Bilan n° 110 du 22 avril 2025 (guerre d’Ukraine)

Légère intensification de la poussée russe sans que l’on puisse parler d’une grande offensive qui n’a pas débuté. Les Américains menacent de cesser leur implication diplomatique.
Bilan n° 110 du 22 avril 2025 (guerre d’Ukraine)
Crédit Poulet Volant (ici)

Légère intensification de la poussée russe sans que l’on puisse parler d’une grande offensive qui n’a pas débuté. Les Américains menacent de cesser leur implication diplomatique.

Déroulé des opérations militaires

Front sud : A l’ouest, pas de changement entre Kamianske et Orikhiv (carte). Idem au sud d’Orikhiv (carte)

Au nord-est de Grand Novosilka Vesele petite avancée russe vers Rozyiv (carte).

Front de Donetsk : Les avancées se poursuivent au nord-ouest d’Andrivka (carte). Dans le secteur de Pokrovsk, stabilisation générale (carte). Assez nette poussée le long de la H20 entre Pokrovsk et Toretsk (carte)

A Toretsk, poussée russe à l’aile droite (nord) du dispositif vers Druzba, en longeant le canal (carte).  

Front de Bakhmout : A Chasiv Yar, sans changement majeur (carte).

Front de Svatove/Koupiansk. Secteur de Kremina/Siversk : la carrière de Bilohorivka finalement maîtrisée par les Russes (18 mois d’efforts) qui poussent désormais au sud (carte). La tête de pont sur la Zherebets continue à s’élargir, Nove étant en train d’être cédé par les Ukrainiens (carte).

Secteur de Pischane : Pas de changement à Svatove (carte). Léger changement au nord de Pischane (carte).

Secteur de Koupiansk : La tête de pont sur l’Oskil s’élargit juste au nord de Koupiansk (carte). Secteur Topoli (carte).

Front de Kharkiv : RAS

Front de Soudja : A l’est de Soumy, les Ukrainiens ne tiennent plus que quelques km² (carte). Au nord, la tête de pont russe est maintenue (carte). Plus à l’est, la petite prise ukrainienne vers Belgorod est lentement reprise (carte synthèse)

Analyse militaire

Du saillant d’origine de Soudja, l’Ukraine ne contrôle plus que 23,5 km² de territoire russe, plus 18 km² ailleurs (carte). Ce front est devenu anecdotique.

Dans le Donbass, les Russes ont pris aux Ukrainiens 70 km² en S15 et 70 km² en S16 (carte). Le rythme de progression russe est donc de 10 km² par jour dans le Donbass (il était de 10 km² au mois de février, 5 km² fin février, 7 km² fin mars). Pour mémoire, en avril 2024 (billet 86), il était passé de 2 à 4 km² quotidien.

Ainsi, à défaut d’une « grande offensive », les Russes intensifient leur effort même si l’on n’observe pas de rupture localisée comme à l’issue de la bataille d’Avdivka puis d’Ocheretyne qui avaient ouvert l’an dernier des progressions allant jusqu’à 20 ou 25 km². Cependant, le rythme est plus appuyé qu’à pareille époque l’an dernier. L’ensemble donne encore l’impression d‘opérations de façonnage du front sans que l’on puisse dire que la grande offensive, dont tout le monde parle (par exemple Julian Roepcke), a commencé. Il y a certes une reprise des assauts mais sans que l’on ait l’impression que tout soit donné dans l’engagement. Aussi faut-il rester prudent quant aux conclusions que l’on peut tirer des dernières semaines (et certainement pas dire que ça a échoué). Il reste que cela ne donne pas l’impression d’une culmination, hypothèse que j’évoquais dans le point de situation précédent.

De même, l’observateur restera circonspect et évitera de disserter sans données fiables sur le taux d’attrition de part et d’autre, sur la qualité respective des drones FPV, sur l’efficacité des aménagements de terrain (nombre, profondeur et valorisation) car, pour être honnête, nous n’en savons rien. On repense au printemps 2023 quand nous parlions tous de l’offensive ukrainienne, certains (à la même époque) décrivant les axes de pénétration probables… Je rappelle que ladite offensive à débuté en juin, de façon d’ailleurs précoce pour nombre d’observateurs. C’est aussi pour cela que je doute que les Russes aient lancé quoique ce soit (sans même évoquer les négociations qui se déroulent simultanément). J’irai même jusqu’à penser que les Russes attendront la célébration du 9 mai (pour Moscou, 80e anniversaire de la victoire) avant de lancer quoi que ce soit d’envergure.

Analyse politique

Y a-t-il vraiment des négociations ? Ou plutôt, portent-elles sur l’Ukraine ?

Ainsi, une réunion s’est tenue cette semaine à Paris avec notamment la venue de M. Rubio et de S. Witkoff. Le deuxième, homme-lige de Trump, accompagnait le ministre des Affaires étrangères, réputé pour être plutôt en faveur de l’Ukraine. Or, au moment de repartir, Marco Rubio fit une déclaration : « Nous devons déterminer dans les prochains jours si (la paix) est faisable ou non », et « si ce n’est pas possible nous devons passer à autre chose » car « les États-Unis ont d’autres priorités ». Le message était clair et à destination des Ukrainiens : cédez vite sinon nous ne faisons plus rien.

