Bilan n° 104 du 26 janvier 2025 (guerre d’Ukraine)

La chute de Grand Novosilka et de Toretsk était attendue. Le front a peu bougé par ailluers. On en sait un peu plus sur les paramètres des négociations. Dans tous les cas, les combats dureront encore plusieurs semaines.

Source : https://map.ukrdailyupdate.com/

Déroulé des opérations militaires

Front sud : Grand Novosilka est tombée (carte).

Front de Donetsk : Les Ukrainiens à Dachne résistent depuis deux semaines. Un peu au sud, les Russes ont passé la petite rivière de la Sukhi Yali pour aborder la route H15 par le sud. A l’est d’Andrivka, les belligérants se sont disputés Schevchenko, les Ukrainiens menant quelques contre-attaques localisées. Plus au nord, les Russes Sont à Yanesove et Novoandrivka, pour tenter de coiffer la ville par le nord. De premiers combats se dérouleraient dans les lisières est d’Andrivka. Les Russes vont logiquement essayer d’encercler la ville. (carte)

Dans le secteur de Pokrovsk, les Russes poussent au sud-ouest de la ville : ils ont saisi le hameau de Dymutrove au-dessus de la voie ferrée et poussent vers Udachne. Un peu plus loin, ils sont devant Uspenivka abandonnée par les Ukrainiens. Les Russes donnent le sentiment de pousser plutôt vers l’ouest, afin d’atteindre les limites de l’oblast de Donetsk et de Dniepro. (carte).

A l’ouest de Pokrovsk, l’échangeur sur la H32 serait toujours aux mains des Ukrainiens même si les vidéos montrent que le pont autoroutier a été détruit. Quelques combats ont été signalés entre cette zone et le secteur de Toretsk.

Toretsk est prise à 99% et les Russes vont terminer de nettoyer la ville des derniers foyers de résistance (carte), puis de prendre les deux derniers faubourgs à l’ouest, Scherbynichka puis Katerinivka.

Front de Bakhmout : Les combats sont intenses à Chasiv Yar et les Russes semblent avoir pris 75% de la localité : le quartier dans la boucle du canal au nord-est, le quartier industriel au nord. Ne restent encore aux mains des Ukrainiens qu’une partie de la zone industrielle au centre ainsi que la zone boisée à l’est qui semble menacée. Ils s’appuient enfin sur le faubourg de Mykolaivka, à l’ouest, qui fait la liaison avec Chervone (carte)

Front de Svatove/Koupiansk. Secteur de Kremina/Siversk : sans changement. Au nord Terny a été prise par les Russes qui ont consolidé leur tête de pont de l’autre côté de la Zherebets (carte). De même, une petite tête de pont à Makivka (carte)

Secteur de Pischane : Petite avancée à Kyslivka (carte).

Secteur de Koupiansk : la tête de pont outre Oskil est consolidée. Dvorichna est investie en grande partie. Zapadne est disputée (carte). Le pont sur l’Oskil est détruit (carte).

Front de Kharkiv : RAS

Front de Soudja : Malgré plusieurs efforts russes, Malaya Lokhna reste ukrainienne (carte) . Situation stable à Soudja.

Analyse militaire

Dans la poche de Soudja, les Russes ont repris leurs efforts. La Russie a rendu 2 km² la semaine dernière, et pris 9 km² cette semaine. L’Ukraine ne contrôle plus que 423 km² de territoire russe (carte).

Dans le Donbass, les Russes ont pris aux Ukrainiens 78 km² la semaine dernière, 82 km² cette semaine (carte). Le rythme de progression quotidienne se maintient à 11 km² par jour.

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Si les progressions russes restent limitées, ils ont réalisé saisi Grand Novosilka au sud, Torestsk vers Donetsk, Terny vers Kreminna, autant de localités recherchées depuis des semaines. Chasiv Yar est sur le point de céder. La tête de pont au nord de Koupiansk est désormais fermement établie. La poche de Soudja s’érode lentement. Le siège d’Andrivka se dessine.

