Parenthèse enchantée et désenchantement stratégique (LV 250) (Gratuit)

Pendant les Jeux Olympiques et paralympiques, la France a montré au monde entier qu’elle savait organiser des grands événements internationaux et populaires dans un cadre somptueux, sans aucune anicroche sécuritaire. La qualification de « parenthèse enchantée » ne peut cependant qu’étonner : pourquoi la sécurité quotidienne devrait-elle être une parenthèse et non une permanence ? Comment faire en sorte d’assurer la sécurité pour tous ?

La France a connu une embellie quasi générale pendant les Jeux olympiques puis paralympiques qui a pu, si ce n’est totalement faire oublier du moins faire passer au second plan des difficultés particulièrement rudes en cette époque de transition accélérée dans notre pays. Il n’y avait plus de gouvernement et son chef démissionnaire n’avait pas d’échéance quant à la fin de son mandat. Il faut avouer qu’après une cérémonie d’ouverture des Jeux moins rassembleuse et universelle qu’annoncé, la polarisation des médias sur les compétitions et leurs superbes images abondamment diffusées n’a pas été pour rien dans l’allègement du moral du pays. La France, peuple de Gaulois perpétuellement insatisfaits, dit-on, aurait-elle renouvelé sa population l’espace d’un mois en l’absence de polémiques ? À moins que l’insatisfaction gauloise ne repose sur des causes réelles…

La parenthèse enchantée, ce fut l’image de la France qui fonctionne.

Alors que divers oiseaux de mauvais augure  (mais il est plus facile d’être aussi laudatif une fois l’événement passé) craignaient un gigantesque bazar synonyme d’enfer pour des visiteurs étrangers soumis aux retards de métro et aux bus bondés, de forces de l’ordre débordées par les attentats terroristes, de bugs à répétition désorganisant les épreuves, tout cela au cœur d’une guerre de l’information entretenue par nos meilleurs ennemis et d’une Bérézina en nombre de médailles, il n’en a finalement rien été. Ou il n’en est finalement rien paru.

Au lieu de la venue imminente de l’Apocalypse, nous avons assisté à des Jeux bien organisés (LV 248), une moisson de médailles digne d’éloges, des transports en commun ponctuels et en nombre suffisant, des Parisiens aimables, aucun bug notoire et une guerre de l’information finalement passée sous les radars des spectateurs. Bref, un succès médiatique complet.

En outre, alors que la SNCF aurait pu être désorganisée à cause d’une série d’attaques coordonnées contre son réseau le jour de la cérémonie d’ouverture, il n’en a rien été non plus. Les salariés de l’entreprise ont mis un point d’honneur à tout réparer au plus vite afin de limiter les désagréments consécutifs à cette attaque. Oubliées ainsi les grèves multiples qui désorganisent les trajets et perturbent les voyageurs, le service public a rendu un réel service.

En résumé, nous avons vu un pays qui s’est rassemblé sans rechigner pour faire face à un événement majeur.

Il n’était pourtant pas certain que ce défi fût correctement relevé, car la dissolution de l’Assemblée a plongé concomitamment le pays dans une situation politique totalement inédite pour la Ve République. En effet, le morcellement de l’Assemblée n’ayant pas permis de dégager de majorité claire, il a fallu que les partis envisagent de composer entre eux pour construire une coalition gouvernementale. Cela ne s’est pas fait si facilement, mais les cris de victoire du gagnant autoproclamé des élections n’ont pas abouti à la formation d’un gouvernement appliquant son programme, tout son programme et rien que son programme, sans que le peuple français ne s’en émeuve plus que cela.

La question que l’on pouvait alors se poser était de savoir si, finalement, il n’avait pas fallu passer par une dissolution et une préparation plutôt impopulaire (LV 239) des Jeux olympiques pour que la France renaisse de ses cendres.

Un éphémère rassemblement national

Les commentateurs ont eu tôt fait de comparer cet engouement populaire à celui qui avait suivi la première victoire française à la coupe du monde de football en 1998. La France « black blanc beur » avait alors été portée sur les fonts baptismaux et promettait des lendemains qui chantent. Il n’en fut rien, et la France reprit son ramage grognon.

Près de 30 années plus tard, l’enthousiasme et une certaine légèreté étaient également notables et de bon augure. La presse unanime se mettait à imiter madame mère (« pourvu que ça dure ») et prenait soin de n’évoquer aucun sujet diviseur.

Pouvions-nous espérer que l’ambiance légère et agréable, remarquée par le président de la République lui-même allait durer un peu plus que ce que durent les roses, l’espace d’un instant ?

Il eût fallu pour cela que les fondements de cette légèreté fussent solides alors qu’ils n’étaient que ceux de toutes les communautés d’émotion : une satisfaction, fugace, passagère, d’autant plus admirable puis nostalgique qu’elle était liée à un événement exceptionnel, sans précédent et sans successeur : « l’événement fusionne une multitude d’individus dans une émotion partagée, amplifiée par les médias : ils « communient » soudain et semblent constituer, de ce fait, une énorme « communauté » partageant le même émoi » (P-Y. Gomez, L’esprit malin du capitalisme p. 204, ici).

