Crise de l’euro, crise grecque, crise des réfugiés, attaques inspirées par le jihad, dérives populistes, Brexit pour conclure cette litanie de désordres … La construction européenne est en panne et l’Europe en crise. Chacun le sait désormais et tous sont d’accord sur la nécessité du changement. Non tant de l’Europe qui n’en peut mais de l’Union européenne, tant l’échafaudage institutionnel apparaît à la fois figé (trop?) et partiellement la cause de bien des maux, même s’il contribue sans doute à en éviter d’autres. Cette Union peine à porter la construction européenne et pour certains l’a entrainée dans une voie sans issue. Aussi entend-on des propositions alternatives souvent anciennes parfois nouvelles : référendum ici, retour à une Europe carolingienne ici, à la CEE là, à une plus grande Europe, coopérations renforcées, fédéralisme intégral, noyau dur, cercles concentriques …
Tout est dit et son contraire sans que les arguments soient réellement convaincants.
Il paraît donc nécessaire de réfléchir à ce qu’on peut installer « après » cette Europe-là qui ne donne pas du tout satisfaction. Elle était jusqu’ici une « construction » : faut-il l’aménager, la déconstruire et bâtir autre chose ? Comment ? Avec quel architecte et quel plan ? Que faut-il préserver, améliorer, remplacer, exclure ? Faut-il « démonnetiser » l’Europe (si on nous permet ce néologisme), abandonner la méthode des petits pas, se replier sur un intergouvernemental coopératif limité ? Que mettre en commun, que conserver chez soi ?
Et puisque La Vigie s’occupe d’abord de stratégie, l’idée de partager la défense est-elle judicieuse ? Peut-on à la fois prôner à la manière gaulliste l’indépendance nationale et l’autonomie de décision, réintégrer l’Otan militaire et invoquer l’article 47-3 du traité de l’Union ? Le tout à l’abri d’une dissuasion nucléaire stratégique nationale que nos voisins refusent. Notre posture de sécurité est-elle cohérente, convaincante, efficace, rassurante ?
Autant de questions que nous nous posons de façon plus aiguë que jamais et que probablement vous avez également en tête.
Pour les aborder sans fard, nous organisons (en partenariat avec la Revue Défense Nationale) un débat à l’École Militaire, amphithéâtre de Bourcet le lundi 19 septembre prochain, de 18h00 à 20h00. Accès à 17h30 précises au 5 place Joffre (et non le 1, réservé au personnel travaillant à l’EM). Inscriptions limitées. Pour cela, s’inscrire avant le 15 septembre soir sur le lien suivant , remplir les champs obligatoire. Le 19, venir avec une pièce d’identité, obligatoire pour accéder au site (si et seulement si on a procédé à l’inscription préalable).
Interviendront Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères ; Coralie Delaume, journaliste et auteur de « Europe, les États désunis », Paris, Michalon, mars 2014 ; René Leray, ancien conseiller de Jacques Delors, professeur associé à l’université Saint-Louis de Bruxelles qui en ont accepté le principe. Les débats seront modérés par Jean Dufourcq, rédacteur en chef de la Vigie : pour cadrer les débats, vous pouvez lire ou relire le numéro 50 de La Vigie qui présente quelques options pour l’Europe.. Après une heure où les trois orateurs auront la parole, l’heure suivante sera dédiée au débat, entre eux et avec la salle.
JDOK
Bonjour
Messieurs.
Faisant suite à l’excellent débat d’hier, je vous adresse une
simple observation.
L’un des intervenants (restons sous la règle de Chatham house) a
fait remarquer hier en fin de débat qu’à la fin des années 50 les
pères fondateurs avaient bien organisé les institutions
européennes. Ce n’est pas du tout mon avis. Ils ont posé une norme
(les traités fondateurs) d’une rigidité qui au fil des
élargissements (présupposée par les traités) est devenue
supérieure à celle des constitutions nationales du fait de la
nécessaire unanimité des parties. Ils ont mis en place une
organisation administrative qui vit de et pour cette norme, et n’a
d’autre fonction que produire de la norme dérivée et veiller à sa
correcte application. Et ils ont placé – ce n’était sans doute
pas leur intention originelle – à la tête du système non pas une
autorité politique mais un juge : la cour de justice de l’Union
européenne. La seule entité qui pourrait faire office de direction
politique est le Conseil de l’Union, mais il s’est dilué au fil
des élargissements.
Ouvrez n’importe quel manuel de sociologie des organisations et vous
conviendrez que ce sont les exacts ingrédients d’une omnipotence
bureaucratique.
Or, comme toute bureaucratie, la machinerie européenne s’enferme
dans ses certitudes, codes et modes idéologiques et regarde avec
suspicion, voire travaille systématiquement à mettre en échec,
toute action qui la bousculerait dans ses certitudes. D’où son
rejet des peuples (qui votent mal) et des dirigeants politiques (il
faut dé-politiser en multipliant les agences), qui tous ont leurs
propres idées – forcément irrationnelles – sur ce que pourrait
ou devrait être l’Europe et ses politiques.
La bureaucratie laissée la bride sur le cou devient nécessairement
aussi suffisante qu’inefficace. Elle ne peut à terme qu’être
rejetée par peuples à force de leur dénier leur souveraineté (au
sens démocratique) et d’émasculer leurs dirigeants élus. Nous y
sommes désormais. Ce rejet entraîne avec lui celui de l’idée
européenne à mesure que le souvenir de la guerre s’estompe et que
l’échec économique devient patent. Les peuples n’aiment rien
moins que le sentiment d’impuissance, surtout lorsqu’ils pensent
– à tort ou à raison – que leurs conditions de vie se
dégradent.
Il n’y a donc à mes yeux pas d’autre option que construire les
conditions d’une direction politique forte, à l’écoute des
peuples, parties prenantes et corps constitués de l’Europe et
capable au vu de leurs attentes de faire significativement évoluer
les politiques mises en œuvre par les institutions et administrations
européennes. Si nous n’y parvenons pas, nous ne pouvons qu’aller
vers une lente décadence et devons donc nous placer en situation
d’imaginer et préparer l’après, en espérant que la transition
ne sera pas trop douloureuse.
Or, je ne vois qu’un seul moyen d’obtenir cette direction : avoir
un chef élu qui aurait une autorité réelle sur l’administration
européenne, désignant ses ministres (que pourraient être les
commissaires) et ses plus hauts fonctionnaires et juges, au terme
d’un processus garantissant contre un arbitraire excessif mais
laissant une marge de manœuvre suffisante. Cela n’impose pas
nécessairement le fédéralisme, mais suppose un sérieux
aménagement de l’organisation institutionnelle actuelle.
De là mes deux questions : voyez-vous un moyen de créer une
direction politique capable de maîtriser et diriger l’action de
l’administration européenne en fonction des aspirations du corps
politique européen, d’une vision pour l’Europe et d’une
ambition stratégique ? Quelle que soit sa forme, pouvez-vous imaginer
un chemin politiquement, juridiquement, diplomatiquement et
administrativement crédible pour y parvenir ?
Le postulat de départ que vous avez choisi pour le débat d’hier me
fait penser que vos réponses seront négatives. C’est également,
à regret, mon avis. Dans ces conditions, préparons l’après !
Permettez-moi de vous remercier à nouveau pour ce débat et de vous
adresser mes encouragement pour La vigie, que je lis toujours avec
intérêt.
Bien à vous,