Thomas Flichy de la Neuville[1] nous envoie ce joli billet : merci à lui (en espérant que ce ne soit pas un sujet d’actualité de par nos contrées). La Vigie.
S’il est un sujet de dérision à l’encontre des Princes inaptes à la conduite de l’État, c’est bien la tentation qu’ils peuvent éprouver de vendre la charge qu’ils ne possèdent pas. L’on raconte ainsi que le général grec Lysimaque vendit son royaume pour un verre d’eau, puis déclara après avoir bu cette eau : « ah, Prince infortuné que je suis d’avoir perdu mon royaume pour un plaisir si chétif et de si peu de durée »[2]. L’on connaît également la supplication prêtée par William Shakespeare à Richard III « Mon royaume pour un cheval ». Il s’agissait ici de souligner une dernière fois la légèreté du monarque qui avait jadis usurpé du pouvoir au détriment de ses neveux Édouard V et Richard de Shrewsbury.
L’on se souvient que Louis II de Bavière – dans ses moments de lucidité – chargeait quelque savant de lui découvrir un pays où l’on pût régner sans constitution, ou bien songeait à vendre son royaume pour acheter une île déserte, où il aurait vécu seul avec ses pensées et son coiffeur. Chez les souverains désespérés, la vente du royaume apparaît en effet comme une façon de tirer définitivement le rideau. Kamehameha Ier, Roi de Haïti, aurait tenté de vendre sa couronne aux États-Unis. Mais cela n’advint point puisque la dernière Reine du lieu fut déposée par l’action combinée de la Dole Fruit Company et d’une escouade de fusiliers marins.
Il arrive pourtant qu’un royaume soit vendu. Il peut l’être aux enchères comme le fut l’Empire romain le 28 mars 193, ou bien en vertu d’un contrat, à l’instar du royaume d’Yvetot, vendu par Martin Ier à Pierre de Vilaines, moyennant la somme de 14 000 écus, ou bien de la Louisiane, vendue par Bonaparte aux États-Unis en 1803 pour 80 millions de francs.
Mais il reste une dernière façon plus pernicieuse de vendre un État, fut il vieux de mille ans : cela consiste à faire secrètement hommage à quelque puissance étrangère moyennant l’aliénation de ses libertés, de sa politique étrangère ou bien d’un pan quelconque de sa souveraineté. A ce jeu de dupes, les plus fins sont souvent les premiers trompés et lorsqu’ils se réveillent enfin, c’est pour s’apercevoir que leur maître a changé.
[1] Membre du Centre Roland Mousnier – Université de Paris IV Sorbonne.
[2] Brevi voluptate quantum regnum perdidi