La poussée russe a nettement ralenti. Le cadre des négociations incite au pessimisme, au vu des dernières déclarations.
Cartes : Pouletvolant (ici)
Déroulé des opérations militaires
Front sud : Pas de changement à l’ouest et au centre. Grand Novosilka est quasiment encerclé. Les pénétrantes sont coupées sauf peut-être une mauvaise piste à travers champ. Les premiers accrochages aux abords mêmes de la ville ont lieu (carte).
Front de Donetsk : Kourakhove est tombée. L’attention se porte désormais, comme prévu, sur Andrivka. Au sud, Kostantynivka a été prise (carte). Au nord de la Vovcha, les Russes ont pris Shevchenko et abordent les premiers faubourgs d’Andrivka. Un peu plus au nord, ils ont pris Petropavlivka et Slovianka, ainsi encore plus loin que Yasenove, coupant ainsi la route 05-15, pénétrante nord. La ville n’est donc plus approvisionnée que par l’ouest (carte).
Dans le secteur de Pokrovsk, les Russes ont poursuivi lentement leur étreinte. A l’ouest de la ville, ils ont pris, du sud au nord : Novoielisatevka, Novovasilivka et ils abordent Udachne. Ils ont pris pied sur la route T04-06 et sur la pénétrante ferroviaire sud (carte). Ils ont pris Psichane et abordent Zvirove, dernier village avant Pokrovsk. Ils poussent depuis Shevechenko, au sud de la ville. A l’ouest du dispositif (zone d’Orechetyne), ils ont repris leurs opérations laissées en suspens depuis plusieurs mois. Ils ont ainsi pris le village de Vozdvyzhenka et abordent l’échangeur de l’autoroute H32, coupant ainsi la pénétrante qui approvisionnait Kostantinivka, point clef du Donbass du nord (carte) (et autre carte de @majakovsk)
Toretsk est quasiment prise, hormis quelques lisières au nord-est de la ville (carte). Il leur reste à terminer la saisie complète de la ville mais aussi de prendre les deux derniers faubourgs à l’ouest, Scherbynichka puis Katerinivka.
Front de Bakhmout : Les combats sont intenses à Chasiv Yar avec peu de changements significatifs, les Ukrainiens s’accrochant et lançant des contre-attaques localisées. L’essentiel se déroule dans la zone industrielle (carte). Un peu plus au nord, petite avancée russe vers Orikhovo (carte).
Front de Svatove/Koupiansk. Secteur de Kremina/Siversk : sans changement. Au nord, les combats se déroulent autour de Terny, toujours disputé, pas encore totalement saisi par les Russes. Ceux-ci ont décidé de déborder en traversant la rivière et les deux étangs, prenant Ivanivka sur l’autre rive (carte). Cela fait deux points où la Zherebets est franchie, si l’on compte aussi Makivka, un peu plus au nord.
Secteur de Pischane : Quelques légère avancées au sud (carte). Le hameau de Lozova a été pris carte.
Secteur de Koupiansk : la tête de pont outre Oskil s’est élargie même si les Ukrainiens tiennent toujours Zapadne. Les Russes sont entrés dans Dvorichna. La saisie du bourg sera déterminante pour les combats futurs, notamment une éventuelle prise de revers de Koupiansk par le nord (carte).
Front de Kharkiv : RAS
Front de Soudja : La situation a été assez confuse au cours des trois semaines passées. Les Ukrainiens ont d’abord pris l’initiative en lançant une petite poussée vers Berdin, au nord-est de la poche. Elle a été repoussée par les Russes qui ont eux-mêmes relancé leurs efforts ailleurs : à l’ouest où ils dominent les hauteurs du thalweg de Malaya Lokhna ; au nord en progressant vers Cherkasskoye ; au sud, en poussant vers les limites méridionales de la ville de Soudja (carte et carte)
Analyse militaire
Dans la poche de Soudja, les Russes ont repris leurs efforts. La Russie a pris 0 km² il y a trois semaines, 16 il y a deux semaines (les Ukrainiens saisissant 10 km² pour leur part), 73 km² cette semaine (carte). L’Ukraine ne contrôle plus que 443 km² de territoire russe.