Cette communauté émotionnelle n’en est pas moins éphémère et, après avoir enflé comme une bulle spéculative, elle se dissout sitôt la passion retombée.

Ce dégonflement de la bulle était d’ailleurs d’autant plus prévisible que le président Macron évoqua dans son discours d’après les JO une « parenthèse enchantée », annonciatrice d’un retour peu enthousiasmant aux affaires courantes.

Quand le réel déprime

Tant que la « dive bouteille » conserve quelques gouttes, l’euphorie est de rigueur. Mais lorsqu’elle est vide, les lendemains déchantent, d’autant que s’il existe des communautés d’émotion partagée, le désenchantement ne se vit lui que dans la triste solitude des gueules de bois.

Le retour au réel de la politique a tenu ses promesses en étant plutôt déprimant. Aucun praticien en vue de la vie politique ne s’est proposé pour composer un gouvernement à partir d’une Assemblée morcelée, il a donc fallu faire appel à un « réserviste » qui avait prouvé ses talents de négociateur avec la séparatiste Albion, les plus ambitieux de ses compères ayant déjà l’œil rivé sur la prochaine élection présidentielle, les autres, plus modestes, sur des législatives qu’ils attendent dès l’année prochaine.

S’il ne nous revient pas de dresser la liste exhaustive des chantiers du nouveau gouvernement dont la solidité et la solidarité engendrent déjà quelques interrogations, la liste des stratégies à mettre en œuvre révèle néanmoins l’ampleur de la tâche.

Il sera nécessaire de construire une stratégie de lutte contre l’insécurité. Le succès des Jeux en la matière n’était qu’un succès tactique et nullement stratégique. C’est déjà bien. Mais s’il est possible de faire cohabiter dans la tranquillité des millions de spectateurs pendant les JO, pourquoi cette mission serait-elle impossible lorsqu’il s’agit uniquement des résidents habituels sur le territoire ? Le changement de ministre de l’Intérieur s’est accompagné de déclarations martiales (« la priorité est de rétablir l’ordre ») qui ne seront convaincantes que lorsqu’une stratégie efficace apportera des solutions crédibles. Mayotte et la Nouvelle-Calédonie sont deux territoires particulièrement concernés par une stratégie sécuritaire, condition nécessaire mais insuffisante pour leur développement.

Une nouvelle stratégie militaire générale également (avec les capacités qui permettent sa réalisation), les développements permanents de la guerre en Ukraine prouvant qu’elle est devenue indispensable.

Si nous acceptons que le terme stratégie soit employé de manière large, il faudra également à la France une stratégie de viabilité économique : un pays ne peut être fort que si son économie l’est, si sa population a des emplois stables et assez rémunérateurs pour qu’elle demeure à l’intérieur de ses frontières. Sinon, l’émigration tentera d’abord ceux qui disposent des moyens importants qui déserteront le territoire national. La politique fiscale, sujet actuel s’il en est, doit ainsi s’inscrire dans une stratégie économique.

Une stratégie diplomatique également : l’Ukraine et la Russie entremêlent leurs territoires au gré d’offensives et de contre-offensives, le Proche-Orient est sous les bombes, des ambassadeurs étrangers ont dû attendre la fin de la parenthèse enchantée pour remettre leurs lettres de créance et la cérémonie d’ouverture des JO n’a pas valu à la France un concert unanime de louanges. Enfin, le ministre des Affaires étrangères démissionnaire, mais toujours en poste à l’époque, a trouvé bon de ne pas participer à la conférence de presse de la cinquième édition de la plateforme partenariale pour la Moldavie le 17 septembre dernier.

Comment s’étonner alors que le commissaire européen français n’ait pas été reconduit ? (LV 249) Il semblerait que la présidente de la Commission européenne ait posé comme alternative : soit un portefeuille plus large pour un autre commissaire français, soit un portefeuille réduit pour l’actuel s’il était reconduit. Une puissance digne de ce nom aurait alors répondu : un portefeuille plus large pour le même commissaire. Mais les difficultés dans lesquelles l’héritier s’est plongé de lui-même l’en ont empêché.

En définitive, la parenthèse enchantée des JO n’a été qu’une parenthèse, et l’embellie sportive ne s’est pas poursuivie par une embellie stratégique. Construite sur des émotions partagées, elle a pu faire oublier au pays le triste état dans lequel il se trouve et le départ des athlètes s’est accompagné du retour de la déprime politique nationale.

Un gouvernement dont la durée de vie n’est pas certaine (si nous avions été Anglais, nous aurions déjà lancé des paris sur la date de sa chute) pourra-t-il redonner une perspective stabilisante au pays et le doter de stratégies partout où elles sont nécessaires ? S’il n’y parvient pas, il accentuera alors la tristesse du pays que relevait déjà Bernanos en son temps.

Pourra-t-il développer ces diverses stratégies sectorielles en l’absence de grande stratégie du pays pour faire face à un deuxième XXIe siècle si heurté et si déconcertant (LV 171 et 214).

La cigale française a vécu un bel été, la fourmi lui rappelle que l’automne est déjà là.

JOVPN

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