Martine Cuttier nous propose une lecture de « Coopérer avec les armées africaines« , rédigé par Aline Leboeuf et édité dans la collection des Focus stratégique de l’IFRI. JDOK
Depuis les indépendances, tout en s’adaptant au contexte historique donc stratégique[1], l’armée française pratique la coopération auprès des armées africaines et particulièrement celles de la zone subsaharienne confrontée à de nouvelles menaces : terrorisme, criminalité, insurrections, piraterie… avec des résultats très discutables. L’auteur tente de dresser un état des lieux de la coopération militaire et de saisir les raisons des piètres performances d’armées[2] le plus souvent professionnelles pourtant très sollicitées et tenues à bout de bras par nombre d’Etats dont la France au titre de la coopération.
La première partie décrit la diversité de la coopération militaire : les très nombreux acteurs étatiques (p14-20), les rapports au cadre diplomatique (p 21-22), les différents types de conseillers et de coopérants (p 26-27), les formations proposées et les exercices p 23 – 28), le soutien matériel (p29) et l’aide financière (31)[3]. (cliquez pour lire la suite)
Les quelques pages de la deuxième partie qualifient ces armées de « patchwork » du fait des couches successives ajoutées au gré des mutineries et des processus DDR de sortie de crise et de la diversité des coopérations qui induisent, au sein d’une même institution, diverses cultures militaires souvent incompatibles, plusieurs types de formation et une disparité d’équipements, sources de tensions y compris hiérarchiques, de clivages, de nécessaires réadaptations. Et de conclure que ces armées ne peuvent se passer des coopérations qui s’avèrent contre-productives d’autant qu’elles n’effacent pas les caractères ethniques ou claniques du recrutement et de l’avancement ni le patrimonialisme, la corruption voire les pratiques relevant de la sorcellerie….(p 33-36)
Une troisième partie évalue la coopération du point de vue des coopérants. La coopération de substitution[4] devient coopération de conseil ou d’appropriation où l’officier étranger ne décide pas mais conseille, propose donc s’adapte (p 41-43). Situation frustrante car il a le sentiment d’un travail inachevé, étant confronté à des forces souterraines : famille, ethnie, cousinage… qui lui échappent. A propos de l’adaptation, il est intéressant de noter que, lors du Forum sur la paix et la sécurité de Dakar, de novembre 2017, des dirigeants comme le président du Sénégal Macky Sall ou le président de la Commission de l’UA Moussa Faki Mahamat se prononçaient pour des interventions internationales plus adaptées aux réalités locales et appelaient les Occidentaux à tenir compte des réalités des pays qu’ils aident. La frustration du coopérant peut tenir au décalage entre les ambitions annoncées et les lourdeurs structurelles liées aux armées « patchwork ». Ainsi un général peut fixer une mission au coopérant-conseiller que refuse son état-major. Autre cas : des textes rédigés par les coopérants peuvent être rejetés ou bien les militaires locaux les présentent comme étant leur propre production. Une appropriation signe de la capacité d’adaptation. Cela renvoie à la qualité du recrutement et à la formation des coopérants car le métier ne s’improvise pas et tout est question de culture (p 44). Conseiller est une chose mais avoir de l’influence en est une autre (p 44). En réalité, l’efficacité et l’influence dépendent de la volonté des élites politiques à utiliser la coopération quitte à jouer un bailleur contre un autre (p 46), autant de signes des relations civilo-militaires. Il ne faut pas négliger la faiblesse des budgets de défense où le chef de l’Etat doit arbitrer entre financer la sécurité ou le développement (p 47). A ce sujet, l’auteur oublie qu’une partie non négligeable de l’économie de nombre de ces pays est basée sur le secteur informel qui certes, cantonne les crises sociales, mais ne favorise pas les rentrées fiscales.
Enfin, la coopération ne peut être utile et efficace que si le coopérant accompagne au plus près les unités sur le terrain, au front, que ce soit au sein des opérations de paix onusiennes ou africaines comme le G5 Sahel. Coopérer en préparation au combat et pendant le combat, entre « frères d’armes », cela peut être difficile du fait des cultures de guerre et des pratiques différentes (p 49). Depuis 2014, la France a ainsi mis en œuvre au Mali les détachements de liaison et d’assistance opérationnelle (DLAO) qui rappellent les OMLT[5] afghanes. Mais conseiller et appuyer ne signifie pas commander les forces déployées.
L’auteur achève son étude par des propositions à propos de la gouvernance des armées africaines en évoquant la réforme du secteur de la sécurité (RSS) « par le haut » ce qui impliquerait, en France, de financer de la recherche-action et des travaux en sciences sociales afin de former les conseillers RSS (p. 56). Former à la connaissance des pays où la France intervient militairement n’est pas une préoccupation nouvelle, dés l’époque coloniale les Troupes de marine se soucièrent d’écrire la geste de la conquête en créant des centres d’études afin de constituer des fonds d’archives[6] et d’étudier les territoires et les populations des colonies dénommées l’Outre-mer après les indépendances. L’un des plus importants fut, en 1950, le Centre d’études asiatiques et africaines (CEAA) devenu, en 1955, le Centre militaire d’information sur l’outre-mer (CMISOM) doté d’une section d’histoire. Il prend le nom de Centre militaire d’information et de documentation sur l’outre-mer (CMIDOM), en 1965 puis d’Ecole militaire de spécialisation de l’outre-mer et de l’étranger (EMSOME), en 2003 transformé depuis 2016, en Etat-major spécialisé pour l’outre-mer et l’étranger[7] dont la mission reste la formation, l’adaptation à l’interculturalité et l’expertise sur l’outre-mer et l’étranger au profit des militaires de l’armée de terre destinés à servir « outre-mer » dans le cadre d’une affectation de longue durée, d’une mission de courte durée ou d’une OPEX. Le but est opérationnel. L’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM) qui dépend désormais de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) rattaché au ministère des armées œuvre dans le domaine de la recherche. Le temps s’écoule et la France, devenue une puissance moyenne, continue à s’occuper des affaires du monde. Plus que jamais, elle trouve, en Afrique, sa zone d’influence politique et économique à travers la présence de son armée.
Martine Cuttier
[1] Pendant la guerre froide, le continent africain était un enjeu stratégique majeur entre les deux camps qui aspiraient à dominer le monde. Avec la fin du monde bipolaire, il se trouve déclassé puis au début du 21e siècle, il regagne l’intérêt des grandes puissances face à la concurrence des émergents et particulièrement de la Chine.
[2] L’étude concerne principalement les forces terrestres.
[3] Souvent pour payer les soldes, les primes et les retraites afin d’éviter que les hommes en uniforme ne s’en prennent aux populations civiles.
[4] Un officier étranger remplace un officier africain.
[5] Operationnal mentor and liaison team ou Equipe de liaison et de tutorat operational (ELTO) dont la mission était d’instruire les soldats afghans et de les appuyer au combat.
[6] Depuis 1996, les archives coloniales et d’outre-mer sont déposées au Centre d’histoire et d’études des Troupes de marine (CHETOM), à Fréjus, où se trouve le musée des Troupes de marine. Il relève du service historique des armées (SHD), à Vincennes.
[7] En 2018, il quittera Rueil-Malmaison pour l’Ecole militaire.