Dans le Donbass, les Russes ont pris aux Ukrainiens 90 km² en semaine 52, 66 km² en semaine 1, 75 km² cette semaine (carte). Le rythme de progression quotidienne s’établit à 11 km² par jour (15 km² lors de la précédente période de trois semaines).
L’Ukraine cède du terrain mais localement, sans effondrement général. Cependant, les échos sur ses ressources humaines (en très grave crise) sont inquiétants.
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Le ralentissement russe se poursuit. Nous avions connu des progressions de 25 km² début décembre, nous observons 11 km² quotidiens en ce début janvier. Constatons qu’il y a un an (PS n° 80), nous observions déjà une pause qui avait duré quatre semaines, à la même période. A l’époque, on constatait des progressions quotidiennes inférieures à 5 km².
Comme annoncé dans le précédent point de situation, Toretsk sera tombée d’ici la fin du mois. Ceci explique probablement la reprise d’initiative à l’ouest de Pokrovk, dans le secteur d’Ocheretyne. La saisie de l’échangeur laisse présager une poussée russe dans ce secteur, qui aura deux objectifs tactiques : le contournement de Pokrovsk par l’est de façon à former une tenaille avec une branche ouest à hauteur d’Udachne ; simultanément, une poussée vers le nord, le long de la H20, entre l’échangeur et Toretsk, de façon à pousser par le sud vers Kostantiynivka (carte). Ceci explique l’insistance des Russes contre Chasiv Yar.
A côté de cet effort principal, on observe des poussées subsidiaires : au sud (prise de Grand Novosilka, siège prévisible d’Andrivka), au nord (Prise de Terny, siège envisagé de Koupiansk), dans la poche de Soudja (où la situation commence à devenir compliquée pour les Ukrainiens).
Tout ceci nous occupera probablement tout le printemps, avant les beaux jours, de façon que chaque belligérant décide de ses options à la suite de ces combats lents. Il ne faut pas méconnaître deux éléments : un circonstanciel, la météo. Nous sommes en hiver et cela ralentit bien des ardeurs. L’autre est structurel et tient à l’usure des deux combattants. C’est évidemment sensible du côté ukrainien mais également du côté russe.
Analyse politique
Le lecteur sera peut-être surpris de me voir annoncer des combats jusqu’à l’été. Alors que j’ai évoqué (parfois bien seul) la possibilité de négociations depuis la fin du printemps, leur annonce prochaine me rend pessimiste. Observons tout d’abord qu’il n’est plus question de régler la question en 24 h, formule qui relevait du propos de campagne électorale et n’a jamais été prise au sérieux. Désormais, tout le monde parle de quelques semaines.
Cependant, on commence à avoir des échos des premiers contacts qui ont été opérés. D. Trump a ainsi lancé deux ou trois équipes de négociateurs qui ont laissé transpirer dans la presse leurs vues. En gros, l’idée commune serait de geler l’actuelle ligne de front, d’installer dessus des troupes d’observation (européennes) et de promettre à la Russie une non-adhésion à l’Otan pendant 10 ou 20 ans. Cette position apparaît aux yeux des Européens comme un maximum, contre-battant bien des principes contre lesquels elle s’oppose depuis le début de la guerre : prime à la force, non sanction de l’agresseur, négation de l’intangibilité des frontières, pas de garanties données à l’Ukraine.
Or, cela fait seulement une dizaine de jours que l’attention commence à se porter sur « ce que voudrait Poutine ». Bien sûr, on entend revenir le discours selon lequel ses forces sont épuisées, sa situation économique déplorable, le soutien de sa population déclinant. Il y a là quelques parts de vérité mais elles ne sont certainement pas suffisantes pour dévier la volonté du maître du Kremlin. Bâtir ses positions sur des hypothèses de fragilité de l’ennemi paraît une attitude dangereuse, pour ne pas dire vouée à l’échec.
Car quelles que soient les difficultés de la Russie, il est probable qu’elles paraissent supportables aux yeux de V. Poutine. Et qu’au jeu « stop ou encore », il a les moyens de dire « encore ». Quels sont donc ses objectifs identifiés ?