Que signifie cette impatience ? peut-être la connaissance de données que nous n’avons pas. Nous sommes ici forcés d’émettre des hypothèses. Tout d’abord pour rappeler que la poche de Soudja a été conquise en trois semaines (billet 108), entre fin février et début mars. Il n’y a pas eu de négociations ni même l’effet de la suspension pendant trois jours du soutien américain : elle a été reprise par les combats. Comme si c’était, de la part des Russes, après les premières rencontres avec les Américains, une démonstration.

Beaucoup parlent ensuite de la fameuse offensive russe en préparation. Les Russes auraient amassé plusieurs divisions, prêtes à intervenir, certains évoquant plusieurs dizaines de milliers d’hommes. On rappellera les rythmes de progression depuis deux mois, largement supérieurs à ceux de l’an dernier à pareille époque. Ainsi, sans faire vraiment d’effort net, les Russes réussissent aujourd’hui à entamer les défenses ukrainiennes. Il est donc fort possible que les Américains estiment, au vu de leurs renseignements (aussi bien sur les Russes que les Ukrainiens), que le sort de l’Ukraine est plié. Qu’il faut négocier maintenant pour préserver ce qui peut l’être encore, au risque sinon d’encourir des pertes beaucoup plus importantes à courte échéance. Autrement dit, la dureté américaine ne serait pas simplement une foucade de D. Trump ou sa volonté de s’entendre avec V. Poutine (même si ces facteurs peuvent aussi jouer) mais le résultat d’une analyse technique des combats en cours et à venir, ainsi que des potentiels de combat des uns et des autres.

Cette hypothèse expliquerait aussi la dureté de V. Poutine qui n’a rien lâché depuis le début des négociations, comme s’il se sentait en position de force très marquée. Il est persuadé qu’il obtiendra sur le terrain plus que ce qu’on lui offre aujourd’hui par la négociation (et qui paraît déjà excessif aux yeux des Européens comme des Ukrainiens).

Or, ces renseignements ont été partagés par les Américains aux Ukrainiens. Au-delà de l’antipathie personnelle entre MM. Trump et Zelensky, qu’est-ce qui explique que les Ukrainiens, si l’hypothèse émise est exacte, ne se rendent pas à ces arguments et ne veuillent pas clore au plus vite : prendre ses pertes maintenant plutôt que d’en subir de pites demain ? Pour une simple raison de politique intérieure : un cessez-le-feu aujourd’hui ne serait pas compris par la population ukrainienne. Pourquoi céder maintenant alors que le front tient globalement ? Qu’on se souvienne de la fin de la 1ère Guerre mondiale quand, devant le rapport de forces et l’évolution des combats, le grand commandement allemand avait accepté de signer l’armistice. Cela donna à la population allemande le sentiment d’une armée qui n’avait pas été vaincue, ce que renforçait le retrait volontaire et ordonné des troupes allemandes. C’est aussi pour éviter la répétition d’une telle perception qu’en 1945, les Alliés allèrent jusqu’à Berlin (Hitler n’ayant par ailleurs pas demandé l’armistice). Ces précédents historiques sont à l’esprit de la direction politique de Kiev. Signer aujourd’hui ne serait pas admissible car beaucoup diraient « tout ça pour ça ». Aucun homme politique, pas plus Zelensky qu’un autre, ne peut accepter de signer un cessez-le-feu dans ces conditions.

Les Américains font donc face à deux jusqu’au boutismes : celui de Moscou et celui de Kiev. Il ne s’agit pas de dire ici « c’est bien ou mal ». Nous nous sommes depuis le début de nos chroniques abstenus de faire entrer ce paramètre moral dans l’analyse. Celle-ci suggère que Washington fait le constat que les deux parties veulent poursuivre la guerre, que la négociation est une illusion. Les Américains le disent crûment. Que ce soit par la bouche de M. Rubio, celui qui était le plus proche des Ukrainiens dans l’actuel gouvernement, en dit long.

Dès lors, il paraît probable que la guerre va encore se poursuivre pendant de longs mois. Il faudra attendre le déclenchement de l’offensive russe et ses résultats, qui ne sont pas avérés malgré les certitudes de V. Poutine. Tout comme il fallut attendre les résultats de l’offensive ukrainienne de 2023, celle-ci doit avoir lieu pour produire, ou pas, ses effets. Cela nous emmène jusqu’à la fin de l’été. Nous examinerons dans un prochain billet ses développements possibles. Les Ukrainiens doivent donc se préparer à encaisser un choc et espérer tenir pour revenir à une table des négociations avec la carte de leur résistance : c’est une possibilité qu’on ne peut écarter, tant les Ukrainiens ont montré leurs capacités héroïques d’adaptation, notamment pour produire eux-mêmes les armements nécessaires.

Quant aux Européens, ils restent très divisés aussi bien sur la question ukrainienne que la question transatlantique. Pour les capitales européennes, en dehors de Paris, le sommet de La Haye en juin demeure l’objectif à négocier. Ils y consacrent probablement leurs principaux efforts. L’activisme de Paris ne doit pas faire illusion.

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