Guerre israélo-palestinienne : Synthèse stratégique n°1
Le lancement de l’offensive du Hamas à l’aube du samedi 7 octobre a non seulement surpris le monde entier mais replacé le conflit israélo-palestinien au-devant de la scène. Cette première synthèse évoquera les opérations, l’analyse militaire, politique puis géopolitique.
Opérations militaires
A l’aube du 7 octobre 2023, le Hamas a lancé une offensive de grande ampleur à partir de la bande de Gaza. De multiples infiltrations ont été conduites : par air (ULM et parapentes), par mer et surtout par terre. Ainsi, des drones ont été utilisés pour jeter des grenades et explosifs sur les tours d’observation israéliennes, les désactivant. Dans la foulée, des bulldozers ont ouvert de nombreux passages dans la barrière qui entourait la bande et les escouades des combattants (plusieurs centaines) du Hamas se sont infiltrés en nombre (à moto ou en véhicule). Selon les sources, de 7 à 22 points de passage auraient été ouverts dans la clôture militaire.
Simultanément, une attaque massive d’artillerie a été lancée depuis la bande de Gaza. Certaines sources annoncent jusqu’à 5000 obus ou missiles tirés, auxquels s’ajouteraient des drones et munitions téléopérées. La soudaineté de l’attaque a surpris les Israéliens, aussi bien les unités militaires que les dispositifs automatiques de surveillance (caméras de surveillance ou défense anti-missile Dôme de fer). De même, la diversité et la simultanéité des points d’entrée a empêché de mettre en œuvre les procédures envisagées de concentration des efforts. La dispersion des actions a accentué la surprise initiale.
Enfin, les unités du Hamas se sont engagées assez loin dans le territoire israélien, jusqu’à 25 km de la frontière, installant une désorganisation dans l’ensemble de la zone de contact. A la surprise s’est ajoutée l’effroi avec de nombreuses exactions et violences, contre les personnes et les biens : les agresseurs cherchaient à répandre la terreur en tuant les civils dans les villages qu’ils investissaient. La volonté de semer le chaos était manifeste. L’observateur repère ici une méthode de « shock and awe » (choc et effroi). Dans le cas présent, la recherche de la sidération a été essentielle avec des méthodes terroristes.
Le bilan est, au bout de 36 h, très lourd. Des obus sont arrivés sur les villes d’Ashkelon, Tel Aviv et même Jérusalem. Au matin du 8, des combats se poursuivaient dans 22 localités israéliennes, huit à la mi-journée, cinq à six encore le 9 au matin. Les médias israéliens parlent de 700 morts (dont au moins 26 soldats) et 3000 blessés. Plusieurs engins blindés auraient été détruits ou endommagés, y compris des chars Merkava. Les Palestiniens auraient réussi à prendre au moins 150 otages, peut-être plus, de toute qualité (hommes, femmes, enfants, vieillards et aussi soldats). Les représailles israéliennes ont également causé un bilan conséquent : De nombreux immeubles détruits dans la bande de Gaza, plus de 400 morts et plus de 2300 blessés. Ces bilans ne sont que des estimations et devraient s’aggraver dans les heures et jours à venir. Pour mémoire, la population israélienne s’élève à 9,5 Mh, la bande de Gaza comptant 2,1 Mh.
Analyse militaire
Le premier mot qui vient à l’esprit est celui de surprise. C’est d’abord cet effet militaire qui a été recherché, condition essentielle de la liberté d’action, premier principe stratégique. L’initiative a été du côté du Hamas et la réaction israélienne montre que l’adaptation a peiné à se mettre en place. Certes, des contre-bombardements ont été rapidement opérés tout comme l’envoi d’unités militaires mais la reprise de contrôle de la zone paraît malaisée. Les autorités de Tel Aviv ont ainsi décidé d’évacuer la population des zones limitrophes de la bande de Gaza, mesure de prudence qui ne témoigne pas d’une grande sérénité.
Le déclenchement de l’opération se fait un samedi matin (le shabbat est chômé en Israël) qui plus est particulièrement férié puisqu’il s’agit de la fête de Yom Kippour. Les conditions de la surprise étaient là, permettant de plus une charge symbolique évidente, 50 ans exactement après le déclenchement de la « première » guerre du Kippour.
Cette surprise illustre tout d’abord la capacité du Hamas à organiser une opération d’une telle ampleur dans un secret absolu. Cette opération a été programmée et organisée durant de longs mois, probablement même des années. Il a fallu planifier en détail, organiser les conditions logistiques d’approvisionnement en arme et matériel dédié, prévoir les combinaisons d’effets. Ceci démontre une très grande capacité de planification. Pour l’observateur, le plus étonnant est que rien n’ait filtré. Cette capacité à tenir le secret était une condition essentielle du succès de l’opération. C’est peut-être ce qui impressionne vraiment, plus que la conduite proprement dite.
