Les Ukrainiens ont stoppé l’avancée russe au nord de Kharkiv. Mais les Russes ont repris leur poussée dans le Donbass, notamment à l’Ouest de Donetsk qui est leur effort principal. Le sommet pour la paix ouvre une séquence intéressante.
Source : Macette
Déroulé des opérations militaires
Front sud : Stabilité vers Robotyne. Staromaiorske a été prise par les Russes, c’était une conquête ukrainienne de 2023. Urozhaine, de l’autre côté de la petite rivière, reste ukrainienne.
Front de Donetsk : Au sud de Marinka, Novomykhailivka a été prise. Les Russes avancent vers Kostantynivka, verrou arrière de Vouhledar. A l’ouest de Marinka, Heorhivka est déjà disputée même si elle reste encore aux mains des Ukrainiens. Pas de changement à Krasnohorivka. Plus au nord, le réduit ukrainien à l’est du réservoir de Vodiana a été quasiment abandonné aux Russes.
Dans le secteur d’Avdivka, les Russes ont avancé sur l’ensemble du front, avançant au nord-ouest d’Umanske, prenant Novopokorvske au centre, abordant Sokil au nord, poussant au nord-ouest d’Ocheretyne au point de prendre Novooleksandrivka.
Front de Bakhmout : A Chasiv Yar, le micro-district à l’est du canal est quasiment conquis par les Russes qui ont un peu avancé à l’ouest de Bohdanivka. Un peu plus à l’est, Klischivka a été disputée, avec une contre-attaque ukrainienne, une riposte russe. Dans le secteur de Siversk, reprise d’effort russe : les Ukrainiens tiennent encore, avec difficulté, la ligne Rozdoiivka-Spirne, ce dernier village quasiment sous contrôle russe. Bolohorivka reste ukrainienne mais les Russes, juste au sud, ont poussé vers Verkhnokamianske.
Front de Svatove/Koupiansk. Stabilité dans cette zone.
Front de Kharkiv : Front stabilisé. Rien à l’ouest dans le secteur de Lyptsi. A Voltchansk, les Russes restent cantonnés dans le nord de la ville qu’ils n’ont pas investi complètement, les Ukrainiens ayant réussi à reprendre quelques positions. I y a eu une petite affaire du côté de Soumy, plus symbolique qu’autre chose.
Analyse militaire
Reprenons les décomptes : Les Russes ont pris 24 km² il y a deux semaines, 22 km² la semaine dernière, 33 km² cette semaine. Si l’on met de côté les gains dus à l’offensive de Kharkiv, nous voici revenus à la moyenne hebdomadaire de gains d’environ 25 km², soit 3,5 km² quotidien.
Cependant, l’effort principal se déroule désormais dans la zone de Donetsk, avec un effort secondaire vers Chasiv Yar. Comme le remarque Macette Escortet (ici), les Russes sont désormais à 7 kilomètres de l’échangeur autoroutier reliant Pokrovsk à Kostantynivka. Or, ces deux villes constituent des maillons cruciaux de la forteresse ukrainienne du Donbass. Couper la liaison entre elles permettait aux Russes de séparer en deux la structure défensive de l’Ukraine, avec un groupe au Nord (Kostantynivka jusque Kramatorsk) et un au sud (Pokrovsk jusque Grand Novosilka et au-delà Zaporijia). L’enjeu est donc d’importance et c’est ce qu’il faut surveiller dans la progression russe à l’ouest d’Ocheretyne.
Il reste que l’intensité des combats a légèrement diminué. Le RAPFEU demeure à l’avantage des Russes mais cette supériorité semble moins écrasante qu’il y a un mois. Ainsi a-t-on observé des contre-attaques ukrainiennes au cours des trois semaines : la chose était rarissime cet hiver ou au printemps.
Il est encore trop tôt pour tirer de grandes conclusions mais l’impression donnée est celle d’une stabilisation qui convient aux deux parties, chacune jouant du temps et progressant à des échanges minimes de territoires contre forces.
Analyse politique
La guerre d’Ukraine était revenue dans l’actualité avec la décision du président Macron, au lendemain de la commémoration du débarquement de Normandie, d’envoyer en Ukraine des Mirage 2000-5 et de former une brigade ukrainienne. L’idée consistait, comme il y a 22 mois avec l’annonce de la cession d’AMX 10RC, de déclencher un mouvement vertueux en Europe. Le diable résidait dans les détails car les 2000-5 sont des avions de supériorité aérienne, pas forcément très utiles en Ukraine. La Grèce puis les EAU ont fait discrètement savoir qu’ils n’étaient pas disposés à céder leurs appareils. Quant à la coalition des F16, elle prend son temps. Enfin, tout aussi discrètement, on apprenait que la formation de la brigade ukrainienne (4500 hommes était-il précisé) aurait lieu en France et non sur le terrain. Bref, si l’annonce avait fait du bruit, les détails de sa mise en œuvre montraient aux spécialistes que c’était très mesuré.
