Bilan n° 109 du 10 avril 2025 (guerre d’Ukraine)

Après la réduction du saillant de Soudja, les Russes ont lentement repris leurs actions de grignotage. Sur le plan diplomatique, aucune avancée convaincante n’a été observée.
Bilan n° 109 du 10 avril 2025 (guerre d’Ukraine)
Source Poulet Volant ici

Désolé de rendre ce billet si tardif : j’ai été pris par quelques autres dossiers depuis le dernier billet (108) qui se concentrait sur la chute de la poche de Soudja. Voici donc un long point de situation.

Après la réduction du saillant de Soudja, les Russes ont lentement repris leurs actions de grignotage. Sur le plan diplomatique, aucune avancée convaincante n’a été observée.

Déroulé des opérations militaires

Front sud : A l’ouest, poussée russe entre Kamianske et Orikhiv. La route 0812 n’est plus sous contrôle ukrainien mais le principal réseau défensif est un peu plus au nord (carte).

Avancée russe au nord de Grand Novosilka Vesele a été pris, leur permettant de pouvoir contourner la grande ligne de défense ukrainienne est-ouest (carte).

Front de Donetsk : Kostiantiniopil n’est toujours pas pris par les Russes (carte). Qq avancées au nord-ouest d’Andrivka (carte). Dans le secteur de Pokrovsk, stabilisation générale (carte). Quelques petites poussées sur la H20 entre Pokrovsk et Toretsk (carte)

A Toretsk, après la série de contre-attaques localisées des Ukrainiens, les Russes tentent lentement de reprendre possession des derniers quartiers de la ville (carte).  

Front de Bakhmout : A Chasiv Yar, sans changement majeur (carte).

Front de Svatove/Koupiansk. Secteur de Kremina/Siversk : inchangé (carte). La tête de pont sur la Zherebets à hauteur de Nevske a été élargie avec la prise de Novohilibka (carte).

Secteur de Pischane : Pas de changement à Svatove (carte). Léger changement à Pischane (carte).

Secteur de Koupiansk : Les Russes ont franchi à de nombreux endroits l’Oskil au nord de Koupiansk : dans la zone, la vallée qui mène à la frontière nord n’est plus la barrière qu’elle fût. La tête de pont s’élargit juste au nord de Koupiansk (carte). Secteur Topoli (carte).

Front de Kharkiv : RAS

Front de Soudja : Comme mentionné dans le billet 108, spécifiquement dédié au saillant de Soudja, celui-ci est tombé, y compris la ville de Soudja. Les Ukrainiens ne tiennent plus que quelques petits arpents et le seul village de Oleshniya, celui de Guyevo ayant été repris cette semaine (carte). Un peu à l’ouest, sans grande surprise (puisqu’ainsi que je le disais, le retrait ukrainien n’a pas été négocié contrairement aux affabulations de certains), les Russes ont franchi la frontière (Veselika, Nvenke, Basivka) et semblent vouloir établir une bande tampon en territoire ukrainien, sans forcément vouloir atteindre Soumy. Un peu plus au sud-est, les Ukrainiens avaient lancé une petite attaque vers Gratovka : ils sont en train d’être lentement repoussés (carte).

Analyse militaire

La poche de Soudja n’existe plus. Les Russes vont terminer de nettoyer les quelques bouts de territoire encore tenus par les Ukrainiens et tenter d’établir une bande tampon en direction de Soumy. L’Ukraine ne contrôle plus que 53 km² de territoire russe dans le saillant, plus 23 km² ailleurs (carte).

Dans le Donbass, les Russes ont pris aux Ukrainiens 40 km² en S11, 64 en S12, 43 en S13 et 45 km² en S14 (carte). Le rythme de progression russe est donc de 7 km² par jour dans le Donbass.

*

La réduction du saillant de Soudja était prévisible dans le cadre des négociations qui ont commencé. Les Russes ne pouvaient tolérer cette éventuelle monnaie d’échange diplomatique. Le pari ukrainien, lancé au creux de l’été dernier, se révèle donc un échec. Il n’avait aucun sens opératif, comme nous l’avions très tôt signalé. Son résultat politique est négatif : on se reportera au billet 108 (ici) qui est spécialement dédié à l’analyser.

