Nous sommes heureux d’accueillir ce texte de M. Moussa Mara, ancien Premier Ministre du Mali. Il témoigne d’une vision certaine et d’un intérêt évident pour l’analyse stratégique. JDOK
Tout observateur de la vie internationale remarquera que l’évolution de notre planète présente de réels signes d’inquiétudes. Dans de nombreux pays importants, on voit progresser le sentiment du repli sur soi, le populisme triomphant et la promotion des idées radicales et de confrontations. On est également témoin de l’essor des mouvements intégristes, partisans de la confrontation des idéologies et des civilisations. Les positions dominantes semblent orientées sur le repli sur soi voir le chacun pour soi. Ici ou là, on voit les frontières se fermer alors que jamais, notamment grâce aux technologies, le monde n’a été aussi intégré, l’information et les savoirs aussi partagés !
L’humanité solidaire, portée par des valeurs partagées et animée par le souci de notre futur commun est entrain de laisser la place à une grande jungle où chaque puissance va penser son action en fonction de ses intérêts égoïstes et immédiats. Le multilatéralisme que nous appelons de nos vœux est menacé. Les grandes puissances auront tendance à se ménager des pré-carrés, des zones d’influence dans leur voisinage immédiat, ce qui risque de conduire le monde vers les heures sombres et révolues de l’impérialisme. Les tendances observées sont donc très inquiétantes.
Ces prévisions alarmistes sont confirmées par la dernière production du Conseil national du renseignement américain, une structure rattachée à la CIA et qui produit tous les 4 ans ses anticipations de l’évolution du Monde (rapport sur le Monde en 2035). Il faut donc leur accorder une importance significative en les appréhendant de manière rigoureuse. Cela d’autant plus qu’elles sont susceptibles d’avoir des impacts majeurs sur de nombreux pays dont le Mali. Il faut s’attendre à une accélération du recul de l’aide au développement. Celle-ci baisse régulièrement depuis quelques années. Elle sera en outre de plus en plus liée à des conditionnalités comme la lutte contre l’émigration, etc. Il faut prévoir un net recul dans la lutte contre le réchauffement de la planète avec une accélération des défis climatiques (hausse de température, sècheresse, inondation, conflits autour des questions d’accès aux ressources…). Il faut également craindre moins de sollicitudes internationales à l’égard des pays affaiblis sur les questions de sécurité, de terrorisme…
Par exemple, un pays comme le Mali, qui reçoit plusieurs milliers de soldats des Nations unies dans le cadre d’un processus de paix, sera directement impacté si les États-Unis d’Amérique décidaient de diminuer de manière conséquente leur soutien financier à l’ONU comme cela est clairement annoncé par le Président TRUMP. C’est une hypothèse loin d’être improbable et qu’il faut prendre comme telle.
Face aux nouvelles donnes stratégiques esquissées ci-dessous, chaque pays, chaque groupe de pays et surtout un continent comme l’Afrique se doivent d’analyser, de réfléchir et de penser aux attitudes à adopter pour ne pas être emportés par les bouleversements annoncés. Plusieurs initiatives sont à engager dans cette perspective.
La première attitude à avoir est de commencer à prendre conscience de ce qui se passe et de se convaincre que la sollicitude des autres à notre égard ne sera pas éternelle. Cela permettra de mettre en place des dispositifs de projection à long terme afin de mesurer l’impact de tous les scenarios possibles, dont les pires. Cette analyse stratégique établira comment faire face aux évolutions défavorables pour s’en sortir au mieux. Elle permettra à un pays ou à un ensemble de pays de se fixer des objectifs stratégiques, identifier les partenariats fiables à nouer par conséquent et surtout, déterminer comment s’y préparer (services, arguments, hommes, politiques…) et comment les engager. Nos pays doivent impérativement renforcer leurs compétences stratégiques et prospectives.
Il faut créer, restructurer ou renforcer significativement nos structures commises à cet effet (centres d’études stratégiques, laboratoires de prospectives, services d’analyses stratégiques…) et les situer au cœur de nos Institutions publiques. Ces services doivent travailler sur nos perspectives stratégiques et donner des éclairages adéquats aux décideurs. À côté des services publics actifs sur ce segment de la réflexion stratégique, doivent être actifs des structures privées qu’il convient de soutenir et d’accompagner. Les think tank, incontournables dans les grands pays, doivent avoir droit d’être cités dans nos contrées. Autant il n’y a pas de vent favorable pour qui ne sait où aller, autant il n’y a pas d’avenir pour un pays qui ne réfléchit pas assez sur son avenir, par ses propres moyens. L’université, les chercheurs, les fondations privées et mêmes les grandes entreprises doivent tous participer à la réhabilitation des capacités nationales de réflexion dans nos pays.
Les pays pauvres doivent ensuite travailler d’arrache-pied à accroitre leurs indépendances. Face à l’incertitude, nous devons être moins dépendants des autres, aussi bien sur les plans sécuritaires, financier, qu’économique. Nous devons impérativement avoir des forces armées et de sécurité, aptes à faire face à nos défis sécuritaires. Nous devons tout aussi impérativement supporter nous-mêmes le chapitre fonctionnement de nos budgets publics tout en améliorant progressivement notre part dans le financement des investissements. Cela passera par l’engagement de processus de réduction de train de vie de l’Etat et la conduite d’initiatives de rationalisation dans les processus de dépenses publiques. En la matière, les leaders doivent faire les premiers pas et donner les exemples. L’indépendance économique sera liée à notre capacité à renforcer les bases productives de nos pays, améliorer les sources de croissance inclusive et durable fondées sur les forces de chaque pays.
Investir dans l’indépendance énergétique, notamment les énergies renouvelables dont le solaire, doit être un impératif urgent pour nos pays. Il faut accélérer toutes les initiatives en la matière et se fixer des objectifs à court, moyen et long termes qu’il convient de suivre coûte que coûte. Sans énergie, il n’est pas envisageable de triompher de la pauvreté et des fragilités qui accablent nos pays. Le renforcement du capital humain constitue le second facteur clé de succès des stratégies de développement. Pour ce faire, nous devons faire face concomitamment aux défis de la démographie, de l’éducation et de la formation professionnelle.
Il nous faut enfin mobiliser l’ensemble des forces vives de nos pays, sur fond d’exemplarité du leadership et du parler vrai aux citoyens, afin que chacun puisse accepter les sacrifices indispensables aux succès des initiatives décrites précédemment. Les citoyens sont incontournables pour obtenir les résultats escomptés comme on l’a vu ailleurs. La coopération sous régionale, régionale et africaine l’est tout autant. Elle doit être recherchée, mise en œuvre sur des bases concrètes et précises en ayant le souci du visible et du palpable. Le leader qui arrivera à mobiliser ses populations dans la conduite des initiatives de développement tout en ayant avec ses voisins une véritable collaboration, loyale et efficace, aura franchi une étape décisive vers le progrès socioéconomique de son pays. S’ils sont plusieurs leaders à le faire, le continent en bénéficiera et pourra aborder les prochaines tempêtes internationales en étant mieux armé et plus solide.
La planète dont le futur est entrain de se dessiner sous nos yeux sera implacable. Elle sera un espace où le plus fort, le plus brutal, le plus égoïste risque de l’emporter. Nous devons ôter nos lunettes de naïfs, de crédules, d’angéliques pour porter celles de réalistes froids pour mieux faire face aux défis qui pointent à l’horizon ! C’est à ce seul prix que nous nous donnerons quelques chances d’exister à défaut de compter.
Moussa MARA
www.moussamara.com