Et puis il y eut les élections européennes, l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale et subitement, plus personne ne parla plus de l’Ukraine en France. L’Allemagne s’occupe quant à elle de l’euro de football, le Royaume-Uni est en pleine campagne pour les élections du 4 juillet. L’Ukraine disparaît plus encore des radars
Néanmoins, il se passe des choses sur le terrain politique. En effet, une réunion du G7 a affirmé la saisie des actifs souverains russes gelés pour les besoins de l’Ukraine. Chacun s’en félicitait même si les choses paraissent moins assurées dans le communiqué final : « le G7 a l’intention de fournir un financement dont le remboursement des intérêts et du principal seront assurés par les flux futurs de recettes extraordinaires dégagés par les actifs souverains russes immobilisés dans l’Union européenne et dans d’autres juridictions concernées. À cet effet, nous nous efforcerons d’obtenir l’accord de ces juridictions pour utiliser les flux futurs de ces recettes extraordinaires pour le remboursement des intérêts et du principal de ces emprunts ». Or, il semble bien que les banques soient peu favorables à cette solution.
Le G7 préparait le sommet pour la paix qui s’est tenu en Suisse ce weekend. Vendredi, le président Poutine avait rendu publiques les revendications de la Russie : une Ukraine neutre et ne rejoignant pas l’Otan, ensuite l’abandon des régions de Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporijjia, revendiquées par la Russie. Alors, les combats cesseraient aussitôt. Le sommet pour la paix ne pouvait évidemment pas accepter ces « conditions » qui signifient de facto la reddition de l’Ukraine. Cependant, la participation (environ 90 pays) était éloquente : la Russie et la Chine n’avaient pas été conviées. Les participants, pour moitié des Européens, pour le reste des pays souvent proches des positions occidentales, ne démontrait pas l’élargissement aux pays du sud souhaité par V. Zelensky. Joe Biden s’était fait représenter par K. Harris, la VP.
Le président ukrainien a annoncé un plan en dix points pour une paix juste et durable, qui sera présenté à la Russie une fois agréé par la communauté internationale. Evidemment, ce projet demande le retrait par les Russie des territoires occupés : les positions sont inconciliables. Mais V. Zelensky a sous-entendu la tenue d’un nouveau sommet auquel, cette fois, les Russes participeraient.
Est-ce seulement de la communication ? Pas seulement car ce sommet n’a eu aucune audience. Mais il a permis, pour la première fois (et de manière indirecte) à ce que chaque partie énonce ses objectifs maximaux. De la part de la Russie, nous sommes bien loin des notions de « dénazification » et de « démilitarisation » de l’Ukraine, telles qu’elles prévalaient il y a deux ans sans que l’on sache vraiment ce que cela voulait dire. En énonçant des « conditions », Poutine donne à comprendre que le temps de la négociation peut s’ouvrir. Au début d’une négociation, chaque partie est toujours maximaliste. C’est d’ailleurs ce qu’a bien compris V. Zelensky. En réaffirmant ses objectifs (retrait total de la Russie), il s’inscrit lui aussi dans la perspective de la négociation en fixant son objectif maximal.
Mais ce sommet a permis deux choses : d’une part, de travailler sur des points annexes (sécurité alimentaire, échanges de prisonniers et d’enfants, etc.) qui sont des portes d’entrées faciles à la négociation, avant d’arriver à des points durs. D’autre part, d’ouvrir le débat en Ukraine même. En effet, toute la difficulté pour un pays en difficulté militaire consiste à faire valoir à sa population que les sacrifices n’ont pas été consentis en vain. C’est d’ailleurs cette difficulté qui empêcha tous les efforts de négociation entre la France et l’Allemagne en 1916 et 1917. En ce sens, ce sommet est bien plus important qu’il y paraît. Nous verrons s’il enclenche une dynamique, à la fois intérieure et avec la Russie.
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Bonne semaine.
OK
Considérer la proposition de Poutine comme un « maximum » est une interprétation qui peut être critiquée en ce qu’elle pourrait bien, au contraire, être « minimale » : refusée hautement, elle permet donc de continuer les opérations avec comme objectif l’évidence qui est la rive maritime de la mer Noire, soit les oblasts de Mykolaiv et d’Odessa, en plus.
Après le refus hautain de la proposition de mars 2022, niée longtemps mais aujourd’hui révélée par tous ses témoins, et qui se limitait aux deux régions sécessionnistes de 2014 en plus de la neutralité, la Russie veut maintenant rentabiliser ses efforts et l’expansion territoriale et économique visée sera substantielle, à la hauteur du terrible camouflet que subira la bêtise et la forfanterie occidentale.