Bilan n° 112 du 20 mai 2025 (guerre d’Ukraine)
La Russie a probablement entamé son offensive de printemps. L’activité diplomatique ne sert qu’à nourrir les médias sans réelle recherche d’un accord. Tout se décidera sur le terrain.
La Russie a probablement entamé son offensive de printemps. L’activité diplomatique ne sert qu’à nourrir les médias sans réelle recherche d’un accord. Tout se décidera sur le terrain.
Déroulé des opérations militaires (point au 20 mai)
Front sud : Quasi rien à Kamianske (carte). Pas de changement à Orikhiv (carte)
A l’ouest de Grand Novosilka, les Russes ont atteint Novopil (carte) et combat pour Bahatir (carte).
Front de Donetsk : Les avancées se poursuivent au nord-ouest d’Andrivka avec les prises de Novolexsandrivka, Kotliarivka et Bihdanivka (carte). Dans le secteur de Pokrovsk, stable avec une avancée russe à Zvirove (carte).
Entre Pokrovsk et Toretsk, grosse progression russe le long de la H32 et de la D20 (carte). L »s Russes ont franchi la H32 vers le nord mais poussent aussi vers l’ouest (Malynivka, Yelizatevka) en direction de Myrnograd. Réduction en cours de la poche ukrainienne entre Oleksandropil et Romanivka.
A Toretsk, la ville a quasiment été nettoyée par les Russes (carte).
Front de Bakhmout : Petite progression russe dans le centre de Chasiv Yar (carte).
Front de Svatove/Koupiansk. Secteur de Siversk : quelques frémissements à surveiller (carte). Kreminna sans changement (carte).
Secteur de la Zerhebets : Pas de changement à Svatove (carte). Sans changement à Pischane (carte)
Secteur de Koupiansk : Pas de changement à l’est de Koupiansk (carte).La tête de pont sur l’Oskil sans changement (carte). Secteur Topoli (carte).
Front de Kharkiv : RAS (qq frémissements cependant)
Front de Soudja : Au nord, les Russes agrandissent lentement leur zone tampon et ont pris Loknia (carte). A l’ouest de Soumy (Tektino) sans changement (carte). A l’est de Soumy, les Ukrainiens ne tiennent plus que quelques km² (carte). Plus à l’est, la petite prise ukrainienne vers Belgorod est lentement réduite (carte synthèse)
Analyse militaire
Les Russes ont pris aux Ukrainiens 45 km² en S19 et 95 km² en S20 (carte). Le rythme de progression russe est donc de 10 km² par jour. Il faut rappeler la « trêve » de trois jours déclarée unilatéralement par la Russie à l’occasion des fêtes du 9 mai qui pourrait expliquer la moindre avancée en S19.
Nous verrons les prochaines semaines si le rythme faiblit mais les dernières données indiquent au contraire un accroissement de la poussée russe qui ne surprend pas (la célébration de la Victoire de 1945 étant passée). Pour dire les choses simplement, on peut désormais considérer que l’offensive russe a débuté. L’effort principal se situe entre Pokrovsk et Toretsk, avec un effort secondaire au sud de Pokrovsk et peut-être un autre vers Siversk. Partout ailleurs, des petites activités ont lieu sans qu’elles annoncent forcément des offensives secondaires.
L’objectif reste le même depuis un an et demi : prendre le contrôle de l’oblast de Donetsk. Cela passe par la saisie de Konstantinovka, clef du Nord de l’oblast et de la conurbation Kramatorsk – Slaviansk. L’embryon de percée à l’ouest de la H32 vise à prendre le contrôle de tout le mouvement de terrain entre Myrnograd au sud (clef de Pokrovsk) et Druzhkivka au nord (au nord-ouest de Konstantinovka). Surtout, les Russes ont pris pied sur le mouvement de terrain dominant (celui sur lequel est établi la H32) qui leur permet d’aborder en position favorable tout le terrain au nord-ouest. Il est probable que cela sera leur direction principale.
Ils ont cependant une possibilité de variantement en poussant plein ouest afin de coiffer Pokrovsk par le nord et d’encercler la ville. Il est d’ailleurs probable que la tactique russe consistera à créer des poches de terrain en rase campagne ou d’encercler les localités pour éviter les combats urbains trop coûteux.
Simultanément, ils termineront de prendre les confins de l’blast de Donetsk au sud de Pokrovsk, en se ménageant la possibilité de poursuivre plein ouest, perpendiculairement au système défensif ukrainien dans l’oblast de Zaporijia, tourné vers le sud.
Enfin, ils continueront des poussées localisées dans d’autres secteurs de façon à poursuivre les risques, par exemple vers Siversk, à l’ouest de Chasiv Yar, à Vovchank (secteur de Koursk) ou vers Koupiansk).
