Bilan hebdomadaire n° 86 du 28 avril 2024 (guerre d’Ukraine)

La Russie a repris ses avancées avec des cessions ukrainiennes localisées mais inquiétantes. Une course contre le temps est ouverte après le vote de l’aide américaine. La question des négociations revient dans l’actualité.

Source Pouletvolant (ici)

Déroulé des opérations militaires

Frappes de longue portée :

Les Russes poursuivent leurs frappes dans la profondeur notamment sur le système électrique ukrainien qui est sous tension (sans jeu de mot).

Front sud : Pour mémoire, les Ukrainiens seraient toujours sur la rive gauche du Dniepr à Kinsky. Dans le secteur de Robotyne, les Russes poursuivent leur lent grignotage sans réussir à prendre la localité. Un peu plus à l’est, quelques pressions sur les localités de Staromaioske et Urozhaine.

Front de Donetsk. Celui où les plus grands changements ont été observés.

Au sud, les Russes auraient finalement pris tout Novomykhailivka. Ils sont désormais à portée de canon de Kostantinyivka qui tient la route d‘approvisionnement vers Vouhledar. Un peu plus au nord, à hauteur de Marinka, légère avancée vers le village de Heorhhivka. Un peu plus au nord, sur la ligne de crête, le village de Krasnohorivka est disputé. Encore plus au nord, en limite méridionale du secteur d’Avidivka, Pervomaiske est pris par les Russes.

Le secteur d’Avdivka a connu le plus d’avancée russe. Au sud, les Ukrainiens sont repoussés 5 km à l’ouest de Tonenke, en manœuvre rétrograde mais contrôlée jusqu’aux réservoirs de Vodiana.

Mais c’est au nord que les choses ont le plus bougé : les Russes ont en effet localement percé en progressant le long de la voie ferrée et en conquérant Ocheretyne, profitant d’une relève mal effectuée entre deux brigades ukrainiennes. Cela a déséquilibré l’ensemble de la zone. Au sud, les Russes ont donc pris la totalité de de Soloviove, Berdychi, de Semenika. Les Ukrainiens sont forcés de céder le terrain et de reculer jusqu’à leur prochaine ligne d’arrêt, à hauteur de la rivière Vovotcha. Mais au nord de ce secteur, la percée d’Orochetyne aurait aussi permis aux Russes de progresser en prenant les localités de Novokalynove et de Keramik. Pas de changement entre Donetsk et Bakhmout.

Front de Bakhmout : Après une pause opérationnelle, les Russes ont repris leur poussée. Ils auraient avancé au nord-ouest d’Ivanivske, étant à proximité d’une des portions du canal qui est enterrée : pas besoin de pont dans ce secteur. Un peu plus loin, la pression se fait sur les premiers quartiers de Chasiv Yar, tandis que Bogdanivka est entièrement sous leurs mains.

Dans le secteur de Siversk, rien de notable à signaler

Front de Svatove/Koupiansk. Depuis trois jours, reprise d’activité. Les Russes auraient franchi la voie ferrée à hauteur de Kyslivka.

Front de Kharkiv : Rien à signaler

Analyse militaire

Alors qu’au cours du mois de mars, les Russes ne progressaient que d’une quinzaine de km² chaque semaine, ils ont intensifié leur poussée au cours de ce mois d’avril : 29,8 km² en semaine 15, 23,6 km² en semaine 16 et 26,7 km² cette semaine, soit 80 km² en trois semaines. Nous étions habitués à 2 km² de progression quotidienne, le rythme est passé à près de 4 km² par jour.

Nous nous étions interrogés sur la sorte de pause opérationnelle du mois de mars. Elle a visiblement cessé. Les Ukrainiens ont perdu non seulement l’initiative mais sont obligés cette fois-ci de céder. L’optimiste trouvera qu’Avdivka étant tombé le 17 février, les Ukrainiens auront réussi à résister deux mois sur la ligne intermédiaire à l’ouest de la ville. Le pessimiste s’inquiètera des circonstances et du sentiment d’accélération de l’érosion.

En effet, cette offensive printanière intervient après six mois de bombardements intensifs de la part des Russes. Ceux-ci progressent même s’ils laissent beaucoup de matériel sur le terrain. Malgré les commentaires des uns ou des autres, je ne sais donc pas qui subit le plus d’attrition.

Observons dès lors ce qui se passe sur le terrain : les Ukrainiens ne semblent plus avoir beaucoup de réserves et semblent envoyer au front les dernières troupes disponibles. Cela expliquerait ainsi le revers d’Orechetyne. Il est donc probable qu’à court terme, les Russes vont pousser plein ouest vers la rivière Vovotcha où les Ukrainiens ont, semble-t-il, installé leur prochaine ligne d’arrêt.

Il reste qu’à mon sens, le danger principal pour Kiev ne réside pas là. En effet, la prise d’Orochetyne entraîne celle de Keramik et ouvre donc les arrières de NiuYork, au large d’Horlivka. Les Ukrainiens ne semblent pas avoir beaucoup de troupes dans cette zone. Les Russes ont donc l’opportunité de pousser plein nord avec deux options : soit le long de la nationale H20, soit un peu plus à l’ouest dans un trou mal défendu, entre Novooleksandrivka et Kalynove, en direction de Orleksandropil et au-delà de Kostantynivka. Cette bourgade tient l’arrière de Chasiv Yar. Une telle manœuvre déstabiliserait l’ensemble du dispositif ukrainien.

