Bilan hebdomadaire n° 70 du 23 juillet 2023 (guerre d’Ukraine)
Semaine morose pour les Ukrainiens. Les Russes ont refusé de proroger l’accord sur les céréales, bombardé Odessa et poussé dans tout le Donbass. Cartes : https://twitter.com/Pouletvolant3 Déroulé des opérations Plusieurs séries de frappes sur Odessa cette semaine, en liaison avec l’accord des céréales (cf. infra). Rien
Semaine morose pour les Ukrainiens. Les Russes ont refusé de proroger l’accord sur les céréales, bombardé Odessa et poussé dans tout le Donbass.

Cartes : https://twitter.com/Pouletvolant3
Déroulé des opérations
Plusieurs séries de frappes sur Odessa cette semaine, en liaison avec l’accord des céréales (cf. infra). Rien sur les rives du Dniepr.
Secteur sud : Rien de significatif sur le tronçon ouest de Kamianske. Tronçon d’Orikhiv : Prise de terrain russe en début de semaine entre Novoprovka et Robotyne, avec quelques reprises ukrainiennes au cours de la semaine. Tronçon de Grand Novosilka, toujours poussée ukrainienne mais sans grand résultat, Saromaiorske est toujours russe. A l’ouest du village, les Russes ont repris un peu de terrain mardi. Sans changement depuis. Tronçon de Vouhledar : les sources prorusses signalent une reprise d’activité. Résultat opaque.
Secteur centre, tronçon Donetsk : Poussée russe à Marinka et Avdiivka : les Russes auraient repris les lisières ouest de Vesele. Tronçon de Bakhmout : toujours de féroces combats sur la ligne de crête dominant Klichkivka qui demeure russe pour l’instant mais dans une position de plus en plus précaire. Poussée ukrainienne juste au sud à Andrivka. Pas de changement aux lisières de Bakhmout, au saillant ouest, au nord de Soledar.
Secteur nord, tronçon de Kreminna : pas de changement dans la forêt à l’ouest, poussée russe au sud (seraient à nouveau aux abords de Bilohorivka). Tronçon de Svatove : les Russes ont pris une tête de pont par-delà la Zherebets à hauteur de Karmazynivka (jusqu’à Novojehorivka, soit 5 km), une deuxième tête de pont aurait été établie 3 km au nord à hauteur de Raihorodka. Plus au nord, poussée vers Kuzemivka. Tronçon de Koupiansk : poursuite de la poussée vers Lyman Perchi (les Russes avaient donc abandonné des positions prises en juin, mouvement que je n’avais pas vu), Vishana toujours ukrainien.
Analyse militaire
Semaine très décevante pour les Ukrainiens. Les quelques tentatives (ici à Orikhiv, là à Grand Novosilka, plus loin à Klichkivka) donnent peu de résultats. Le changement de tactique avec l’envoi de petits groupes d’infanterie ne donne pas de résultats. Certains commentateurs expliquent que les Russes fatiguent, qu’il n’y a pas de relève, que leurs stocks, que leurs relèves, que leur commandement, que leur arrière…. C’est possible mais ils disent cela depuis des semaines et rien ne le montre sur le terrain. Désormais, les micro-progressions ukrainiennes sont équilibrées et au-delà par les progressions russes. Il s’agit dans tous les cas de grignotage, conformément à ce qu’on observe depuis la stabilisation du front en octobre dernier, hormis la petite percée russe en décembre de Yakovlivka qui permit la prise de Soledar puis la conquête laborieuse de Bakhmout.
Je continue de m’interroger sur « l’effort » russe dans le secteur nord, entre Kreminna et Koupiansk. Sur la carte, il s’agirait de repousser les Ukrainiens au-delà de la Zherebets puis de l’Oskil : rien de stratégique en soi, juste du confort opérationnel pour conserver la rocade logistique passant par Svatove. C’est pourquoi je suis circonspect quand je lis d’autres commentateurs parler d’une « contre-offensive à la contre-offensive » : cela me paraît bien précoce et surtout, les opérations sont sous-dimensionnées. Il reste que la percée effectuée à hauteur de Karmazynivka menace les positions ukrainiennes à l’est de la Zherebets. Les Russes vont essayer de pousser jusqu’à l’Oskil.
