Bilan hebdomadaire n°8, aspects militaires, suite du n°7, en date du 24 avril 2022 (ici).
Nous passons le 60ème jour de guerre : j’avais annoncé dès le début que le conflit serait long et indiqué qu’il pourrait évoluer en conflit gelé. (NB : prenez une carte pour suivre ce billet).
Nous n’en sommes pas encore là mais le rythme des opérations reste lent. Marioupol n’est plus un front. Les derniers résistants (1500 ?) sont assiégés dans l’usine d’Azovstal et ne constituent plus une menace militaire consistante pour les Russes. Ils sont enfermés dans leur réduit sans liberté de manœuvre et de moins en moins d’autonomie. Les RU ne s’y sont pas trompés qui arrêtent de vouloir investir le lieu, colmatent toutes les ouvertures et attendent la reddition. Ils n’y consacrent plus que 4 ou 5 bataillons. D’autres doivent tenir la ville ou se remettre en condition. Les derniers pourront être affectés à d’autres secteurs. Marioupol sera présenté comme un succès RU et VPP a son discours prêt pour le 9 mai. Mais les opérations ne sont pas finies pour autant.
Notons au passage : l’échéance du 9 mai ne se lit que dans les commentaires occidentaux, jamais chez les Russes. Le 9 mai reste bien sûr une date importante pour Moscou (victoire sur le nazisme) mais ne constitue pas une fin temporelle des opérations. La guerre se poursuivra au-delà.
Il y a désormais trois fronts : nord-Donbass, sud Donbass, poche de Kherson.
A/ Au nord du Donbass, les RU ont un peu progressé. A l’ouest d’Izioum, ils sont établis sur une ligne Zavhorodojne (non tenue) – Brazhkivka (tenue) au sud. Ils auraient pris Lozove à l’est d’Izioum et ont donc établi une liaison au sud de la rivière Oskil. De là, le front redescend vers le sud-est jusqu’à Tors’ke et les combats se dérouleraient pour le contrôle de Lyman. Le prochain objectif tactique des RU est donc de s’établir sur la ligne Dovhenke-Lyman qui constituerait une base d’assaut sur Slaviansk. Un peu plus à l’est, après avoir pris Kramine la semaine dernière, ils ont pris une grande partie de Roubijne, le dernier faubourg au nord de Severodonetsk. Au sud de la ville, ils poussent vers Lysychansik pou renvelopper Severodonetsk. Enfin, plus au sud, ils progressent lentement à partir de Popasna vers Sloviansk.
Ainsi, le grignotage russe se poursuit, très lentement. Les positions défensives UKR sont fortes et enterrées mais semblent céder peu à peu sous le déluge d’artillerie. Cette première tenaille russe (d’abord Severodonetsk puis le combiné Slaviansk Kramatorsk) se met en place méthodiquement.
Les deux parties tentent d’agir sur les flux logistiques. Ainsi, le URK ont lancé une offensive au sud de Kharkov, progressant jusqu’à Bazaliivka. L’objectif consiste à couper l’axe logistique nord sud qui approvisionne le dispositif à Izioum, à 30 km de là. Cependant les RU ont doublé leur axe logistique avec un autre plus à l’est, et les UKR ne semblent pas pouvoir s’aventurer plus avant.
Le secteur de Donetsk connaît une petite activité (sans qu’il soit possible de parler de front central) : on observe des poussées russes du côté de Horlivka (au N) et Krasnohorivka (à l’O) qui sont aujourd’hui contenues par les UKR.
B/ Le front sud semble se réveiller. Les RU ont ainsi progressé à hauteur de Velika Novosilka et poussé vers Huliaipole. Cet effort semble mineur et en appui de l’effort principal au nord. Il est destiné tout d’abord à fixer des forces UKR au sud et éventuellement à préparer une grande tenaille sud-nord. Zaporija ne semble pas encore un objectif immédiat. Cependant, on observe un certain nombre de frappes RU dans la profondeur sur les points de franchissement du Dniepr, que ce soit à Zaporija ou Dniepro, afin de ralentir le rythme de renfort UKR.
C/ Dernier front, la poche de Kherson. Les UKR ont tenté quelques incursions sans grand succès. Les RU ont également tenté une opération à l’O de Kherson sans grand résultat. Ils semblent progresser un peu au nord de la poche. Ici encore, les RU semblent vouloir fixer un maximum de troupes UKR. Ils ont d’ailleurs fait pression sur la zone quand on a appris qu’un certain nombre de forces d’Odessa avaient été déplacées vers Kiev, avant probablement d’être réengagées à l’est.
Pour résumer, nous assistons de la part des RU à une manœuvre en plusieurs axes : 1- progression au nord du Donbass pour réduire le saillant de Severodontesk dans un premier temps, puis encercler le combiné Slaviansk/Kramatorsk. 2- Animer l’ensemble des fronts pour fixer un maximum de troupes UKR. 3- Frapper dans la profondeur le dispositif logistique adverse.
La manœuvre UKR consiste à : 1- tenir le plus longtemps possible dans le Donbass et user les forces RU au maximum. 2- Tenter ici ou là des C-ATT limitées pour gêner le dispositif RU. 3- Réarticuler autant que possible le dispositif pour renforcer les points faibles. 4- Attendre les renforts en matériels occidentaux. Ce dernier point suppose du temps : acheminement en URK, déplacement discret jusqu’à la zone des combats (matériels et munitions), formation des équipages. Au minimum trois semaines…
Le pdt Zelenski a ainsi fait dernièrement une déclaration où il reparle des négociations. Comme toujours, c’est à interpréter avec prudence. Mais les deux manœuvres, RU et UKR, nécessitent du temps pour atteindre les objectifs qu’elles se sont fixées.
On notera enfin deux déclarations : celle d’un obscur général RU qui annonce que la RU veut aller jusqu’à la Transnistrie. C’est incontestablement un grand objectif de Moscou mais il paraît irréalisable à court ou moyen terme. S’agit-il donc d’une gaffe d’un subalterne ou d’une manœuvre psychologique ? Nous l’ignorons mais il ne faut pas surinterpréter ce détail.
Par ailleurs, Boris Johnson a déclaré en Inde que la Russie pouvait éventuellement gagner la guerre. Là encore, il faut tenir compte des circonstances de l’entretien mais cette déclaration n’est pas très optimiste.
Dans tous les cas, il me semble que cette guerre va durer encore quelques semaines.
OK