Martine Cuttier nous gratifie d’une fiche de lecture sur le livre de Michel Goya : merci à elle. LV
Michel Goya qui a récapitulé les opérations auxquelles l’armée française a participé depuis les indépendances, suivi les opérations en Irak, s’est penché sur la guerre en Ukraine, ne pouvait ignorer le conflit entre Israël et les Palestiniens après l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023. D’autant que lorsqu’il fut muté, en 2004, à la division recherche de retour d’expérience, au centre de doctrine et de l’emploi des forces : CDEF, à l’École militaire, il lui revint d’analyser militairement les conflits au Proche-Orient (p 7). Un sujet d’histoire immédiate devenu familier au militaire et à l’historien.
Cette guerre commencée en 1948 étant d’abord politique, il analyse l’action militaire à l’aune du contexte politique tant extérieur qu’intérieur car, là encore, il s’agit de résoudre des tensions internes par une crise externe (p 12). Même si cette guerre particulière peut se résumer à la recherche de la sécurité d’Israël en butte à l’action d’organisations armées « irrégulières » (p 8), mission relevant de la police et distincte de la guerre, elle a une dimension militaire du fait de l’implication des États voisins avec lesquels Israël a fini par faire la paix.
Pour mieux faire saisir le sens particulier du 7 octobre qu’il qualifie de « rupture » (p 10), il reprend le récit au début, en 1948, et le déroule en onze chapitres. Les deux premiers montrent comment Israël s’est efforcé de dissuader les États arabes de l’attaquer et de menacer son existence. Puis les cinq suivants, avec l’émergence d’organisations armées tels le Hezbollah dans un Liban affaibli, l’OLP puis le Hamas, à Gaza, ne sont que le récit d’une éternelle petite guerre, un destin à la Sisyphe, achevé par des cessez-le feu et des plans de paix. Le 7 octobre qui change d’un coup les règles du jeu occupe trois chapitres.
L’auteur analyse l’évolution des doctrines d’emploi, des pratiques militaires et des niveaux tactiques. A propos de l’armée israélienne, il rappelle que l’armée d’active est une armée de conscription et de réservistes, très rapidement mobilisable ce qui implique de ne pas mener de longues opérations mais de frapper fort et vite afin de ne pas paralyser l’économie (p 23). Une armée de conscrits y compris dans l’encadrement subalterne où les bataillons de fantassins et de chars ont une moyenne d’âge de 21 à 22 ans, à peine plus élevée dans les états-majors. Or les 32 mois de service ne permettent pas d’acquérir expérience et maturité suffisantes pour mener une action complexe. Ainsi lors de chaque campagne, seule une poignée a participé à la précédente et garde une faible mémoire des savoir-faire. Il reste à répéter les mêmes exercices d’un contingent à un autre (pp 68-69, pp 186-187).
En revanche, Tsahal veille à maitriser les technologies les plus avancées. Elle a poussé la numérisation de ses unités de façon à ce qu’elles puissent suivre sur les écrans ses mouvements, de mieux partager les renseignements et de fluidifier la circulation des ordres et des comptes rendus (p 126). En 2021, elle répond à l’emploi massif des roquettes et des drones tirés par le Hamas depuis Gaza pour saturer le Dôme de fer par « la guerre de l’intelligence artificielle ». L’unité 8-200 du service de renseignement militaire Aman est parvenue à réaliser la fusion des informations issues de divers capteurs et leur rapide circulation jusqu’aux plateformes de tirs produisant deux fois plus de cibles par jour (p 144). Inversement suite aux opérations en réponse à l’attaque du 7 octobre, l’IA a créé de fausses images sur les effets des bombardements israéliens, les déplacements de population et l’urgence humanitaire qui déversées sur les réseaux sociaux ont érodé le soutien à Israël (p 180).
La force armée du Hamas qui compte 10 000 combattants permanents renforcés de combattants occasionnels et de miliciens s’est enterrée dans les tunnels, la troisième dimension souterraine, baptisée « Gara sous Gaza » ou le « métro » (pp 121 et 124). Certains sont offensifs (p 127). Et n’a cessé de renforcer sa force de frappe comme sa force de combat rapproché, d’augmenter son niveau tactique, de se moderniser usant de lance-missiles anti-chars, de drones dont certains transformés en munitions téléopérées par l’ajout d’une charge explosive mais aussi de fusils de tireurs d’élite à grande distance (p 119). Une infanterie et une artillerie légères combattant en se protégeant au sein d’un terrain urbain aux axes de pénétration minés, très organisé de façon à combattre et se déplacer sans sortir. Le combat combine l’action en essaims de groupes de combat d’infanterie, de tireurs d’élite et de tireurs RGP antichars (p 123). Le 7 octobre, le Hamas a tenté d’attaquer à partir de la mer avec des plongeurs, sans succès et par les airs à partir de parapentes. Une unité avait été formée en Malaisie (p 124).
Malgré la précision de l’analyse, le lecteur attentif remarquera quelques oublis. Il ne mentionne pas l’exfiltration de Yasser Arafat de Beyrouth en août 1982 par des éléments de la 11e DP dont le 2e REP. S’il évoque les attentats suicides organisés par le Hezbollah contre l’armée israélienne et les contingents occidentaux de la Force multinationale de sécurité de Beyrouth : FMSB (p 40), il oublie la mort des 58 parachutistes français des 1er et 9e RCP lors de l’attentat de l’immeuble Drakkar à Beyrouth, le 23 octobre 1983. A propos de l’implication de l’Iran et de son programme nucléaire que les États-Unis et Israël ne cessent de contrecarrer par des actions clandestines (p 134), il aurait fallu rappeler le recours à la cyberattaque par le virus Stuxnet qui n’a fait que retarder de quelques mois l’avancée du programme.
L’ouvrage est paru en mars 2024 ; or en mai, le procureur de la CPI a demandé l’émission de mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien et le ministre de la défense mais aussi contre trois dirigeants du Hamas pour crimes de guerre. Une condamnation d’Israël par la communauté internationale n’est pas nouvelle. En 2009, suite à l’opération Plomb durci qui s’acheva par le retrait israélien de Gaza, l’État hébreu fut accusé de « crime de guerre » voire de « crime contre l’humanité » suite au rapport du juge Richard Goldstone, mandaté par l’ONU (p 93). Accusation restée sans suite. En 2024, on observe aussi que les pressions internationales demeurent, une fois encore, une constante sans effet.
Martine Cuttier
Michel Goya, L’embrasement, comprendre les enjeux de la guerre Israël-Hamas, Perrin-R Laffont, mars 2024. Lien