J’observe en revanche que les salves de missiles tirées sur Odessa suggèrent que les Russes ne semblent pas à court de munitions. Il me semble qu’il ne s’agit plus de stocks désormais mais de la production d’une industrie de défense mobilisée. Il faut mettre cela en perspective avec ceux qui, depuis dix-sept mois, expliquent que les Russes seront bientôt à court de tout. S’il est incontestable qu’ils ont diminué leur volume de feu, c’est pire côté ukrainien puisqu’il semble qu’ils ne puissent se renouveler qu’à hauteur de maximum 3000 obus par jour, si j’en crois ce que dis la presse. Il en est de même pour ce qui concerne le matériel : si les stocks russes s’amenuisent incontestablement, il en est de même du côté ukrainien. On se félicite ainsi de l’envoi par l’Allemagne de 10 Léopard 1 A5, soit l’équivalent de l’AMX30B2 (sur lequel je servais au milieu des années 1990 et qui s’apprêtait alors à être remplacé par le Leclerc) …
Donc je n’exclus pas l’hypothèse d’un effondrement russe localisé, ici par manque de relève des troupes, là par manque de matériel ou de munitions. Tout comme je n’exclus pas l’hypothèse d’un écroulement ukrainien localisé pour exactement les mêmes raisons. Mais ces hypothèses sont valables depuis le début du conflit et nous les avons régulièrement rappelées. Peut-être qu’au bout de 17 mois de guerre, elles prennent plus de corps : nous verrons.
A noter qu’on n’a pas signalé de nouvelles purges dans le commandement russe cette semaine. Mais des "puissants" russes (terme qui me semble plus adéquat qu'oligarques, utilisé à tort et à travers) continuent de décéder dans des circonstances curieuses....
Analyse politique
Après la déception du sommet de Vilnius, les mauvaises nouvelles se sont poursuivies. Ainsi, le ministre de la défense britannique a rappelé à V. Zelensky que la fourniture de l’aide occidentale « n’était pas Amazon », ce qui a suscité l’ire du président ukrainien. L’ambassadeur ukrainien à Londres en a fait les frais, lui qui était un des plus brillants de sa génération (cf. ici enfilade de Stéphane Siohan sur le caractère « épidermique » de Zelensky ; lire ceci sous la plume d’un journaliste bien disposé est à noter).
Par ailleurs, la Russie a refusé de proroger l’accord sur les céréales. Certains pensaient qu’Erdogan avait fait pression sur Moscou à l’occasion du sommet de Vilnius : force est de constater que les Russes se sont raidis. Les attaques répétées de la semaine contre Odessa en sont une conséquence directe. Pas un armateur ne risquera un bateau dans la zone, ce qui entrave à l’évidence l’économie ukrainienne, même si sa récolte de céréales sera beaucoup plus réduite cette année que d’habitude. Quant à Moscou, il sera facile de distribuer directement une aide directe aux pays africains ou asiatiques qui voudraient du blé.
Mais le plus inquiétant pour Kiev tient au changement d’humeur du côté anglo-saxon. Nous pointons régulièrement ici les évolutions du débat américain (visiblement ignoré de beaucoup de commentateurs de plateau). Voici que The Telegraph, anglais, publie un article (ici) qui titre sur la possible défaite de l’Ukraine. Nous sommes très loin du discours de la victoire qui prévalait il y a à peine trois mois. L’hypothèse n’est même plus celle d’un conflit gelé. A peine évoque-t-on, avec Asterovitch (ex- conseiller du président Zelensky), un accord négocié avec échange de territoires. Et selon le journaliste auteur de l’article, « Si Kiev échoue sur le champ de bataille, ne parvient pas à briser le pont terrestre vers la Crimée et à restituer la majeure partie du territoire d’ici l’hiver », on parlera de « concessions territoriales ». Contre quoi les échanger ? Une Ukraine tronquée mais membre de l’Otan ? Moscou l’accepterait-il ?
« Si Kiev échoue ». La phrase est désormais prononcée. Certes, il faut garder l’optimisme, comme le fait David Ignatius dans la WaPo (ici). Nous n’en sommes qu’au milieu de l’été et l’Ukraine garde encore plusieurs brigades en réserve, prêtes à intervenir dès qu’un trou se fera jour.
Malgré tout, l’optimisme de la volonté ne fait pas tout. J’ai depuis le début conservé le pessimisme de la raison, quitte à déplaire à certains qui voulaient de belles histoires. Nombreux sont ceux qui les fournissent. Malheureusement, l’humeur à Kiev demeure maussade. Les événements incitent au pessimisme.
A la semaine prochaine.
OK