Ce billet ne reprendra pas tous les éléments du front mais se concentrera sur deux éléments : la chute de la poche de Soudja et le projet de cessez-le-feu temporaire.
Carte Poulet volant (ici, carte datée du 15 mars)
Déroulé des opérations militaires (Soudja)
On sentait depuis quatre semaines qu’il allait se passer des choses dans la poche. Une petite attaque ukrainienne au sud-est de Soudja au début de l’année avait été contrôlée par les Russes puis ceux-ci avaient poussé de part et d’autre du pied de la poche, au point de tenir sous leur feu la R200, pénétrante qui approvisionnait le dispositif ukrainien. Sans surprise, la réduction des flux logistiques affaiblissait les forces ukrainiennes.
La semaine dernière, les Russes concentraient leurs efforts depuis toutes les directions tandis qu’un groupement de forces spéciales (600 à 800 h) parvenait directement dans les faubourgs de Soudja, après avoir emprunté un gazoduc inutilisé depuis plusieurs mois, à la suite d’une opération préparée de longue date. En quelques jours, les forces ukrainiennes perdaient pied et se repliaient vers Soumy. A l’heure d’écrire ce billet, les Ukrainiens ne seraient plus installés que dans quelques km² au sud, tenant deux ou trois villages. Cette dernière enclave devrait logiquement céder.
Analyse militaire
La poche de Soudja a donc été reprise en trois semaines. Si l’on déroule le film des opérations depuis le début, elle avait atteint une surface maximale de 1100 km² en août. Tout au long du deuxième semestre, les Russes avaient grignoté lentement pour ne laisser au début de l’année qu’un peu plus de 400 km². C’est ce reliquat qui est rapidement tombé avec une accélération de la poussée russe depuis trois semaines.
Ce rappel chronologique est utile pour nous rappeler deux éléments, tous deux liés aux négociations en cours.
D’une part, la décision ukrainienne de l’été 2024 n’avait pas de sens militaire mais un objectif politique, comme nous l’avons précocement signalé dans ces billets. Cela veut dire que très tôt, la recherche du gage territorial dans le cadre de négociations à venir a été choisie par Kiev. Je rappelle qu’en 2024, quand on évoquait la possibilité de négociations, on était frappé d’anathème. Kiev avait analysé la situation stratégique et savait que les élections américaines approchant, des négociations débuteraient, d’une manière ou d’une autre, en 2025. Nous y sommes.
D’autre part, la décision russe de réduire la poche de Soudja été prise il y a plusieurs semaines. Le simple fait que l’opération du gazoduc ait été lancée il y a quatre semaines le prouve. L’accélération du tempo n’est donc pas due à la cessation de l’appui américain, trop fugace (5 jours) pour avoir un effet tactique aussi rapide, n’en déplaise là encore à certains commentateurs hâtifs. Ici aussi, la pression des négociations a été déterminante. C’est parce que nous sommes entrés depuis quelques semaines dans cette dynamique de discussion que les Russes ont pris la décision de réduire la poche de Soudja, précisément pour ne pas laisser aux Ukrainiens ce gage territorial, de façon qu’il ne soit pas mis sur la table des négociations.
Pour le reste, le retrait accéléré de la poche par les forces ukrainiennes est à moitié surprenant. Être pressé de trois côtés avec une incursion dans son dispositif ne permet pas d’assurer une résistance très organisée. Cependant, la rapidité du retrait suggère que l’épuisement logistique avait porté ses fruits. Il est possible aussi que le retrait très rapide du haut de la poche ait été favorisé par les Américains. Nous le saurons en observant 1/ si les Ukrainiens poursuivent leur combat pour garder les quelques villages limitrophes de la frontière (cela semble le cas) ; 2/ si les Russes poursuivent leur effort par-delà la frontière, en direction de Soumy, et constituent une zone tampon et surtout la conservent.
Les Russes ont désormais plusieurs options. Soit se cantonner à la frontière soit au contraire avancer en territoire ukrainien pour menacer Soumy mais surtout se créer une zone tampon et fixer des forces ukrainiennes qui ne seraient pas réengagées ailleurs.