Rien ne dit que les Russes en soient capables : leurs récentes actions démontrent que la manœuvre n’est pas à l’ordre du jour. Mais avec une poussée continue et des écroulements ukrainiens localisés, des avancées sont possibles, On notera ainsi qu’une division blindée russe se tient prête à intervenir en arrière d’Avdivka : il faut la surveiller avec attention.

Analyse politique

La grande affaire depuis trois semaines a été le vote par le Congrès américain d’un paquet d’aide d’environ 60 milliards de dollars. Aussi bien J. Biden que D. Trump ont considéré que pendant la campagne électorale américaine, l’Ukraine ne pouvait pas s’écrouler. Il faut donc considérer cette aide comme une bouée de sauvetage. Elle n’est pas destinée à renverser le cours des choses, simplement à aider les Ukrainiens à résister. Cela étant, elle est significative. J’ai ainsi lu le chiffre de 1000 missiles ATACMS ce qui est tout à fait significatif. Les frappes sur les arrières russes vont incontestablement ralentir la mécanique aujourd’hui à l’œuvre, que ce soit sur les plots logistiques les PC, les dispositifs anti-aériens, les liaisons aériennes ou ferrées. La vie des troupes russes va être beaucoup moins facile.

L’arrivée de Bradleys, de tubes d’artillerie ou de défense sol-air sera incontestablement bienvenue. Elle aidera à tenir. Cela sera difficilement suffisant, tant la question des ressources humaines reste pesante : l’abaissement de l’âge de mobilisation rend visible les difficultés du pays. Kiev a ainsi annulé tout renouvellement de visa pour ses nationaux masculins à l’intérieur, tandis qu’on observe la fuite de nombreux jeunes Ukrainiens refusant d’aller au front.

Certains observateurs estiment que la lente mobilisation de l’Europe et de l’Amérique donnera ses fruits en 2026, époque où la Russie aura dépassé ses possibilités de mobilisation. Alors, le cours des choses s’inverserait. En admettant même ce raisonnement, il suppose donc qu’il faut attendre 2026.

Faut-il s’étonner si le mot de négociation revient dans l’actualité. J’ai ainsi été surpris, l’autre jour, sur un plateau de télévision, quand mon interlocutrice ukrainienne affirmait que le temps de la discussion était venu et qu’au fond, le paquet américain permettait justement de rétablir un certain équilibre. Dans le même temps, une petite musique se fait entendre qui rappelle que les paramètres de négociation, discutés en avril 2022, n’étaient pas si mauvais. Enfin, Olaf Scholz a récemment demandé à Pékin de peser dans le processus.

Pendant ce temps, Kiev multiplie des discussions pour organiser une conférence pour la paix en Suisse mi-juin (ici). La Russie refuse pour l’instant d’y participer mais peut-être se joindra-t-elle à la conversation le moment venu. Cette conférence permet en tout cas aux Ukrainiens de travailler sur un certain nombre de dossiers sans entrer dans le vif du sujet.

Peut-être aussi y a-t-il en ce moment de nombreux autres canaux de discussion, qui peuvent parler de détails mais aussi de choses plus significatives. Nous n’en sommes pas là, mais l’ambiance a changé.

Si le temps de la négociation semble venu à l’esprit des dirigeants ukrainiens, en est-il de même pour Moscou ? Ici, deux options sont possibles : négocier maintenant (si les objectifs minimaux sont remplis) de façon à cesser l’effort de guerre, qui pèse malgré tout sur la société russe ; ou attendre le résultat de l’élection américaine, au risque de tout perdre soit sur le terrain soit à la table. Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, dit le proverbe. C’est probablement sur ce principe qu’insistent les parrains de Kiev qui doivent conserver quelques contacts avec Moscou. Reste à savoir si V. Poutine connaît les proverbes français.

OK

2 thoughts on “Bilan hebdomadaire n° 86 du 28 avril 2024 (guerre d’Ukraine)

  1. Même si, partiellement explicable, la lenteur des progrès russes, toutefois en réduction, continue d’entretenir les doutes sur une complète victoire russe, celle-ci demeure envisageable.

    Avec l’effondrement complet de l’armée ukrainienne et la prise de la totalité du territoire et donc après constitution d’un glacis suffisant, capture du rivage de la mer noire et destruction complète de toute viabilité économique au projet nationaliste ukrainien, celle-ci pourrait et devrait avoir des conséquences sur l’Union Européenne.

    Complète dislocation ou au contraire fédéralisation à marche forcée sur fond d’un retrait US complet, on ne voit pas bien ce que l’affaire lui aura apporté globalement : la satisfaction masochiste qu’apporte un inutile échec complet ?

    Naturellement, on ne connait pas encore les dates d’échéance effectives de tout cela, mais tirer des plans sur l’année 2026 parait hasardeux.

  2. Pourquoi la Russie négocierait-elle alors qu’elle gagne du terrain tous les jours et bien plus qu’il y a un mois ? Tout dépend des buts de guerre de la Russie qui entretient le flou à ce sujet. Il me semble que la conquête entière des 4 oblasts déjà en partie réalisé est l’objectif minimum. De plus Poutine considère Kharkov et Odessa comme des villes russes. Alors sont-ce, peut-être les objectifs de conquête ainsi que leurs oblasts. Comme il est évident que le nouveau paquet d’aides américaines ne sera pas suffisant il est permis de penser qu’il joue la montre pour de plus amples conquêtes telles celles citées plus haut. Un effondrement ukrainien peut être envisagé d’ici la fin de l’année.

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