La situation ukrainienne paraît mauvaise. Les FAU ont perdu beaucoup de capacités dans la poche de Soudja ce qui commence à susciter des mauvaises humeurs, comme en témoigne les interventions du commandant de la 47e brigade, pourtant une des plus aguerries. L’hiver a été mis à profit pour installer des lignes de défense mais celles-ci ne sont efficaces que si elles sont défendues par des soldats et battues par les feux. Or, dans ces deux domaines, l’armée ukrainienne atteint ses limites. Les rapports de pertes semblent désormais défavorables aux Ukrainiens (autrement dit, ils perdent plus d’hommes au combat que les Russes). La mobilisation peine à renouveler les troupes de contact (nombreux cas de désertion, jeunes recrues engagées sans réelle formation ni aguerrissement, manque de relèves régulières). En matière de feux indirects, si on parle beaucoup moins d’artillerie, la guerre des drones semble désormais tourner à l’avantage des Russes qui utilisent massivement des drones filaires.
Désormais, il est envisageable que l’attrition recherchée par les Russes depuis des mois atteigne l’objectif, à savoir des effondrements localisés du dispositif ukrainien. C’est cela qui permettrait aux Russes de pousser plus rapidement leur avantage et d’obtenir des gains conséquents sur le terrain. Cependant, les FAU ont depuis plus de trois ans surpris tous les observateurs par leur capacité à tenir et à résister, même en cédant localement du terrain. La messe n’est pas dite même si les augures sont défavorables, constat fait même de la part d’observateurs très pro-ukrainiens.
Analyse politique
Lors du 9 mai, Xi Jin Ping était à la tribune de la Place Rouge. Le message était clair : Poutine comptait encore sur ses alliés de fait et l’espoir de Trump de séparer Moscou de Pékin s’évanouissait. Pour ne pas laisser à la Russie le monopole des images, les Européens se réunirent le 10 mai à Kiev, autour de V. Zelensky, afin de réclamer un cessez-le-feu inconditionnel d’un mois, sous menace de sanctions. Si c’était important d’un point de vue communicationnel (ne pas laisser le monopole de l’image à l’adversaire) cela n’avait guère de portée diplomatiquement. Un cessez-le-feu conclue en général une négociation, il ne la débute pas. D’ailleurs, lesdites sanctions étaient subordonnées à l’appui américain qui n’est pas venu.
Le 11 mai, V. Poutine prenait l’initiative de proposer des négociations directes avec les Ukrainiens, bien sûr sans cessez-le-feu préalable et sans mentionner un seul instant les Européens. C’était un moyen de sortir d’une certaine impasse : non que Poutine veuille réellement négocier avec l’Ukraine, mais cela faisait six mois qu’il discutait avec Trump et il fallait céder quelque chose. Or, ne nous y trompons pas. Le dialogue américano-russe porte sur bien des sujets (économie et commerce, nucléaire et contrôle des armements, situation au Proche-Orient et pétrole, Arctique et terres rares, etc.) et pas seulement d’Ukraine. Tout le calcul de Poutine a été de marginaliser cette question ukrainienne (ce qui entrait dans les vues de Trump) au sein de cette discussion. Rappelons que Trump a lancé deux discussions parallèles : une avec la Russie (qui parle aussi de l’Ukraine mais pas seulement), l’autre avec l’Ukraine. En ouvrant la possibilité de pourparlers directs avec l’Ukraine, V. Poutine offre à D. Trump une porte de sortie. Désormais, s’il y a échec des négociations, ce ne sera plus la faute de Trump qui « aura tout essayé ».
D. Trump ne s’y est d’ailleurs pas trompé qui a immédiatement encouragé ces discussions, tenues à Istanbul sans résultats. Plus ces discussions durent, moins Trump ne sera tenu responsable de leur échec. Dans le même temps, il pourra continuer de discuter avec Poutine, ce qu’il fit lors d’une longue conversation téléphonique. On parle désormais d’une deuxième séance de négociations (au Vatican ?) mais n’en doutons pas : elle n’aboutira à rien.
Car « pendant les travaux, la vente continue » : autrement dit, les négociations n’empêchent pas du tout les combats de se poursuivre. Poutine ne recherche qu’une capitulation.
Quant aux Européens, ils sont divisés et hors-jeu. Les déclarations et le 17e train de sanctions ne sont là que pour exister médiatiquement : ils ne pèsent pas.
Nous voici revenus à une grammaire stratégique classique où les règlements se gagnent sur le terrain. Cette logique a été oubliée par les Européens qui rêvent encore de leur mirage d’un monde nouveau : celui-ci n’aura été qu’une parenthèse heureuse de 80 ans.
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