Cela démontre en premier lieu l’échec du renseignement israélien, noté par de nombreux observateurs. On peut d’ores et déjà conjecturer plusieurs causes. D’une part, une adaptation du Hamas qui a probablement modifié ses pratiques, se défiant notamment de tout ce qui est électronique où l’avantage est évidemment du côté du Mossad. Le retour à des messages manuscrits ou même des messagers oraux fait probablement partie des techniques employées de « sécurité de l’information » (Secops), côté Hamas. D’autre part, la confiance du renseignement israélien (comme beaucoup de services occidentaux) envers un renseignement technique, renforcé par les moyens d’analyse les plus modernes (IA). Simultanément, le Mossad a dû avoir du mal à renouveler ses sources humaines (le contre-espionnage du Hamas a dû être efficace), sans même parler de l’équilibre entre ROHUM et rens technique dont nous ne savons rien. La dernière cause gît probablement ailleurs : un renseignement n’est valable que s’il est écouté par le décideur politique. Force est de reconnaître que bien des échecs des dernières décennies, attribués au « renseignement », viennent en fait de la surdité du niveau politique qui, pour de multiples raisons, ne veut pas entendre ce qui vient contrecarrer ses options. Il est possible que ce phénomène ait joué en Israël, certaines sources le laissent déjà entendre.
La conclusion est cependant limpide : pour cette opération, le renseignement israélien a failli. Sa supériorité légendaire a été mise en échec. C’est un succès psychologique pour le Hamas.
La mise en œuvre de procédés innovants frappe également l’observateur. L’initiative tactique (combinaison des assauts sur divers milieux, utilisation de moyens low cost mais innovants, dispersion des actions, usage massif des feux indirects) renvoie à des modalités qui ont déjà été observées dans d’autres conflits, y compris l’Ukraine. La dissymétrie de puissance initiale a été contrecarrée par une initiative tactique qui a donné au Hamas un succès initial. Notons que les Israéliens n’ont même pas décelé les concentrations initiales de force dans la nuit de samedi et que certaines unités n’étaient visiblement pas prêtes au combat, comme si le sentiment de supériorité avait induit un sentiment de sécurité qui a abaissé les mesures de prudence. Mais au-delà de ce qui se passe sur le terrain, c’est un autre mythe que l’organisation gazaouie a réussi à écorner : celui de l’invincibilité militaire d’Israël.
Israël va évidemment réagir, durement. Les représailles ont déjà commencé. Il va falloir dans un premier temps reprendre le contrôle des zones limitrophes de la bande de Gaza où opèrent encore un certain nombre de combattants du Hamas. Cela devrait être terminé dans les heures qui viennent. Tsahal passera ensuite à une phase de sécurisation : bouclage de la zone, rétablissement des clôtures, renforcement du dispositif de surveillance, le tout avec des coups portés à l’intérieur de la bande de Gaza. La troisième phase sera certainement la plus longue : celle d’un conflit enraciné, Israël ayant l’obsession de récupérer ses otages, ces derniers étant évidemment disséminés dans toute la bande de Gaza, certains placés sur les dépôts d’armes ou les centres de commandement, de façon à être de facto des boucliers humains. Vu leur nombre, une opération de vive force paraît improbable.
Analyse politique
Ce conflit n’est pas un conflit international. Il faut donc d’abord construire une analyse de la situation politique intérieure des deux parties.
Du côté israélien, la situation politique intérieure était hautement volatile. Le gouvernement de B. Netanyahou, issu des dernières élections, était massivement contesté depuis dix mois avec de grandes manifestations se tenant régulièrement dans le pays et des appels à la désobéissance civile. Autrement dit, le pays connaissait une crise politique fondamentale, s’interrogeant sur ses principes fondamentaux. B. Netanyahou a proposé dès dimanche un gouvernement d’union nationale. Les partis d’opposition ne l’ont pas rejoint, à ma connaissance. Si l’ensemble de la population et des partis politiques soutiendra la réaction militaire, il n’est pas du tout évident que cette union sacrée se traduira en termes politiques. Il est ici frappant de lire beaucoup de réactions civiles manifestant leur défiance et leur colère envers l’état-major et le gouvernement, même s’il y a un soutien évident aux représailles. La résurgence du problème palestinien et la question des otages vont peser très lourdement sur la vie politique israélienne au cours des mois à venir. B. Netanyahou, qui était déjà très controversé, paraît encore plus fragilisé par ce qui vient de se passer.
