des suites.
Déroulé des opérations
Les Ukrainiens ont poursuivi leur harcèlement dans la profondeur (Crimée, Moscou, villes russes). Les Russes également (Odessa, Dniepro).
Secteur sud : Sur le tronçon ouest de Kamianske, légère progression ukrainienne dans la zone grise à l’est de la ville. Les tentatives de progresser depuis Piatkatky ont été repoussées Tronçon d’Orikhiv : Progression intéressante des Ukrainiens à l’est de Robotyne, en direction de l’est-sud-est, jusqu’à proximité de la première ligne de défense russe, au prix de pertes élevées (dont 2 10 RC et 3 CV 90, pour les matériels européens notables). Renforcements russes depuis Verbove avec quelques reprises de terrain. Tronçon de Grand Novosilka, Prise ukrainienne de Saromaiorske, même si les Russes ont relancé l’action en fin de semaine et auraient peut-être repris les faubourgs sud du village. Le village limitrophe d’Urozaine est pressé de trois côtés par les Ukrainiens, il devrait logiquement tomber. Tronçon de Vouhledar : rien à signaler.
Secteur centre, tronçon Donetsk : sans changement à Marinka et Avdiivka. Tronçon de Bakhmout : Klichkivka demeure étonnamment russe alors que les Ukrainiens étaient entrés dans les lisières sud du village et que je m’attendais à ce qu’il passe sous leur contrôle. Pas de changement sur le reste du secteur de Bakhmout.
Secteur nord, tronçon de Kreminna : pas de changement sinon une minuscule avancée au nord de Kreminna, à hauteur de Zhytlivka. Tronçon de Svatove : les Russes ont pris une tête de pont par-delà la Zherebets à hauteur de Karmazynivka (jusqu’à Novojehorivka, soit 5 km, Nadia incertain), une deuxième tête de pont a été établie 3 km au nord à hauteur de Raihorodka, les deux se seraient rejointes. Tronçon de Koupiansk : poursuite des combats, sans changement de ligne.
Analyse militaire
La semaine avait démarré en trombe avec des attaques un peu partout et elle se termine avec certes de légères progressions de part et d’autre mais rien qui donne l’impression de changer le cours de la guerre ni même de la campagne d’été. Je me disais en début de semaine que nous assistions peut-être à l’effort principal des Ukrainiens, au vu de la concentration et de la simultanéité des poussées mais aussi des moyens engagés (et des pertes consenties), je me dis en fin de semaine que cela n’est pas ça.
Les Ukrainiens ont certes obtenu des progrès : si la prise de Saromaiorske est la plus visible (le village était leur objectif depuis six semaines), le plus important me paraît être la progression au sud-est d’Orikhiv, dans la direction de Verbove. Cette position en effet se trouve à portée la première ligne de défense russe (car jusqu’à présent, les Ukrainiens butent sur le rideau avancé du dispositif russe) qui permettrait, éventuellement s’il était percé, de tourner vers Tokmak, gros point d’appui russe très fortifié et retranché. En ce 30 juillet, arriver aux abords de Tokmak semble le seul objectif atteignable des Ukrainiens avant la fin de l’été : il permettrait de nettoyer la zone au sud du Dniepr et de Kamianske. Ce serait bien sûr bien moins que ce dont certains rêvaient, mais constituerait malgré tout une bonne base de départ pour les opérations à venir cet automne, cet hiver ou en 2024 (car désormais, chacun s’attend à une guerre longue).
Aussi n’est-il pas surprenant d’avoir vu l’essentiel des efforts ukrainiens se situer dans ce secteur. Il semble qu’une brigade ait été engagée (avec donc deux brigades d’appui, prêtes à exploiter). C’est ce volume de forces qui m’a posé les questions que je signalais au début : effort principal ou, encore, préparation ? Il est sûr que si le premier échelon avait percé, les Ukrainiens étaient prêts à engager le deuxième échelon en exploitation. Mais malgré la progression, les Russes ont tenu même s’ils ont cédé localement. Cela signifie-t-il que l’usure commence à se faire sentir ? c’est tout à fait possible même si les certitudes de certains, clamées haut et fort, restent évidemment sujettes à caution. Mais leur objectif est plus de mobiliser les esprits que d’expliquer. Chacun son métier.