Sur le reste du front, les Russes ont relancé l’activité à l’ouest du front sud. Ils semblent consolider leurs positions au sud du Donbass, notamment entre Grand Novosilka et Pokrovsk, zone qui ne constitue plus leur priorité. A Toretsk, ils nettoient lentement les poches de résistance ukrainienne qui s’étaient réinstallées dans la ville. Ailleurs, l’essentiel de leur activité se situe au nord, du côté de la Zherebets et au nord de l’Oskil. Tout ceci donne l’impression d’opérations préparatoires, sans effort marqué : du modelage tactique. Il faut cependant suivre ce qui apparaît comme une percée à hauteur de Terny, sur la rive ouest de la Zherebets, dont les développements s’accélèrent (lire l’enfilade de War mapper ici).

Les Ukrainiens avaient réussi à lancer quelques attaques localisées, reprenant quelques gains (au sud de Pokrovsk ou à Toretsk). Ces opérations ont cessé depuis trois semaines.

Dès lors, les interrogations demeurent. Côté russe tout d’abord : Nous avons constaté depuis décembre un ralentissement certain des opérations. Localement, les Ukrainiens avaient repris l’initiative, réussissant à récupérer quelques bouts de territoire. Ces contrattaques semblent avoir cessé tandis que les Russes ont repris leur grignotage (hormis la reprise de la poche de Soudja, d’une autre ampleur). Alors qu’ils avaient concentré leurs efforts dans le Sud du Donbass, ils ont depuis essayé de pousser aux deux extrémités du front, vers Kamianka du côté de Zaporijia et le long de l’Oskil voire de la Zherebets du côté de Koupiansk. L’option tactique de pousser dans des régions très éloignées afin de disperser les renforts ukrainiens est évidente. Malgré cela, le rythme de progression reste faible, entre 5 et 7 km² par jour, beaucoup moins que les rythmes qui avaient été obtenus en 2024 quand on dépassait les 15 voire les 25 km²/j.

Dès lors, l’observateur s’interroge : est-on en présence d’une culmination ? Certains avaient évoqué ce terme clausewitzien dès avril 2022. Il y avait du vrai (puisque le petit corps expéditionnaire lancé initialement avait raté son objectif de surprise) mais cela supposait que les Russes n’allaient pas se ressaisir. Or il y eut une mobilisation du système russe décidée à la fin de l’été 2022, mise en œuvre tout au long de 2023 et qui donna des résultats évidents au cours de 2024. Le système russe touche-t-il ses limites ? A-t-il épuisé sa supériorité en feu ? les frappes dans la profondeur des drones ukrainiens entravent-elles réellement sa progression ? Les stocks de chars et les recrutements sont-ils tombés si bas que l’ours russe est épuisé, groggy, et n'avance plus que par obstination ? C’est une possibilité que je ne peux écarter.

L’autre est celle d’une pause décidée par les autorités, aussi bien pour des raisons politiques que militaires. Politiquement, les Russes ont pu avoir intérêt à ralentir leurs opérations dans la phase de négociation qui s’est ouverte avec D. Trump. A cette aune, hors l’élimination du saillant de Soudja, les opérations ont consisté en un modelage stratégique avec l’arrêt de la poussée contre Pokrovsk. Militairement, les Russes auraient tiré profit de cette pause pour constituer des troupes de réserve dans la perspective d’une offensive de printemps qui pourrait se déclencher bientôt. Dans ce qui n’est encore qu’une hypothèse (régulièrement mentionnée par les sources ukrainiennes, d’ailleurs), le commandement russe voudrait tirer parti de l’attrition observée chez les Ukrainiens pour obtenir des ruptures localisées et conquérir des territoires significatifs. La météorologie redevient clémente : nous saurons bientôt si cette hypothèse est bonne. Si c’est le cas, cela infirmera l’hypothèse de la culmination.

Côté ukrainien, le clair-obscur domine. L’armée a entamé une grande restructuration en voulant créer un niveau de corps d’armée. Pour l’instant, la ligne tient globalement et des réseaux de fortifications sont aménagés dans la profondeur. Enfin, le Rapfeu paraît moins négatif qu’il ne fût, grâce à des approvisionnements en provenance d’Europe mais aussi à l’augmentation de la production de drones, aussi bien de contact que dans la profondeur : cette artillerie de poche et à bas coût permet à l’Ukraine de compenser son déficit en artillerie. Mais le tableau a un côté sombre. Le premier est évidemment le tarissement, dans des limites peu connues en source ouverte, de l’aide américaine. La révélation par le New York Times de l’aide en planification fournie par les Américains à Wiesbaden (ici), confirmée par Zaloujny (ici), montre la dépendance extrême des FAU à l’aide américaine. Le 7 avril, les Américains annonçaient retirer leur participation à la base de transit logistique installée en Pologne (ici). Par ailleurs, la situation des ressources humaines va en s’aggravant. Les morgues en arrière du théâtre sont pleines (voir reportage de BFM) et la campagne de recrutement fait face à une augmentation des désertions (au moins 100.000, chiffre jugé sous-évalué, voir ici). Autant dire que la ligne de front paraît fragile. Rien n’est perdu mais rien n’est garanti.