- Territoires : a minima, il considèrera que les territoires conquis sont à lui. La question se pose concernant un abandon éventuel des parties non conquises des oblasts revendiqués. Je doute qu’il accepte un accord qui ne reconnaisse pas l’annexion de la Crimée. Or, V. Zelensky par réalisme a dit qu’il accepterait « la réalité » mais continuerait de revendiquer les territoires perdus. Ceci est d’ores et déjà un point dur.
- Présence de troupes : Là encore, le précédent de l’OSCE n’a pas été apprécié côté russe. Il est douteux qu’il accepte un mécanisme de garantie militaire du cessez-le-feu. Je ne pose pas la question de savoir quelles troupes pourraient venir et en quel volume.
- Statut de l’Ukraine : l’objectif de Moscou reste la neutralité durable de l’Ukraine. Donc une non-accession à l’Otan. La garantie pour un temps donné (dix ou vingt ans) suffirait-elle ? C’est possible.
- Démilitarisation et dénazification : ces concepts nébuleux n’ont jamais été vraiment explicités. Certains considèrent que la guerre et sa procédure d’attrition revient de facto à démilitariser l’Ukraine. Si c’était le cas, l’objectif n’entrerait pas dans les négociations. S’agissant de la dénazification, on comprend que Moscou dénie au pouvoir ukrainien sa légitimité. Déjà s’entend la petite musique que V. Zelesnky ne pourra pas signer puisque son mandat s’est terminé en mars et que le report sine die des élections empêche toute responsabilité. Il y a là un point juridique très dur que les négociateurs ne peuvent pas négliger.
- Qui négocie : un des seuls arguments de D. Trump, maintenant que l’argument des armes de longue portée a été gâchée prématurément par l’administration sortante, sera d’établir un dialogue « entre pairs » entre Washington et Moscou. Cela signifie que les Ukrainiens seront consultés mais pas forcément partie prenante et que les Européens seront laissés hors du coup.
C’est à l’aune de ces facteurs qu’il faut analyser les dernières sorties venues de Mar e Lago (résidence floridienne de D. Trump). D’une part, le message que l’Ukraine doit mobiliser ses jeunes jusqu’à 18 ans. Les mots sont assez durs et cela ouvre la porte à un lâchage : « vous n’avez pas mobilisé entièrement, donc malgré ce que vous dites vous n’avez pas la volonté de vous battre, donc pourquoi vous soutiendrions-nous ? ». Ce discours est très inquiétant.
Simultanément, la conférence de presse tenue par Trump cette semaine a suscité beaucoup d’émoi. On y a parlé de Panama, de Groenland et de Canada. Observez que la Chine a été très peu mentionnée, de façon surprenante ; Que les objectifs (expansionnistes, à la manière de Poutine, ce que tout le monde a pointé) visaient des abords de l’Amérique, tous en hémisphère nord et deux d’entre eux reliés à l’océan Arctique. Incidemment, l’Europe est directement visée, ce que confirment les sorties d’Elon Musk sur les affaires politiques en Allemagne et au Royaume-Uni. Autrement dit, tout pointe vers une vassalisation plus ou moins forte des alliés de l’Amérique. L’attitude est très brutale et inquiète les Européens au plus haut point. Mais pour revenir au sujet de ce billet, elle ne présage rien de bon.
Nous voici en présence de plusieurs hypothèses :
- La plus improbable : signature assez rapide d’un accord avec la Russie sur la base des premières idées de l’entourage de Trump.
- La possible : signature lente d’un accord avec la Russie qui fait la part belle aux revendications de V. Poutine, passant l’Ukraine résistante par pertes et profits, laissant la facture aux Européens.
- La probable : pas d’accord, ce qui signifie la poursuite de la guerre.
Ainsi je pense que la guerre va durer encore quelques mois, voire toute l’année 2025, de façon à aller tester les dernières capacités des belligérants. Or, malgré l’évidente usure de la Russie, l’Ukraine paraît aujourd’hui beaucoup plus mal en point.
Le lecteur aura enfin noté que je me tais quasiment sur les déclarations européennes, que ce soit celles de l’Otan, de la conférence de Ramstein ou celles de tel ou tel dirigeant européen. Pour dire les choses simplement : tout ceci pèse peu.
Sur cette sombre note, je vous souhaite malgré tout une bonne année 2025.
OK