Bilan n° 101 du 1er décembre 2024 (guerre d’Ukraine)

Si la situation militaire ukrainienne continue de se dégrader lentement mais sans effondrement, la phase des négociations est entrée dans une phase active même si on n’en connaît guère les termes.

Source : https://x.com/Pouletvolant3/status/1863158922837627229/photo/1

Déroulé des opérations militaires

Front sud : Pas de changement à l’ouest et au centre ; En revanche, la situation a rapidement évolué à Grand Novosilka. Au sud, tout le terrain à l’est de la route 0518 a été pris, les Russes menaçant directement les villages au sud de la bourgade (Neskuchne etc.). On observe la même chose au nord, les Russes ayant conquis Rozdolne. Autrement dit, les routes de ravitaillement du bourg sont sous le feu russe. La ville est condamnée à brève échéance (voir carte).

Front de Donetsk : Les Russes ont progressé dans la ville de Kourakhove dont ils ont atteint le centre. Au sud, le long de la vallée de la Sukhi Yali, ils ont pris Ilinka et Yelyzavetivka. Un peu plus à l’ouest, la cote 160 a été prise (carte).

Au nord de la Vovcha, Beretsky a été pris et les Russes progressent le long de la rive nord du lac. Ils ont abordé le village de Sontsivka. A l’ouest de Selidove les Russes ont progressé le long de la rivière Solona et de la M50 prenant Zhovte et Pushkine. (carte).

Dans le secteur de Toretsk, les Russes ont très légèrement progressé dans la partie sud de la ville (carte)

Front de Bakhmout : Sans changement à Chasiv Yar.

Front de Svatove/Koupiansk. Secteur de Kremina : Toujours des combats à Terny sans changement de la ligne de front (carte)

Secteur de Pischane : petite progression russe au sud de Lovoza (carte).

Secteur de Koupiansk : les Russes auraient franchi l’Oskil à deux endroits, au nord de Koupiansk, de part et d’autre de Dvorichna (carte).

Front de Kharkiv : RAS

Front de Soudja : Les Russes ont repris un petit saillant au sud de Kremyanoye (carte). Les Ukrainiens ne contrôlent plus que la partie est de la poche.

Analyse militaire

Dans la poche de Soudja, les Russes ont repris leurs efforts. La Russie a pris 29 km² il y a deux semaines et 8 cette semaine (carte). L’Ukraine ne contrôle plus que 537 km² de territoire russe.

Dans le Donbass, les Russes ont pris aux Ukrainiens 187 km² il y a deux semaines, 183 km² cette semaine. Le rythme de progression quotidienne s’établit à 25 km² de km² par jour.

L’Ukraine ne s’écroule pas même si la situation devient précaire en de nombreux endroits. Cependant, l’action retardatrice à Kourakhove se déroule de façon ordonnée. La cession de grand Novosilka était prévue mais prend un peu de temps. Ailleurs, l’ensemble du front tient malgré des sessions ici ou là. Enfin, la poche de Soudja est ardemment défendue et Kiev devrait atteindre son objectif : avoir suffisamment de terrain lors des négociations avec la Russie.

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Du rythme russe : Dès lors, on peut s’interroger sur le rythme russe : l’observateur se dit que les Russes pourraient accélérer. Or ils ne le font pas : pourquoi ? tenons tout d’abord compte de la résistance ukrainienne que nous venons de rappeler et qui n’est pas appréciée à sa juste valeur par les commentateurs, alors que c’est aujourd’hui, dans les difficultés extrêmes, que les Ukrainiens démontrent leurs plus belles qualités : je suis toujours plus admiratif d’un défenseur héroïque que de l’agresseur invincible… Rappelons enfin la météo : souvenons-nous, lors de la première année de guerre, nous avions tous disserté sur la raspoutitsa. Elle est là, la neige commence seulement à tomber et à geler les sols… néanmoins, la poussée russe a débuté en octobre 2023… prouvant que l’on peut combattre y compris à la mauvaise saison. Argument plus technique : la supériorité russe tient au RAPFEU et à la logistique, notamment aux trains d’artillerie qui doivent apporter les obus aux pièces de tir. Le système russe n’est pas fait pour la percée et son exploitation. Cependant, il y a percée et percée : on aurait pu attendre des saisies plus rapides de terrain limité qui ne se sont pas réalisées : cela marque aussi le manque d’initiative par les unités de contact, qui ne savent pas manœuvrer en autonomie.