Dès lors, chacun est suspendu au résultat de cette fameuse offensive de printemps. D’elle dépendra le résultat d’une éventuelle négociation. Car les deux parties veulent encore en découdre, malgré le processus politique qui se déroule simultanément.

Analyse politique

Les négociations ont donc commencé depuis plusieurs semaines. Sans donner de résultats sinon un vague cessez-le-feu maritime en mer Noire. Aujourd’hui, elles semblent à l’arrêt mais il est vrai que les multiples décisions de D. Trump détournent l’attention de l’Ukraine (menaces contre les Iraniens, augmentation des droits de douane, …). Peut-être cette discrétion médiatique est-elle propice aux vraies négociations. Peut-être ne se passe-t-il plus rien.

Au fond, j’ai le sentiment que MM. Trump et Poutine ne discutent pas d’abord de l’Ukraine. La négociation russo-américaine porte sur autre chose, parce que l’Ukraine est négligeable aux yeux de D. Trump, fondamentale à ceux de V. Poutine. Peut-être que le Kremlin a expliqué à la Maison Blanche qu’il n’en avait pas terminé sur le théâtre des opérations. Peut-être n’a-t-il rien dit et gagne-t-il du temps. En tout cas, je ne vois pas de règlement rapide de la question.

En attendant, la stratégie française est assez habile. Elle constate que pour les Européens, comme je l’ai déjà dit, la question transatlantique domine la question européenne qui domine la question ukrainienne, malgré toutes les déclarations. Comme les Européens ne sont pas à la table des négociations (ni vraiment les Ukrainiens), ils abordent les choses différemment. Tout d’abord en distinguant la question de la surveillance d‘un éventuel cessez-le feu de celle des garanties de sécurité. Chacun a bien compris que le cessez-le-feu serait observé par des regards non européens (voire par satellite). Mais là n’est pas le cœur du problème : comment garantir la sécurité de l’Ukraine ?

Par un détour, en disant que la première garantie sera l’armée ukrainienne, qu’on aidera à se renforcer et se reconstruire et qu’on appuiera en arrière (cela rappellera à certains le leadership from behind d’Obama). Ici, la direction franco-britannique est très habile : d’abord car ce sont les deux puissances en lesquelles les Américains font confiance, ensuite parce que ce sont des puissances nucléaires, crédibles aux yeux des Russes. Le travail entamé par les deux CEMA consiste donc à construire quelque chose entre Européens de façon à convaincre les Américains de les suivre pour produire des effets en Ukraine. Ce long travail de conviction se poursuit.

Il s’articule avec une autre préoccupation : la préparation du sommet de l’Alliance atlantique à La Haye, qui se tiendra en juin. Dans ce cas également, la question transatlantique a la préséance. Toute la négociation actuelle entre les deux rives de l’océan porte là-dessus. Trump veut une déclaration qui prône une augmentation des dépenses de défense : il l’aura. Ceci explique aussi qu’il soit relativement discret sur l’Otan, malgré ses déclarations initiales. Dans ce processus, la démarche franco-britannique joue parfaitement son rôle.

Elle tire profit d’un changement d’attitude des Américains qui jusqu’à présent demandaient seulement à l’Europe de payer plus sans prendre plus de responsabilité : injonction parfaitement contradictoire. Le nouveau cours washingtonien sort de ce dilemme et dit aux Européens : « payez et prenez plus de responsabilités, alors nous resterons ». Il y a donc en ce moment la construction d’une conjugaison européo-américaine, plutôt dans le cadre allié que dans celui de l’Union. C’est tout le mérite de Paris et de Londres de l’avoir compris et de chercher à le mette en œuvre.

Mais là encore, cela ne plaie pas pour un règlement rapide du conflit puisqu’il faut attendre juin et les résultats du sommet avant de déboucher sur autre chose. Nous parlerons encore de la guerre d’Ukraine pendant quelques semaines voire quelques mois.

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