A court terme, les Russes vont probablement vouloir atteindre les limites de l’oblast de Donetsk au sud ce qui passera par la prise d’Andrivka. Toujours dans le Donbass sud, ils vont devoir arbitrer entre assiéger Pokrovsk ou relancer leur effort entre Pokrovsk et Toretsk, pour aborder Kostantinyvka par le sud. Ici, la zone de l’échangeur autoroutier est à surveiller particulièrement. S’ils prennent Chasiv Yar, ils pourront pousser contre la localité par le nord.

Dans le Donbass du Nord, ils vont probablement continuer leur progression à l’ouest de la Zherebets et pousser contre Koupiansk.

Enfin, dans la poche de Soudja, ils devraient poursuivre leur effort pour se saisir du thalweg de Malaya Loknya.

Analyse politique

La première phase de négociations discrète s’est achevée, sans résultat notable. La prise de fonction de D. Trump a été l’occasion de plusieurs déclarations. Il a d’abord désigné le général Kellog comme envoyé spécial pour l’Ukraine en lui donnant cent jours pour aboutir. Cela signifie que personne ne s’attend à une conclusion rapide et que les combats se poursuivront au cours des trois prochains mois, a minima, comme je le suggérais dans le précédent point de situation.

Par ailleurs, D. Trump fait une grande pression sur les Ukrainiens, directement ou indirectement. Ainsi, les voix s’élèvent outre-Atlantique pour élargir la conscription aux classes d’âge entre 18 et 25 ans. De même, une circulaire de M. Rubio, le nouveau secrétaire d’Etat, a suspendu quasiment toute l’aide étrangère américaine et cela semble inclure l’Ukraine.

  1. Trump a enfin évoqué vouloir utiliser l’arme du pétrole, en demandant aux pays de l’Opep de baisser les prix, ce qui réduirait les ressources financières russes. Déjà, des mesures contre la « flotte fantôme » commencent à avoir des effets (article). Cependant, la manœuvre paraît compliquée : on voit mal les pays de l’Opep+ obtempérer et simultanément, une baisse des prix entraverait l’accélération de la production de pétrole de schiste qui a besoin d’un prix minimal pour rentabiliser l’investissement. Cependant, cette carte pétrolière est nouvelle et constitue une variation de la pression économique qui fait partie depuis longtemps du jeu américain.

Dès lors, aussi bien D. Trump que V. Poutine ont déclaré être disposés à des négociations. Pour autant, entrer dans des négociations ne signifie pas qu’on a la ferme intention de conclure un accord. Je réitère ici mon scepticisme envers les attentes de Moscou, énumérées il y a quinze jours.

Nous avons appris ce matin les grandes données du plan américain (ici) : L’Ukraine ne serait pas membre de l’Alliance et serait neutre (le prochain sommet de l’Alliance avaliserait le fait), elle rejoindrait l’UE d’ici 2030, elle garde son armée avec le soutien américain, elle accepte la situation territoriale mais ne reconnaît pas la souveraineté russe sur les territoires conquis, les sanctions sont progressivement levées, les minorités russophones ont le droit de s’exprimer, la question d’un contingent européen de maintien de la paix reste ouverte. Il y aurait un entretien téléphonique entre les deux dirigeants d’ici début février, puis on discuterait avec Kiev, puis une réunion tripartite aurait lieu en mars et le cessez-le-feu le 20 avril, jour de Pâque. Fin avril, une conférence internationale de paix s’ouvrirait en incluant les autres pays (Chine, des Européens, des membres du Sud global) et le 9 mai, une déclaration annoncerait la fin de la guerre d’Ukraine. Les élections présidentielles seraient tenues en Ukraine fin août, les législatives en septembre. Si les grandes lignes du plan ne sont pas vraiment nouvelles, le plus intéressant réside dans les détails et le calendrier.

Cela peut-il fonctionner ?

