La Vigie a demandé à son stagiaire de travailler sur les stratégies spatiales des petites puissances. Voici son premier billet : saviez-vous que le Luxembourg était une puissance spatiale ? Oui, désormais, grâce à lui. LV
Le Luxembourg investit massivement dans la recherche spatiale afin d’attirer des entreprises capables d’extraire des ressources spatiales commercialisables sur terre. L’objectif : diversifier l’économie du pays.
Avec 200 millions d’euros annuels alloués au secteur spatial, soit 2% de son PIB, le Luxembourg est l’État européen qui consacre la plus grande part de son budget à la recherche spatiale. 50 entreprises ou laboratoires de recherche, qui emploient 800 personnes, y sont implantés. L’exploration spatiale et l’extraction de ressources (principalement de métaux) pour les vendre sur terre répondent pour le Luxembourg à un objectif principal : diversifier son économie, qui dépend à 30% des services financiers. Si le Luxembourg est aussi impliqué dans le lancement de satellites, ses efforts s’orientent principalement vers la recherche de débouchés économiques : renforcement du domaine de ses activités spatiales (développement de compétences notamment), compétitivité accrue de ses entreprises et centres de recherche…
Ainsi, en quoi la stratégie spatiale du Luxembourg répond-elle davantage à un objectif économique qu’à une réelle volonté de puissance spatiale ?
Le développement du secteur spatial au Luxembourg : la prééminence de l’approche économique
Dès 1985, la Société européenne des satellites (SES) est créée au Luxembourg. En 2005, le pays adhère à l’Agence spatiale européenne (ESA) et, en 2016, l’initiative SpaceResources.lu, qui vise à développer les compétences nécessaires à l’extraction des ressources spatiales, est lancée. La loi sur l’exploitation des ressources spatiales, qui dispose que les ressources spatiales ramenées sur terre par des entreprises domiciliées au Luxembourg peuvent être appropriées, est promulguée un an plus tard. Le Luxembourg devient ainsi le premier pays européen à codifier dans son droit l’extraction des matériaux ramenés de l’espace. En 2018, l’Agence spatiale du Luxembourg (Luxembourg Space Agency, LSA) est fondée en coopération étroite avec l’ESA et le ministère de l’économie. Toutes ces évolutions, politiques et législatives, témoignent de la prééminence de l’approche économique dans la stratégie spatiale du pays.
Cependant, il serait erroné de négliger la diversité des visées luxembourgeoises. Domaine civil et militaire, coopération européenne et transatlantique… Le Grand-duché multiplie les approches pour donner de l’épaisseur à sa politique spatiale.
Une multiplicité des approches
Même s’il coopère avec ses partenaires européens, le Luxembourg n’hésite pas à se tourner vers les Etats-Unis. En 2018, la SES, en partenariat avec le gouvernement luxembourgeois, charge SpaceX de lancer le satellite à usage militaire GovSat-1 depuis la Floride – fait marquant puisque les satellites européens sont normalement lancés depuis Kourou. GovSat1 est censé symboliser un engagement fort du Luxembourg en faveur de l’OTAN, puisque ce satellite géostationnaire servira à des opérations otaniennes sur des territoires d’opérations allant du Moyen-Orient à la mer Baltique. En plus du domaine militaire, le partenariat avec les Etats-Unis s’étend au civil. Les Etats-Unis comptent notamment sur la SES pour assurer la couverture 5G de leur pays. Si la stratégie spatiale du Luxembourg cherche à couvrir le plus de terrain possible, cela fait-il de ce pays une grande puissance spatiale ? Quelles sont les limites des aspirations luxembourgeoises ?
Difficultés de la stratégie spatiale luxembourgeoise
La politique spatiale luxembourgeoise rencontre des limites. Le Luxembourg reste un pays de petite taille, ce qui complique la construction d’installations de lancement sur son territoire, et ne peut pas consacrer des sommes comparables à celles de grandes puissances au secteur spatial. Reste en outre que le droit international est flou sur la possibilité de s’approprier des matériaux spatiaux ramenés sur terre afin d’être vendus, ce qui pourrait engendrer des frictions avec la communauté internationale. Difficile pour le Grand-duché, dans ces conditions, de prétendre au statut de grande puissance spatiale. Le Luxembourg cherche en réalité surtout à se positionner sur le terrain économique de l’extraction des ressources spatiales pour pallier les faiblesses de son économie avant de vouloir à rivaliser avec notamment la Chine ou les Etats-Unis. La conquête spatiale luxembourgeoise est un impératif économique national, et non un outil géopolitique.
J. Crisetig