Pour conclure, l’initiative ukrainienne de l’été 2024 aura surpris à défaut de convaincre. Elle était le signe d’une situation difficile où Kiev a parié sur l’audace et privilégié un objectif politique sur un objectif militaire. Ça ne paie pas toujours
Appréciation politique
Ainsi donc, les Américains auront mis une énorme pression sur les Ukrainiens, ne nous y trompons pas. L’annonce de l’arrêt des livraisons d’arme et de fourniture de renseignement, à la suite de la réception brutale de Zelensky à la Maison Blanche, l’a confirmé. Après la proposition ukrainienne d’une trêve « aérienne et maritime », voici la proposition d’une trêve complète de trente jours. Cet « accord » américano—ukrainien, annoncé à la suite d’une « négociation » à Djeddah, a été célébré par certains comme un progrès. Il est surtout apparu comme une mise en scène puisqu’au fond, cette proposition ne constitue pas en soi une avancée, ni même comme une concession de la part de Kiev. Au moins a-t-elle permis de revenir sur l’annonce précédente de la cessation des livraisons d’armes et de renseignement. Certes, comme dans tout système d’enchère, le premier qui prend la parole prend le risque de paraître le moins fort. Kiev a accepté, volens nolens, de le faire pour lancer la partie.
Il s’agissait au fond de mettre la balle dans le camp de Moscou. Evidemment, Moscou ne pouvait accepter en l’état une telle proposition. Vu du Kremlin en effet, la situation politique et militaire paraît favorable avec une économie résiliente, une industrie de défense en ordre de marche et des difficultés sur le terrain qui paraissent endurables. Dans l’analyse du rapport de force, préalable à toute négociation, Moscou estime être en meilleure position. Vu du Kremlin, une trêve signifierait de laisser souffler l’Ukraine. La chose n’était donc pas acceptable.
Pour autant, un refus trop net était impossible puisque justement, cette première initiative ukraino-américaine avait pour objectif de lancer les négociations. Il fallait donc faire semblant d’accepter le principe tout en délayant la mise en œuvre. Ainsi a-t-on assisté à des manœuvres dilatoires, des prises de paroles intermédiaires de l’entourage du Kremlin, du temps passé à « examiner la situation » avant d’arriver à la conférence de presse de Poutine qui a consisté en un « oui mais » qui voulait dire poliment non. Il devait ménager Trump et ne pas l’humilier ouvertement, tout en faisant passer le message qu’il se sentait en position de force. Au fond, comment dire non en faisant semblant de dire oui ? Comme dit l’adage : quand un diplomate dit oui, ça veut dire peut-être, quand il dit peut-être ça veut dire non. Un diplomate ne dit jamais non, c’est mal élevé. Poutine n’a pas dit non, mais sa réponse était négative.
Tout ça pour ça ? cela n’aurait donc servi à rien ?
Mais si. D’abord, une négociation est une sorte de partie de ping-pong, chacun renvoyant la balle pour mettre l’autre en difficulté. C’était le rôle de la première annonce de Djeddah, ce fut celui de la réponse du Kremlin. Cela signifie que la partie est engagée ce qui constitue un vrai pas en avant. Cela ne veut pas dire pas qu’elle ira à son terme mais qu’au moins, le cycle a commencé. On devine que V. Poutine a remis à l’émissaire américain, Steve Witkoff, des conditions très dures. Chacun émet ses demandes les plus radicales, les diplomates se sont mis au travail, les échanges seront durs et difficiles.
Dans tous les cas, un accord final inclura un arrêt des hostilités (mais pas seulement, puisqu’il faudra aussi parler des sanctions, du statut de l’Ukraine, des prisonniers, d’accords économiques, de liberté de navigation, …). Il faut donc évoquer les aspects techniques de cet arrêt des hostilités. Discuter de la « trêve » est le moyen trouver pour évoquer cette partie-là des négociations. Même si cela n’aboutit pas à court terme (même s’il n’y a pas de trêve préalable à un accord de paix), en discuter permet de passer en revue tous les aspects d’un cessez-le-feu. C’est donc utile et de bonne méthode.
Ainsi, il est illusoire de penser que l’on va arriver rapidement à un accord. Le dialogue va durer pendant des semaines voire des mois.
Ici, l’observateur doit être conscient de deux choses :
- Poutine juge qu’il a le temps et que Trump à la montre : autrement dit, l’un est moins pressé de conclure que l’autre.
- Pendant les travaux, la vente continue : autrement dit encore, ce n’est pas parce que les négociations ont débuté que les combats vont cesser. Il est fort possible au contraire que les deux parties cherchent à prendre de nouveaux avantages sur le terrain.
OK