Vient alors la dernière hypothèse qui n’est pas contradictoire aux précédentes mais au contraire les complète. Compte-tenu du modèle d’armée et de combat russe, Moscou se contente de cette façon de combattre qui réalise en partie un des objectifs de guerre annoncé dès le début par V. Poutine : la démilitarisation de l’Ukraine. Or il ne s’agirait pas de limiter la taille des forces ukrainiennes par traité (souvenez-vous : l’armée allemande avait été bridée par le traité de Versailles et s’est cependant réveillée en 1939 comme une des plus fortes d’Europe) mais physiquement, par la destruction des unités, des chefs, des infrastructures, des stocks et de l’armement. Si la guerre dure, cela concourt à cet objectif. Gardons cela à l’esprit quand nous aborderons la question des négociations.

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De la noisette : L’Ukraine a donc lancé quelques missiles ATACMS contre la région de Briansk le 19 novembre. La Russie a riposté le 21 en tirant le missile Orechnik (Noisette), contre un centre industriel de Dniepro, construit par les Soviétiques et supposé résister à des frappes nucléaires (je n’ai pu trouver d’évaluation des dommages convaincante). Les caractéristiques connues évoquent un missile qui a été tiré « dans une configuration non-nucléaire ». Il est balistique (sortie de l’atmosphère), hypervéloce (trajectoire jusqu’à Mach 11), de portée intermédiaire (5000 km) et mirvé (plusieurs têtes indépendantes sont lâchées lors de leur entrée dans l’atmosphère). S’il était à l’état de prototype, il semble que la Russie en détienne quelques exemplaires. Poutine a donné l’ordre de le produire en série. Il montre une certaine avance russe en matière de missiles hypervéloces, extrêmement difficile à contrer.

La frappe conventionnelle reste sous le plafond nucléaire : contrairement à ce qu’affirment beaucoup de commentateurs, je pense qu’il ne s’agit pas pour Moscou d’agiter la menace nucléaire, bien au contraire, mais de démontrer la possibilité d’une menace aujourd’hui imparable qui demeure conventionnelle : il s’agit certes d’une escalade mais qui introduit une sorte de découplage stratégique. Qui plus est, la portée intermédiaire ne vise que l’Europe et pas les États-Unis : le découplage ici recherché est transatlantique et vise l’unité alliée.

Ajutons enfin que simultanément, la Russie a rendu publique sa nouvelle doctrine nucléaire qui abaisse le seuil de déclenchement.

Autrement dit, si l’on revient à l’origine de l’échange : Joe Biden a voulu hausser le ton dès à présent en autorisant le tir d’ATACMS. La réponse russe a suivi cette montée d’enchère avec l’Orechnik, beaucoup plus significatif stratégiquement que l’ATACMS. L’intention première de l’administration Biden est donc un relatif échec, sans même parler de la maladresse de jouer une carte maintenant qui aurait pu servir dans une négociation qui ne sera pas conduite par l’équipe Biden : mais peut-être faut-il voir là l’effet d’un jeu politique interne américain.

Analyse politique

La phase de négociation a commencé avec une partie visible (des déclarations) et une non visible sur laquelle nous ne pouvons rien dire.

  1. Trump a désigné K. Kellog comme émissaire pour l’Ukraine et la Russie. Chacun a examiné ses écrits passés qui reprennent ce que l’on sait des intentions de Trump : un gel sur le terrain, une Ukraine ne rejoignant pas l’Otan, des sanctions en partie levées.
  2. Zelensky a fait un pas en affirmant le 29 novembre : « si nous voulons mettre fin à la phase chaude de la guerre, nous devons placer sous l’égide de l’Otan le territoire de l’Ukraine que nous contrôlons » mais aussi « C’est ce que nous devons faire rapidement, et ensuite l’Ukraine pourra récupérer l’autre partie de son territoire par des voies diplomatiques ». Hier, dimanche 1er décembre, il ajoutait : « L’invitation de l’Ukraine à adhérer à l’Otan est nécessaire à notre survie » puis « Ce n’est que lorsque nous aurons tous ces éléments et que nous serons forts que nous devrons établir (…) l’ordre du jour de la réunion avec les assassins ».

