Les temps sont durs pour le stratégiste qui tente d’aider les candidats à l’élection présidentielle à se préparer aux affaires militaires et stratégiques qui relèvent de sa charge. Il doit accorder vision, expertise, rationalité, réalisme et ambition pour la France. Ainsi équipé, il doit alimenter en options fécondes le candidat qui prétend à la charge d’exercer le contrôle politique et la direction stratégique des entreprises du pays.
Pour cela, il lui faut rester sur la hauteur, s’écarter du vacarme ambiant, garder du recul, méditer sur la marche du monde, évaluer les dangers qu’elle présente pour notre pays, les parer et discerner les occasions propices qui s’offriront au leader résolu. Il doit donc être à la fois le gardien méthodique du temps long stratégique et le promoteur de la cohérence de la manœuvre générale de sécurité du pays. Quelle gageure face à un candidat politique pressé !
La planification stratégique est une discipline ingrate
En France, beaucoup d’efforts louables ont été faits depuis la fin de la Guerre froide, il y a 30 ans, pour structurer la prise de décision politico-militaire, évaluer et encadrer les risques et réaliser la mise en garde du pays. De multiples structures permanentes s’y adonnent et leurs chaînes de décision sont actives et rôdées. Les échelons de synthèse ne manquent pas, les cellules de crise non plus. Pourtant, nos vulnérabilités restent béantes, nos réactions laborieuses et nos entreprises fragiles. Mais les temps sont durs. Et le stratégiste de mesurer la nuisance combinée des biais enkystés dans notre posture stratégique et nos enrôlements hétéroclites, trop souvent au prix de l’impuissance. Des non-dits implicites ne biaisent-ils pas la plupart des décisions de l’exécutif ? Et ne manque-t-il pas une vraie centrale de cap à la fusée stratégique de la France qui va du SGDSN au Conseil de défense et de sécurité ?
À la recherche du modèle stratégique perdu
Après une élection américaine qui a déçu la scène stratégique et un Brexit dur, au cœur d’une crise aigüe américano-russe pour l’Ukraine et de la rivalité systémique américano-chinoise, dans le sillage d’une pandémie qui ne cesse de rebondir et la centralité d’une PFUE « à la française », le stratégiste scrute l’avenir. Gardien de la pérennité du pays, soucieux de sa marge de manœuvre et adepte de choix pragmatiques, il déplore les zig zag de l’action extérieure de la France et cherche comment y remédier.
Car comment articuler les réalités françaises du moment, le contexte international et le projet politique qui va fonder la légitimité de l’exécutif ? Il y faut une combinaison complexe qui souffrira de la pratique quinquennale de la Ve République qui limite sa portée. Or la politique extérieure de la France, héritière d’une longue expérience singulière, se devra de traduire l’immanence française et de porter des projets et des partenariats hérités de l’histoire, de la géographie et de la culture qui la constituent. Et sa cohérence conditionnera sa pertinence tout comme son efficacité sa lisibilité.
Mais en 2022 la France ne pointe plus qu’au 6ème rang des puissances économiques et ne compte plus que pour 0,9% de la population mondiale. Depuis la fin de la Guerre froide et la déconstruction rapide des alliances et des régulations multilatérales, avec l’émergence de nouveaux compétiteurs, étatiques ou non, et après les désordres sociopolitiques dus aux chocs répétés sur les sociétés avancées, l’action extérieure de la France a perdu en efficacité, en continuité et en lisibilité. Et la trajectoire déclinante de la France pourrait bien résulter de l’expansion et de la diversification de la planète, du désordre atlantique, de l’inadéquation européenne et de la dérégulation mondiale. Qu’y faire ?
Elle a de fait abandonné cette position médiane hier enviée. Car elle hésite encore entre l’obligation obstinée de défendre la gouvernance avantageuse qui prévalait hier et le défrichage rapide de l’actuelle société internationale démultipliée pour préserver une place lui permettant de valoriser ses atouts spécifiques. Alors le stratégiste voudra proposer une pratique stratégique plus cohérente et plus décisive pour redonner à la France une personnalité lisible et une autorité perdue. Car elle doit affronter pour les années à venir des défis pressants, participer à une régulation régionale qui la concerne et valoriser ses aptitudes intactes dans un monde qui se recompose. Le stratégiste pense qu’il faut changer de modèle, de tempo et de pratique stratégique pour surnager dans l’instabilité actuelle.
Dès lors la rude tâche du stratégiste en ce début d’année présidentielle est à la fois de voir comment préserver la personnalité stratégique de la France et accepter de nouvelles règles d’un jeu dont elle ne possède pas toutes les clés. Cette double exigence qui emporte des prescriptions contradictoires exige du candidat lucidité, courage et continuité des efforts.
Désencombrer notre posture stratégique
Pour affronter cette donne qui combine accélération du changement, simultanéité d’enjeux cruciaux multiples et rapide montée aux extrêmes, le stratégiste préconise une grammaire stratégique, une agilité et des réflexes politico-militaires renouvelés.
Pour remédier au dysfonctionnement systémique, il propose quatre tâches préalables.
* La première tâche est de faire la chasse à l’implicite stratégique qui biaise nos actions extérieures et nous distrait de l’obligation de cohérence.
Nos nombreux biais relèvent souvent de prémisses subjectives : notre tempérament (grandeur, exemplarité, panache), nos acquis politiques à la base de notre culture étatique déclaratoire (État de droit, démocratie, valeurs, progressisme, jacobinisme, légalisme), notre prédilection pour les superstructures, les enceintes, les concepts (universalisme, européisme, multilatéralisme), notre histoire impériale et ses rémanences en Europe et en Afrique.
