Eric Lambert, franco-britannique, suit avec constance l’actualité politique britannique. Il a lu pour nous l’ouvrage de Theresa May, ancienne Premier Ministre britannique, qui succomba aux luttes politiques internes du parti conservateur. Une personnalité à réhabiliter. LV
Le passage de Theresa May à Downing Street est souvent évoqué comme une période de turbulences et d’échecs, mais une analyse plus nuancée révèle le portrait d’une dirigeante confrontée à des défis d’une rare complexité, où les principes et le sens du devoir priment malgré des circonstances adverses.
Nommée Première ministre en 2016, dans la foulée du référendum sur le Brexit, Theresa May hérite d’une nation profondément divisée. Contrairement aux ardents défenseurs du « Leave », elle n’avait pas fait campagne pour le Brexit, préférant une ligne modérée, motivée par le respect de la démocratie et le souci de préserver les équilibres socio-économiques du pays. Cette prudence, malgré ses qualités, allait cependant s’avérer un obstacle face aux factions les plus radicales de son propre parti.
Theresa May, dans son livre The Abuse of Power: Confronting Injustice in Public Life, partage des réflexions éclairantes sur son expérience au pouvoir. Elle y critique les abus qu’elle a pu observer au sein des institutions publiques, appelant à davantage de transparence et de responsabilité. Cet ouvrage, imprégné de principes éthiques, permet de mieux saisir le tempérament de May : une femme de convictions, guidée par le devoir plus que par l’ambition personnelle. Pourtant, ce sens du devoir n’a pu contenir l’élan des partisans d’un « Brexit pur et dur », menés par des figures telles que Jacob Rees-Mogg et Boris Johnson. Cette faction, regroupée autour du European Research Group (ERG), défendait une vision inflexible du Brexit, refusant tout compromis et rejetant tout accord qui maintiendrait un lien avec l’Union européenne.
Rees-Mogg, avec son style suranné mais affûté, incarnait cette opposition intraitable, usant de tous les leviers possibles pour contrer les efforts de May en faveur d’une sortie ordonnée de l’UE. De son côté, Boris Johnson, charismatique et adepte des slogans percutants, profitait de la lassitude publique et se positionnait comme le héraut d’un Brexit sans concessions. Là où May tentait de ménager les intérêts économiques du Royaume-Uni et d’éviter un retour des tensions en Irlande du Nord, Johnson simplifiait la réalité avec un populisme efficace, sapant les efforts de la Première ministre pour construire un consensus.
En 2017, May décide de convoquer des élections anticipées dans l’espoir de renforcer son mandat. Mais ce pari se retourne contre elle, affaiblissant son gouvernement et la rendant dépendante du parti unioniste d’Irlande du Nord (DUP), ce qui compliquera encore ses négociations sur le « backstop » irlandais. Chaque compromis envisagé devenait un point de discorde avec son propre parti, et cette absence de soutien interne finit par rendre sa position intenable. Dans son ouvrage, May décrit avec lucidité les dynamiques de pouvoir qui minent souvent l’intérêt public, une critique qui résonne douloureusement avec les batailles intestines qu’elle a vécues au sein des conservateurs.
Theresa May, souvent perçue comme réservée, était décrite par ses proches comme prudente et difficile à cerner, des traits qui, bien que marqués par l’intégrité, l’isolaient dans un moment où le charisme et les alliances étaient vitaux. Les erreurs de communication et son incapacité à inspirer une vision claire de l’avenir du Royaume-Uni ont facilité la tâche de ses détracteurs, qui ne manquaient aucune occasion de remettre en cause sa légitimité. Pourtant, cette ténacité, cet engagement envers une gouvernance honnête, forment le socle de sa vision politique, en contraste frappant avec le populisme de son successeur.
Lorsque Theresa May quitte ses fonctions, ce sont les larmes aux yeux qu’elle s’adresse à la nation, marquant enfin une brèche dans cette réserve qui l’avait si longtemps définie. Son héritage est ambigu : si son nom reste lié aux négociations difficiles du Brexit, son passage au pouvoir témoigne d’une éthique de service public qui, bien que discrète, résonne comme une leçon de probité dans un climat politique de plus en plus polarisé. Dans The Abuse of Power, elle dresse un portrait sévère des dérives politiques, un plaidoyer pour un exercice du pouvoir en phase avec l’intérêt général.
Theresa May ne restera pas dans l’histoire comme une Première ministre triomphante, mais son parcours révèle une dignité et un sens du devoir inébranlable face à des forces qui cherchaient à la déstabiliser. Son passage à Downing Street est un rappel des défis d’une gouvernance fondée sur des principes, à une époque où la démagogie l’emporte trop souvent sur la vérité. May, malgré ses échecs, incarne l’idée d’un leadership résilient, bien que mis à l’épreuve, qui laisse une empreinte indélébile dans une période de l’histoire britannique marquée par les tumultes et les divisions.
Eric Lambert