Ainsi, le président ukrainien souhaite obtenir une adhésion à l’Otan de l’Ukraine avant de commencer des négociations. Cependant, il admet qu’il ne pourra récupérer dès maintenant les territoires pris par les Russes ce qui est une concession. Il n’abandonne pas la revendication pour autant, renvoyant la question à plus tard par la voie diplomatique. Autrement dit, il affirme que l’Ukraine à l’issue d’un cessez-le-feu continuerait de revendiquer des territoires tenus par la Russie. C’est évidemment cohérent au regard du droit international et de la position de Kiev mais freinerait aussi une adhésion à l’Otan, demandée par ailleurs.

Est-ce réaliste ? pas vraiment puisque le projet d’adhésion à l’Otan a constitué pour Moscou un des motifs de son entrée en guerre : on doute qu’il puisse accepter cette garantie comme préalable à des négociations. Mais Zelensky est obligé de monter les enchères, d’autant que simultanément il admet ne pas pouvoir reprendre les territoires par la force : ce constat représente une évolution dans son discours. Désormais, chacun semble se rendre à l’évidence : la Crimée et le Donbass aujourd’hui contrôlés par les Russes resteront sous leur emprise. Les négociations devraient donc porter sur autre chose : principalement le statut de l’Ukraine après un accord et notamment les garanties de sécurité qui lui seraient données.

Voici la raison de récentes déclarations européennes : Le ministre français des affaires étrangères, J-N. Barrot, évoque à nouveau la possibilité de mettre des troupes occidentales en Ukraine après des entretiens avec les Britanniques. O. Scholz, qui se rend se lundi 2 décembre à Kiev, déclare livrer une aide supplémentaire de 650 M d’euros. Toutes ces déclarations visent à renforcer les cartes ukrainiennes dans une négociation qui s’annonce difficile.

Cependant, l’essentiel viendra du dialogue entre D. Trump et V. Poutine. Quelles sont leurs cartes ? Quels sont leurs objectifs ?

Trump souhaite probablement nouer un accord, conformément à son tempérament mais aussi ses déclarations. Il peut certes menacer d’augmenter drastiquement son soutien à l’Ukraine mais la décision maladroite de l’administration Biden d’autoriser les ATACMS a réduit la portée de cet argument. Il faudra donc proposer des choses à V. Poutine. Outre la question des territoires, deux questions entrent dans la balance : les sanctions et le statut de l’Ukraine.

Poutine peut chercher deux choses : d’une part, en Ukraine, outre la confirmation de la maîtrise des territoires conquis (ce qui ne veut pas forcément dire reconnaissance), une levée partielle des sanctions et surtout, la garantie que l’Ukraine ne rejoindra pas l’Otan. Cependant, hormis les sanctions, la poursuite de la guerre permettrait à Poutine d’atteindre en partie ses objectifs. Il serait en revanche intéressé par la reprise d’un dialogue américano-russe. Cela prouverait à son peuple que la Russie discute de pair à pair avec les États-Unis et cela ouvrirait peut-être la voie à une nouvelle architecture de sécurité en Europe.

Pourtant, la Russie a également intérêt à mettre un terme au conflit, que ce soit pour son économie ou pour soutenir l’effort de guerre, même si elle est comparativement en meilleur posture que l’Ukraine. Malgré tout, un accord permettrait à V. Poutine de montrer à sa propre population qu’il a gagné quelque chose. Sera-ce suffisant ? Nul ne le sait aujourd’hui. Cependant, paradoxalement, l’effort relatif montré par les Russes pour reprendre la poche de Soudja peut suggérer qu’ils estiment avoir le temps pour eux. S’ils étaient pressés de conclure des négociations, il serait probable qu’ils feraient tout pour réduire rapidement la poche qui est un des atouts ukrainiens dans la négociation.

Nous voici donc non dans le brouillard de la guerre mais dans celui de la négociation. Rien ne dit que les diplomates réussiront à le faire lever…

 

OK

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