Je me souviens : c’était fin janvier 2002, cela faisait un mois à peine que l’Euro était dans nos poches, on continuait à faire la conversion en Francs, à tenter de reconnaître les pièces à leur couleur et à leur taille sans avoir à lire les chiffres inscrits. Passant à la caisse de la supérette en bas de chez ma petite maman chez qui je venais dîner, je n’ai d’abord pas compris quel était cet arc de triomphe au pile de la pièce de 20 centimes que j’examinais. Ça ressemblait à la Porte de Brandebourg, mais je devais me tromper. J’ai alors sorti de ma poche une autre pièce, celle de deux Euros, et j’ai reconnu immédiatement l’aigle allemand. (cliquez pour lire la suite)
Je me souviens – l’image est sans doute trop littéraire mais elle n’est pas forcée – d’un grand courant d’air dans la tête. Je me suis dit : voilà, on y est, ce qui n’était hier que de la science-fiction devient l’Europe du XXIe siècle, un modèle pour le monde. Arrivé chez ma mère je lui ai montré la pièce. Et elle, qui fut quelques jours, à l’âge de dix ans, à plat ventre dans les fossés des pays de Loire sous la mitraille de la Luftwaffe, n’eut que ce mot : « La guerre est finie ».
Tout ceci nous paraît bien loin. Nous sommes partagés entre l’envie irrépressible de coller au mur toutes celles et ceux qui ont détruit ce projet européen auquel nous avons cru, et le sentiment qu’il n’y en avait pas d’autre dès l’origine, l’impression de nous être fait avoir un demi-siècle durant. Car voilà aujourd’hui que le Parlement de Westminster est mis dans la nasse, et avec lui le principe démocratique. Et c’est bien le pays de la Magna Carta, du Great Parliament, du premier régicide des temps modernes qui, depuis le vote du Brexit, génère cette étrange unanimité de gouvernements continentaux aux allégeances par ailleurs si disparates.
L’Angleterre n’est pourtant pas une pièce rapportée à une Europe que Charles Quint identifiait comme celle où on parle allemand aux chevaux. C’est de cette Vieille Angleterre, pour citer Charles de Gaulle au soir du D-Day, que la liberté revint à ma petite maman ; c’est déjà d’elle que la liberté nous était parvenue au XVIIIe siècle. On ne peut laisser s’humilier le plus vieux régime parlementaire, attaqué pour cela, ce n’est simplement pas envisageable. Save Private May ! Et périsse plutôt cette Europe qui ne mérite plus son baptême !
Ce sera le retour de la guerre, entend-t-on. Mais d’autres l’ont dit et répété : ce n’est pas l’Europe qui a généré la paix, c’est l’inverse. Nous n’aurons pas à refaire la guerre mais pas davantage à refaire la paix, seules les huitres du Grand oral de l’ENA pensent le contraire. Puisque l’Europe d’hier sans l’Angleterre est déjà morte, vive l’Europe de demain avec elle ! Car « there’ll always be an England, and England shall be free, if England means as much to you as England means to me ! ».
Le Cadet