L’ensemble de ces biais rend la France d’aujourd’hui prétentieuse et prévisible au point que ses compétiteurs en jouent facilement pour la manœuvrer. Aujourd’hui, cet implicite stratégique qui relève plus de nos élites que d’une appétence populaire nous fait souvent oublier nos intérêts et sacrifier nos atouts.
* La seconde tâche consiste à effectuer clairement la hiérarchisation de nos choix et des compromis nécessaires à la satisfaction de nos besoins. Ici, on peut évoquer le coûteux parti pris d’exemplarité écologique qui dans le sillage d’un accord de Paris plus fastueux que réaliste nous a contraint à réduire notre atout nucléaire. Ainsi va aussi notre engagement européen indéfectible mené de front avec un atlantisme périmé qui interdit une autonomie stratégique européenne pourtant revendiquée. On doit maintenant choisir.
* La troisième est de détecter les enrôlements pervers qui dispersent nos efforts et affaiblissent notre posture générale. Ainsi notre illusoire connivence américaine qui nous a posté aux portes militaires de la Russie et enrôlé dans le camp antichinois. Ainsi aussi le double jeu trouble auquel nous entraînent nos lucratives exportations d’armement vers des États qui soutiennent l’Islam radical, celui-là même qui mine nos sociétés, ou encore notre connivence avec des États amis minés par la gangrène des narcotrafics.
* La dernière est d’affirmer sans concession ni variation nos principes et de poursuivre de façon opiniâtre nos objectifs à moyen terme, tant à l’intérieur et qu’à l’extérieur. La consistance résolue de nos engagements doit refonder notre autorité et notre crédibilité.
Une planification stratégique soignée pour temps incertains.
Pour toutes ces tâches de salubrité stratégique à charge de l’exécutif dont l’ampleur et la perspective dépassent largement la durée d’une législature, le stratégiste recommande de disposer d’une grande stratégie de moyen terme. Et aussi de doter la tête de l’État d’un outil d’éclairage et de continuité au profil comparable au cabinet secret qui, depuis Richelieu, s’assurait de la validité des projets stratégiques du royaume. Sa composition, son positionnement avaient été ébauchés en 2007 au début de la législature du Pdt Sarkozy sous le vocable obscur de Conseil d’orientation des options stratégiques. Il sera bien utile demain. Car il y a un risque pour notre action extérieure de considérer qu’il serait devenu illusoire de programmer l’avenir, qu’il suffirait de se soumettre au flux stratégique, de réagir habilement et de bien manœuvrer dans les rapides du moment. Une stratégie d’affût et d’opportunisme en quelque sorte. Toute la tradition militaire française et la culture de planification stratégique s’oppose à cet aventurisme à courte vue que réfutera donc ici le stratégiste.
Muni de ces garde-fous que lui suggère le stratégiste, le candidat élu pourra alors s’adonner aux circonstances qui régulent l’action quotidienne du chef de l’état et sollicitent les arbitrages permanents de l’exécutif dans les situations chahutées.
Il y aura de la place pour la planification stratégique tant qu’il y aura de la place pour une vision de la France entre Europe et Méditerranée dans « le monde multiple » du XXIe siècle. À cette vision devront correspondre un projet et une vraie stratégie d’action intérieure et extérieure pour garantir la sécurité des Français et la pérennité de la France en Europe et de l’Europe dans le monde. Le temps vient de les formuler avant le rendez-vous d’avril.
JOCV
L’Europe (7,4% de la population mondiale) peut jouer un rôle dans les affaires du monde avec sa locomotive économique l’Allemagne suivie par les 26 autres wagons et avec la puissance nucléaire militaire française.
L’europe s’inscrit dans la stratégie militaire de l’Otan.
En matière de stratégie, le stratégiste pourrait se poser la question suivante: L’Europe doit-elle suivre la stratégie américaine en tant que vassal de la puissance américaine qui prône l’América first et les autres s’il en reste ou l’Europe peut -elle dégager une stratégie propre tout en restant alliée des USA pour la sphère atlantique Nord? Je pencherais pour la seconde option en développant vis-à-vis de la guerre pour la suprématie du monde entre Chine et USA une stratégie de neutralité d’influence encourageant ces deux-là à penser d’abord au bien-être de l’humanité et à la survie de la planète.
Cette stratégie de neutralité d’influence (que pourrait rejoindre l’Inde, pays non aligné et pourquoi pas la Russie dans un partenriat avec l ‘UE et l’Inde) aurait pour mobile la nécessité de se forger une solide philosophie d’action par le renouvellement de la notion de création d’un nouveau concept démocratique prenant sa source dans la volonté des peuples à participer aux orientations de leur pays conjointement avec chaque présidence de chaque Etat.
L’Europe, l’Inde, la Russie en travaillant ce nouveau concept pourraient faire office de contre-pouvoir d’opposition face aux vélléités d’hégémonie des deux superpuissances mondiales tant économiques que militaires. Vous aurez compris le but ultime de cette stratégie d’arbitre et de neutralité façon ONU permettant l’assumer le rôle de médiateur dans les affaires du monde en soutien de l’ONU passant du rôle de machin à machine à produire une stratégie mondiale d’entente entre les peuples pour garantir l’avenir de l’humanité.
C’est peut être cela aujourd’hui le rôle du stratègiste progressiste.
Pour plus d’informations lire « Vers une nouvelle démocratie » Ed Maïa