A écouter les Russes, on les sent plus préoccupés de ce qui se passe sur le front méridional que dans le Donbass où, pourtant, ils intensifient officiellement leurs efforts et obtiendraient des résultats. Alors pourtant qu’il se passe des choses. Aux alentours de Bakhmout, je m’attendais à la prise de Klichkivka. Dans le même temps, j’observais la préparation d’artillerie sur le nord du saillant russe, vers Sako et Vanzeti (même si les lignes de défense russes au nord de Soledar paraissent établies et fortifiées). Il y avait une certaine logique à voir les Ukrainiens tenter d’encercler la ville. A tout le moins les voyais-je pousser au sud pour atteindre la route 513 qui approvisionne Bakhmout depuis le sud. Il y a certes une pression, mais rien de déterminant. Il est vrai que l’attention ukrainienne était portée ailleurs, en offensive au sud, en défensive au nord.
Mais alors, les Russes auraient dû en profiter et pousser hardiment au nord : l’observateur voit au moins deux manœuvres possibles : réduire les positions ukrainiennes à l’ouest de Kreminna pour tenter de combler le saillant de Siversk ; ou alors, plus au nord, repousser les Ukrainiens d’abord sur la Zherebets puis sur l’Oskil. Or s’il y a bien une pression, rien de vraiment déterminant. Pourtant, un vice-ministre ukrainien nous a expliqué qu’il y avait 1000 chars et 100.000 hommes dans la zone, ce qui était évidemment exagéré. Alors pourtant qu’il y a eu des avancées, les Russes n’en font curieusement pas des tonnes et on n’a quasiment aucune photo ou vidéo. Et surtout, alors qu’il y a des percées, les Russes ne tentent aucune exploitation : parce qu’ils ne le veulent pas ou qu’ils ne le peuvent pas ? (les deux raisons sont valables).
Autrement dit, l’observateur que je suis a l’impression qu’on est au poker menteur et que chacun tente de manipuler l’autre à coup d’attaques soigneusement mesurées et de déclarations péremptoires. Pour ma part, j’ai du mal à me faire une idée du bilan de la semaine : légère progression russe vers Svatove, légère progression ukrainienne à Grand Novosilka et vers Orikhiv. Est-ce tout ?
Analyse politique
Moscou a organisé une sommet « Russie Afrique » : 19 chefs d’Etat s’étaient déplacés, bien moins que les 47 du premier sommet de 2019. Les circonstances ont changé. Les commentaires sont partagés : les uns affirment que Moscou est isolé, d’autres qu’au contraire, malgré la guerre la Russie réussit à réunir des hôtes de marque. Pour nous, ce n’est pas une réussite extraordinaire même si ce n’est pas nul.
La petite musique de la négociation s’est poursuivie cette semaine : on signalera ainsi les articles du Moscow time (ici), du Washington post (ici) ou du Time (ici) qui la fredonnent. Mais dès lors, quels pourraient être les paramètres de la négociation ?
Plus personne ne propose de scénario de « victoire complète » de la part des Ukrainiens ou des Russes. Déjà, nous ne savons pas ce que signifie « victoire » (et de plus les objectifs de guerre ont probablement évolué des deux côtés par rapport au 24 février 2022). Même avec une poursuite des hostilités, je ne vois pas de progression conséquente des Ukrainiens ni des Russes. Les territoires tenus devraient rester proches de ceux qu’on observe aujourd’hui. Ce sont en tout cas les conditions d’une négociation cet été ou cet automne : cela signifierait que les deux parties souhaitent arrêter les hostilités et ne pas poursuivre le conflit en 2024 et au-delà. Rien ne le garantit.
Dans ce cadre espace-temps restreint, la plupart des hypothèses partent d’une stabilisation de la ligne de front actuelle. Il y aurait dès lors :
- Dans tous les cas, affirmation de garanties de sécurité données par les Occidentaux à l’Ukraine, ainsi que d’un plan financier et économique de reconstruction. C’est déjà sur la table.
- Un scénario à la coréenne (cessez-le-feu dont la durée reste aléatoire).
- Un traité proprement dit (plus de garanties réciproques et horizon de temps plus long).
- A défaut, les deux parties poursuivent le combat.
Tout dépend bien sûr de l’appétence des deux parties à négocier. Aujourd’hui, rien ne la laisse entrevoir. Mais nous ignorons ce qui se déroule en coulisses. C’est le travail des diplomates. Attendons : ce n’est peut-être que de la musique…
A la semaine prochaine.
