La revue Orients stratégiques, à laquelle contribue notre partenaire Pierre Berthelot, a publié en début d’année son sixième numéro sur la question énergétique. Nous avons demandé à Nicolas Mazzucchi, chargé de recherche à la FRS, de nous proposer une recension : la voici. Merci à lui. JDOK
L’orient, pardon les orients, intriguent autant qu’ils fascinent et inquiètent. La question de savoir si le XXIe siècle sera celui de l’Asie est toujours ouverte, même si avec la mondialisation il est devenu difficile de cantonner aussi nettement les choses. Au sein de ces orients, la question énergétique – on aurait aussi bien pu parler des questions énergétiques tant les problématiques sont diverses – occupe une place centrale. Réunissant à la fois certains des plus grands producteurs et des plus importants consommateurs de toutes les ressources énergétiques possibles, les orients sont au cœur de l’énergie et des enjeux géopolitiques et géoéconomiques induits. Il apparaissait donc nécessaire de s’intéresser à ce domaine si particulier ; c’est chose faite avec ce numéro de la jeune revue Orients stratégiques.
En se plongeant dans le sommaire, le choix des aires géographiques est légitime avec un balayage depuis la Turquie jusqu’à la Chine, en passant par l’Asie centrale, l’Inde et le Proche et Moyen-Orient. Il est toutefois possible de regretter, dans ce panorama, l’absence totale de l’Asie du Sud-est et de la zone Japon-péninsule coréenne. Force est de reconnaître qu’il n’est pas matériellement possible de traiter toutes les questions régionales dans un numéro de revue, toutefois un article de moins sur l’Asie centrale au profit d’un sur le Japon ou l’Indonésie aurait été un meilleur choix.
Les différents articles, avec des points de vue et des approches très variées sont, c’est normal et prévisible, assez inégaux. Une mention spéciale doit être adressée à l’article de R. Gutmann sur le nucléaire civil indien ainsi qu’à celui de F. Lafargue sur la question énergétique en Chine – sujet complexe et vaste mais bien résumé en peu de pages – pour leur qualité. D’autres articles comme celui de M. A. Oraizi sur « la géopolitique du pétrole iranien » qui est en réalité une géohistoire du pétrole iranien puisqu’il n’y est quasiment pas question de la géopolitique actuelle de celui-ci ou de D. Rigoulet-Roze sur « la problématique du nucléaire civil pour les pétromonarchies du Golfe » qui ne traite en réalité que du seul cas saoudien, apparaissent en retrait. Toutefois chacun, ou presque, des articles qui composent la revue permet de saisir, totalement ou partiellement, l’essence de l’enjeu énergétique pour tel ou tel pays. L’Asie c’est avant tout le continent de la croissance actuelle et future des besoins énergétiques. Les orients sont pour la plupart riches en ressources, encore que ces dernières sont très inégalement réparties et de natures diverses. L’Inde notamment, pauvre en pétrole, gaz, charbon et métaux, est l’exemple même du pays dépendant quand d’autres comme ceux de la péninsule arabique voient leurs sociétés fondées sur une abondance – actuelle – d’hydrocarbures.
L’exercice de l’ouvrage – ou du numéro de revue dans le cas présent – collectif est toujours délicat. L’harmonisation de la qualité des textes et du traitement des problématiques est un point épineux. Avec la volonté de traiter, en outre, un sujet aussi vaste que la question énergétique dans « les orients », il n’est pas étonnant que l’ensemble puisse parfois sembler très disparate. Le côté géopolitique en souffre d’ailleurs parfois puisqu’on se prend à attendre après une étude de cas – sur le Kurdistan irakien notamment – un vrai développement sur les conséquences régionales profondes de cette stratégique d’émancipation. Dans le cas du Kurdistan irakien toujours, on peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas plutôt l’échange de la tutelle proche de Bagdad contre celle plus lointaine d’Ankara qui se profile. A ce titre, un dialogue avec l’article sur la Turquie comme hub énergétique n’est pas proposé ; dommage.
On regrettera que les questions abordées soient en écrasante majorité liées soit aux ressources brutes, soit à la technologie de production électrique. L’énergie est pourtant une chaîne de valeur complexe qui irrigue les sociétés humaines et les économies et il aurait été utile – et même franchement nécessaire – de l’aborder parfois sous d’autres angles. La prise en compte des aspects géoéconomiques – car c’est bien là le cœur transverse du sujet – nécessite ainsi l’analyse de très nombreux facteurs, parfois minorés. Utile donc ce numéro d’Orients stratégique ? Certainement, même si certains choix ou orientations auraient gagnés à être différents. Toujours est il que ces articles variés sont, pour nombre d’entre eux, un bon moyen d’entrer dans des problématiques croisant des enjeux politiques, économiques et internationaux.
Orients stratégiques n° 6, janvier 2018, La question énergétique dans les orients.
Dr Nicolas Mazzucchi, chargé de recherches à la Fondation pour la Recherche Stratégique