Constatons que ce plan apparaîtra à beaucoup comme allant très loin dans les concessions à Poutine. L’Ukraine n’est pas vraiment consultée et se voit dicter son sort par le parrain américain. Pourtant, rien ne dit que cela satisfera V. Poutine. Ceci n’est que la position américaine en début de négociation et V. Poutine cherchera à obtenir plus. A-t-il la volonté d’aboutir ? Nul ne le sait mais il faut rester très prudent. Car si l’hypothèse d’un accord reste sur la table, une autre hypothèse se fait jour : celle où la Russie fait traîner les négociations, continue les combats et aborde l’été (fin avril) en posture qu’elle espère militairement favorable. Elle parie sur la fatigue de Trump qui peut très bien sortir de l’échec de négociations en déclarant : « j’ai fait ce que j’ai pu, je ne peux aller plus loin, je m’en lave les mains, débrouillez-vous ». Le soutien américain à l’Ukraine s’estompe et la Russie tente d’obtenir par la force ce qu’elle n’a pas eu par la négociation.

Cette hypothèse dépend de l’état réel de l’armée russe et de l’économie russe. L’armée russe paraît fatiguée. A-t-elle encore suffisamment de ressort pour poursuivre la guerre pendant un an ou plus ? Quant à l’économie, si elle ne s’est pas écroulée, elle fait face à des défis évidents. La croissance des deux années passées a conduit à une inflation forte et une pression sur les ressources humaines qualifiées. Ces fragilités sont connues et les sanctions contribuent partiellement à freiner cette activité. Cela est-il tolérable ? Là encore, il est fort possible que les chiffres officiels de Moscou soient maquillés et que la situation soit plus difficile qu’il n’y paraît.

Un dernier mot sur Kiev. V. Zelensky continue de faire des déclarations mais on sent bien qu’il est de plus en plus isolé.  Il est mis de côté pour les négociations, il appelle les Européens à le soutenir mais ces derniers sont eux-mêmes bien préoccupés par le défi trumpien : à leurs yeux, le Groenland est-il un défi plus important que l’Ukraine ? Le simple fait de poser la question montre la perte relative de soutien. Enfin, à l’intérieur, les choses vont moins bien également puisque le soutien de la population commence à s’affaiblir (cf. article).

 

OK

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One thought on “Bilan n° 104 du 26 janvier 2025 (guerre d’Ukraine)

  1. On se permettra d’attendre un peu pour le contenu effectif du « plan » de Trump, dont les divulgations du contenu restent non autorisées.
    Poutine a récemment signalé que 1) il était prêt à parler de tout avec les USA, notamment des questions de sécurité en général, alors que l’administration Biden avait, elle, refusé d’en discuter, 2) que l’Ukraine avait de par une loi, interdit de négocier avec la Russie, et que donc, toute négociation avec l’Ukraine pouvait être entachée de nullité.

    On est donc bien, côté Russe, en position d’attente ironique, rappelant aux occidentaux qu’il s’agissait bien de revenir à décembre 2021 au minimum, sachant que tout accord de type Minsk est bien évidemment absolument exclu, la parole de l’Europe étant en particulier devenue invalide et pour longtemps. D’autre part, la direction Ukrainienne n’est pas reconnue en l’état comme ayant une quelconque légitimité à négocier quoique ce soit.
    Le retour des occidentaux à une table de négociation va devoir se faire en slip et une corde autour du cou, les têtes des acteurs du drame sur un plateau (sauf celle de Biden, qu’il avait perdu depuis longtemps): Zelinkski (évidemment) Scholtz (c’est pour bientôt), Johnson(c’est fait), mais surtout Macron et Van der Leyen, de toute façon interdits de parole pour toujours…

    Pour finir, il est extrêmement douteux, voire absolument invraisemblable, que le retrait des forces ukrainiennes de Russie puisse peser dans une quelconque balance: il leur faudra le faire sans aucune contrepartie, mortes ou vives. Quant à la date de Pâques, un peu étourdiment avancée, il faudra pour y parvenir, donner vraiment beaucoup, les doutes avancés ici étant, pour le moins, convaincants.

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