OK
On peut contester les évaluations.
D’abord il me semble qu’on ne peut comparer les « harcèlements » en profondeur. Ceux des Ukrainiens concernent quelques tirs de précision dans les zones proches, avec des succès militaires manifestes facilitant l’offensive, plus quelques symboliques attaques terroristes de drones en Russie soit sans effets (ils sont tous abattus) soit sans conséquences (peu de dégâts). Ceux des Russes correspondent à une dévastation méthodique et massive des infrastructures industrielles et militaires dans toute l’Ukraine. Missiles et bombes planantes invulnérables, et drones Geran (dont certains sont abattus, certes, mais pas tous). Cette semaine, les infrastructures portuaires ukrainiennes finissent d’être entièrement mises hors d’usage !
Ensuite, mais on en parle ici, l’offensive semble continuer avec « mise du paquet », ce qui se traduit par des pertes massives de matériel, toujours sans pratiquement toucher la première ligne de défense. Les fameux villages de Staromayorsk (et même de Klischiievka, plus loin) changent de main plusieurs fois par semaine sans que les furieux assauts ukrainiens ne réussissent, ni ne cessent… La presse anglo saxonne se désespère, combien de temps l’écrasement contre le mur (plutôt que la « percée limitée » ou même le « martellement » suggérés par certains) pourra-t-il durer ?
Pendant ce temps, une offensive russe pépère avance inexorablement au nord est et semble commencer à inquiéter les Ukrainiens. Sa lenteur n’est pas due à l’efficacité d’une défense préparée contre des attaques suicides, ou par une tiédeur incompétente, mais par (c’est une suggestion) les contraintes de l’art militaire en présence des drones d’observation et d’attaques qui ont révolutionné tout l’art de la manoeuvre. La zone de contact entre les forces est beaucoup plus étendue, et beaucoup plus dangereuse surtout si on manque de chair à canon. On peut ainsi penser que ce qui se passe en ce moment en Ukraine est du jamais vu et échappe complètement aux militaires formés à l’ancienne en Occident.
Malgré l’apparence stable du front, des combats intenses et meurtriers ont lieu tous les jours, avec espérances d’écroulement de l’adversaire de part et d’autre. Tout va dépendre, et il se pourrait que cela se décide cet été, de l’engagement et de la mise à profit des forces en réserve, les Russes se préparant pour une nouvelle mobilisation au cas où. Les Ukrainiens, qui ont clairement raté leur percée vont-ils continuer en consommant aussi le deuxième échelon ou se retirer et construire une vraie ligne de défense, ce qu’ils auraient dû faire depuis longtemps ?
« La zone de contact entre les forces est beaucoup plus étendue, et beaucoup plus dangereuse surtout si on manque de chair à canon. On peut ainsi penser que ce qui se passe en ce moment en Ukraine est du jamais vu et échappe complètement aux militaires formés à l’ancienne en Occident. »
En 1990, dans mon DQM, j’expliquai que la révolution de la précision changeait considérablement la donne en termes de tactique notamment lors de combat du faible au fort. Aujourd’hui, j’ai soulignais que l’apparition des drones personnels engendrait de nouvelles tactiques de combat d’infanterie en permettant, par exemple, à un opérateur abrité de diriger un binôme d’infanterie. Opération rendue possible non seulement grâce aux drones mais aussi à l’amélioration des équipements de communication individuelle. On a vu, aussi des équipages de chars se servir de drone pour aller observer au-delà de la crête voire pour guider des tirs courbes…
Et oui ! On entend trop peu parler (faute de compétences, d’expérience ou d’imagination) de cet aspect des choses, sans doute essentiel à la compréhension de ce qui se passe en ce moment en Ukraine.
Il y aurait des milliers de drones consommés par mois !
Sans parler d’une guerre électronique intense à base de désactivation par émission de contre signaux de toutes les télécoms, y compris les contrôles de drones, des satellites, Starlink et GPS compris. L’ampleur et la couverture de ces dispositifs reste à évaluer cependant, avec la progression de leurs utilisations.
Car produire en masse les dispositifs techniques correspondants est essentiel à ce (nouveau) type de guerre. Il n’y a d’opérations militaires de ce niveau qu’assises sur une industrie capable de produire à flot continu les armes nécessaires et à s’adapter en permanence aux situations produites.
Tout ceci pour poser la question: l’OTAN a-t-il les moyens de soutenir cette guerre ?