La semaine dernière, les Échos publiaient une tribune remarquée du CEMA, le général de Villiers. Christian Schmidt et Jean Dufourcq y répondent dans le même journal (voir ici, édition du 29 décembre 2012), apportant quelques nuances et plaidant pour un nouveau traité européen de coopération militaire. La Vigie publie également cette tribune.
Il est assez exceptionnel qu’un chef d’état-major des armées consacre une chronique dans un journal économique à la nécessité d’augmenter le rythme des dépenses militaires du pays. Plus significatif encore, le général de Villiers évoque la logique économique dans son argumentation.
Ces références à la dimension économique de la défense pour le financement de l’effort militaire méritent d’être rapportées aux exigences sécuritaires du moment et à l’effort de compétitivité du pays.
Une baisse globale
Du point de vue macroéconomique, les mouvements qui affectent les dépenses militaires s’apprécient en longue période. Ainsi a-t-on observé dans les principaux pays de l’Alliance atlantique une baisse tendancielle des dépenses de défense ces quarante dernières années.
On relève que les dépenses militaires ont encore baissé, entre 2005 et 2015, de 3,9 % aux Etats-Unis, de 7, 2 % au Royaume-Uni et de 5,9 % en France. Et les Etats-Unis consacrent toujours 3,2 % de leur PIB à la défense, contre seulement 2 % environ pour le Royaume-Uni et 1,7 % pour la France.
Des tâches multiples
En France, depuis la fin de la guerre froide, la défense a cédé le pas à d’autres priorités et, de réformes en contractions, on est allé jusqu’à l’étiage actuel des effectifs et des budgets des armées.
La mission « défense » a subordonné la défense du territoire et la protection de la population à des activités diverses : participation d’office à l’aménagement du territoire et au soutien à l’emploi ; promotion des exportations d’armement, relais d’une croissance en berne ; et, bien sûr, participation militaire à la stabilité avec des Opex en Somalie, Libye, Côte d’Ivoire, RCA, Sahel, et pour finir un engagement en pointe en Syrie, occasionnant une vraie surchauffe opérationnelle.
Des déséquilibres
Plusieurs études montrent que, alors que le nombre et l’intensité des conflits interétatiques chutent, le nombre des conflits entraînant des interventions extérieures croît sur la période. Cet écart entre baisse régulière de longue période des budgets de défense, sous l’influence de la crise économique, et rapide augmentation des actions extérieures est source de déséquilibres.
En l’absence de croissance économique et dans l’hypothèse de faibles risques de conflits internationaux, la défense n’est pas une priorité.
Tel n’est plus le cas, lorsque ces conflits présentent des risques élevés d’aggravation et de sérieux effets boomerang sur le sol national. Car alors les activités liées à d’autres affectations de ressources (éducation, santé…) redeviennent dépendantes de la sécurité, et donc de la défense.
Hierarchiser l’urgence
Or, depuis 2012, les attaques terroristes subies disent que notre dispositif de défense est contourné. Par réflexe séculaire, on y voit un nouvel avatar de la guerre qui exige un nouvel effort militaire. Cette réalité repose le problème de l’affectation des ressources publiques. On comprend que le chef d’état-major des armées, conseiller militaire du gouvernement, réclame plus de moyens pour atteindre la barre symbolique des 2 % du PIB prescrits par l’Otan. Il est dans son rôle, celui de la loyauté.
Mais cet effort, qu’on ne peut « ni alléger ni reporter », peut sans doute être modulé pour atteindre les trois objectifs d’inégale urgence qu’il cite.
Le premier s’impose : recouvrer sans délai des capacités perdues qui sont essentielles au socle de la posture militaire permanente du pays.
Mais le deuxième, les contrats opérationnels, est à recentrer sur la sécurisation directe du sol national.
Quant au troisième, le renouvellement des forces nucléaires, il relève plus de la planification industrielle du pays que d’une urgence sécuritaire.
Pour un nouveau traité
On peut ainsi soutenir que la prochaine législature devra consacrer l’effort de redressement du pays non à la guerre, mais à l’augmentation du PIB pour accroître la part à consacrer à sa sécurité. Que, pour amplifier la relance, elle devra mettre à contribution tous les départements ministériels. Voire qu’elle devra réévaluer le concept de défense nationale, car la réponse à l’insécurité actuelle n’est plus d’abord d’ordre militaire.
En outre, la nature des risques stratégiques exige des réponses collectives, puisqu’ils concernent également nos voisins.
Or l’Europe a réduit son engagement économique de défense, passé de 1,5 % du PIB en 2005 à 1,35 en 2015. Aussi, sans rêver d’une introuvable Europe de la défense, mais sans négliger l’apport du « fonds européen de défense » de la Commission Juncker, pourrait-on commencer par établir avec Berlin (puis Rome) un traité de coopération militaire, symétrique de celui de Lancaster House qui nous lie à Londres.
- Christian Schmidt est professeur émérite à l’université Paris-Dauphine.
- Jean Dufourcq, amiral (2S), est rédacteur en chef de « La Vigie ».