De l’art très français du contretemps stratégique (Le Cadet 103)

Il aura fallu attendre la fuite de Bachar pour que nos médias admettent que ces rebelles islamistes sont peu ou prou ceux qui terrorisèrent la France il y a dix ans. Mais les mêmes se perdent dans leur géopolitique de comptoir pour faire oublier leur absence d’anticipation.

La chute de Damas serait la conséquence du 7 octobre 2023 : que ne l’ont-ils alors annoncé plus tôt, si l’enchaînement était si évident que cela ? Hamas ou pas, c’est l’éradication du Hezbollah qui nous rapporte le Califat : pourquoi avons-nous laissé faire ? Quel intérêt stratégique avions-nous, Français, à la rupture de l’arc chiite, si c’est pour devoir de nouveau faire face à un Etat islamique dont la principale cible restera la France des articles 10 et 11 de 1789 [1] ? Si c’est pour reconstituer une zone de non-droit où les gamins des quartiers vont repartir, ceux restés dans les cités lui faisant allégeance par Internet ? Pourquoi avoir attendu plusieurs arrestations récentes, un rapport de police produit au procès de la décapitation de Samuel Paty, la présence de nombreux Français parmi les troupes islamistes et l’alerte de six de nos compatriotes combattant jadis au côté des Kurdes, pour ouvrir les yeux ?

Tous nos intérêts ne sont pas vitaux, a écrit récemment un ministre des Armées. On relèvera au passage la substitution de stratégique par vital, comme si la posture clausewitzienne était définitivement évacuée, la guerre n’étant plus un arbitrage souverain mais un impératif objectivé. Mais pourquoi faudrait-il que nous nous rallions systématiquement aux intérêts vitaux des autres – et ça vaut pour l’Ukraine ? Ce n’est pas la rédaction de Haaretz ni le Madison Square Garden qui ont été visés ni le seront jamais. Fut-il subtil de refuser de livrer aux Russes les BPC qu’ils auraient affectés à leur base navale de Tartous ? Etait-ce raisonnable, comme nos dirigeants de l’époque l’ont laissé entendre en déposant au procès du Bataclan, de ne pas tenir compte d’avertissements des services syriens, parce que Bachar était infréquentable ? Est-il spirituel d’envoyer aujourd’hui le Charles-de-Gaulle sur les traces de Monsieur de La Pérouse, comme si l’avenir de la France se jouait dans les iles de la Sonde et non au large du Liban, alors que la Méditerranée orientale brûle et que l’Etat islamique se reconstitue ?

Il aura fallu attendre la récente visite du président français en Arabie pour qu’on envisage – enfin – la création reconnue d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967. Mais seulement à l’horizon de juin 2025. Il reste donc six mois aux Etats-Unis et à Israël pour résoudre la question en la rendant inutile. Si la France n’a pas pris son risque entretemps, ses quartiers deviendront incontrôlables. Mais de cela aucun média ne parle. La trahison n’est rien, faisait dire Michel Audiard à son Président, à côté de la bêtise.

Le Cadet

Qource photo https://www.worldstockmarket.net/us-believes-rebel-group-hts-maintains-strong-ties-to-islamic-state-senior-official-says/

[1] Rappelons que lors du débat des 20 et 21 août 1789, les Constituants ont fixé les règles de notre singulière et incomprise laïcité : exclusion de la pratique cultuelle des garanties constitutionnelles, les cultes étant régis, depuis leur reconstitution par Bonaparte, par des lois simples (1802, 1808, 1905, décrets Mandel ou loi de 2021) ; et intégration, hors de cet espace réglementé, de la religion dans le droit imprescriptible de manifestation des opinions, liberté constitutionnellement protégée seulement si elle se soumet aux exigences de la disputatio (articles 10 et 11 de la Déclaration de 1789). C’est cette disputatio française que récuse l’Islam puisqu’elle lui est interdite par la Sourate 4 Verset 140, un Islam accusé, par contresens et à contretemps, de politique alors qu’il ne peut l’être, prétendant au contraire bénéficier dans l’espace non-cultuel d’un privilège religieux que les autres systèmes lui accordent, Charte de l’UE et CEDH comprises.

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