Du côté palestinien, la situation est tout aussi indécise. L’autorité palestinienne (AP), mise en place à la suite des accords d’Oslo, ne pèse désormais plus sur le cours des choses. Les dernières élections ont eu lieu en 2006, M. Abbas à 88 ans, le gouvernement est corrompu au plus haut point. La rue palestinienne ne lui fait plus confiance et il est symptomatique qu’il n’y ait eu aucune déclaration (à ma connaissance, hormis la demande d’une réunion de la Ligue arabe). Ceci explique pourquoi le Hamas est désormais populaire : il ne tient pas seulement Gaza (avec le Jihad islamique) mais il est désormais très influent en Cisjordanie. Il va d’ailleurs falloir observer ce qui se passe dans les territoires occupés. Mais l’offensive du Hamas met directement en cause non seulement la légitimité de l’Autorité palestinienne, mais presque sa légalité. Or, personne ne sait par quoi la remplacer puisque la solution à deux Etats est désormais disparue et que le processus qui a mené à l’installation de l’AP est totalement obsolète.
Analyse géopolitique
Quels sont les buts de guerre du Hamas ? Il veut, par cette opération, remettre la question palestinienne au centre des débats. Celle-ci était en train d’être mise sous le boisseau, « par pertes et profits ». Chacun constatait l’échec du processus d’Oslo initié il y a trente ans et plus personne ne voulait vraiment s’investir dans la résolution du problème et l’organisation de la coexistence de deux peuples sur le même territoire. Les Américains ne s’y investissaient plus, les Européens se contentaient de financer l’AP et Israël menait une politique de régularisation avec ses voisins. Les accords d’Abraham, soutenus par Trump, mettaient en place en 2020 des traités de paix avec Bahreïn et les Emirats. Des accords connexes sont établis dans la foulée avec le Soudan et le Maroc. Enfin, depuis quelques mois, des négociations discrètes étaient menés entre Tel Aviv et Riyad. Il est probable que l’offensive du Hamas va mettre un terme temporaire à cette normalisation avec l’Arabie Séoudite. La question palestinienne, passée sous silence (LV 210), revient donc bruyamment sur le devant de la scène. Les otages pris par le Hamas feront qu’elle ne disparaîtra pas de sitôt.
Car voici les buts dans la guerre : Il s’agit tout d’abord d’infliger des pertes aux Israéliens, (civiles et militaires : les victimes civiles sont délibérément recherchées pour marquer la population, la terroriser au sens premier). Il faut casser le mythe de l’invincibilité israélienne, aussi bien dans le domaine du renseignement que dans le domaine militaire. Il s’agit ensuite de prendre un nombre conséquent d’otages de façon que le conflit dure et que la question palestinienne reste centrale. Autant la première phase sera courte (trois ou quatre jours), autant la deuxième phase sera longue (mois ou années). Il s’agit enfin de forcer à des négociations grâce au rapport de forces établi.
Notons que le gouvernement israélien a déclaré la guerre au Hamas. Celui-ci n’est évidemment pas un Etat mais en étant désigné comme l’ennemi par Tel Aviv, il est de facto légitimé aux yeux de sa propre population.
La question des soutiens internationaux se pose. Beaucoup évoquent un soutien iranien : s’il y a soutien politique, évidemment, pourtant la question du soutien technique reste posée. Beaucoup l’affirment mais on n’a pas d’indice. De même, le Hezbollah a déclaré un soutien politique et tiré quelques roquettes sur une petite zone du Golan. Il a son propre ordre du jour national et n’ira pas plus loin qu’un soutien symbolique. C’est pourquoi je ne crois pas à une extension internationale du conflit.
Pour autant, politiquement, le retour de la question palestinienne va rebattre les cartes diplomatiques de la région. L’Arabie Séoudite ne devrait pas poursuivre en l’état ses négociations avec Israël, à la grande satisfaction de Téhéran qui s’est réconcilié avec Riyad l’an dernier. Autrement dit, alors que ces dernières années l’Iran constituait le principal dossier du Proche- et du Moyen-Orient, le brutal retour de la question palestinienne change la donne diplomatique.
Il est sûr en tout cas que nous en entendrons parler encore de longues semaines.
OK
Voilà une analyse qui conforte LFI dans son obstination à nier l’acte terroriste… Si en plus tu parles de « Enfin, les unités du Hamas se sont engagées assez loin dans le territoire palestinien, jusqu’à 25 km de la frontière, installant une désorganisation dans l’ensemble de la zone de contact. » Les Israéliens vont te répondre que c’est le territoire d’Israël qui a été attaqué.
Petit détail technique, ce sont avant tout les tours supportant les relais hertziens mais aussi les systèmes de communications numériques militaires et civils (les antennes GSM) qui ont été visés en premeir…
Oui, j’ai corrigé, avancée dans le territoire israélien, bien sûr. My take. Merci du signalement