La Vigie est heureuse de publier ce texte du Pr Abderahim, Directeur de recherche associé à La Vigie. Ce texte est de plus publié en partenariat avec le site Diploweb, ami et partenaire depuis longtemps. Bonne lecture.
La campagne mondiale contre le terrorisme donne à l’Algérie la possibilité de s’affirmer comme un acteur régional majeur. Dans ce contexte, le Sahel a, brutalement, fait irruption dans la stratégie globale de l’armée algérienne. En raison de leur expertise dans la lutte anti-terroriste les militaires ont largement valorisé cette « compétence » à leur profit, ce qui leur donne un accès direct à leurs homologues occidentaux.
Changements au Sahara/sahel
Toutefois il est important de souligner le fait que cet engagement, d’un genre nouveau pour l’Algérie, est porteur de nouvelles contraintes. Il ne s’agit plus du traitement d’un conflit local, mais d’un conflit régional qui est le prolongement d’une campagne globale, impulsée par les États-Unis. Le déploiement militaire occidental au Sahara/Sahel implique des conséquences diplomatiques pour lesquelles l’Algérie doit faire un effort d’adaptation, et sans doute à terme une révision de son dogme de non-intervention au-delà de ses frontières. Le régime algérien possède les atouts et les compétences : saura-t-il, pour autant, évoluer pour s’inscrire dans cette nouvelle configuration ?
L’Algérie comprend que son rôle dans cette région troublée et convoitée devient essentiel pour ses partenaires du Nord.
La présence d’AQMI au Sahel ainsi que d’autres groupes terroristes (ou qui ont des revendications séparatistes ou politiques) incarne une menace de sécurité ou d’instabilité sociale. Cela concerne aussi l’Algérie qui n’est pas parvenue à éliminer le terrorisme mais à le réduire, puis à le reléguer dans des zones très éloignées des centres urbains. Ce faisant, la question terroriste devient un enjeu régional, alors que les questions politiques, notamment avec les Touaregs, ne sont pas réglées et que la menace terroriste vient s’ajouter aux difficultés structurelles auxquelles les pays du Sahel doivent faire face.
L’implantation d’Al Qaëda au Sahara/Sahel, et désormais de l’État islamique, est devenue une menace pour l’Algérie du point de vue de la sécurité nationale. La rébellion Touareg et la jonction de certains groupes avec AQMI devient un sujet de préoccupation car il affecte également le territoire algérien.
La lutte contre le terrorisme est devenue régionale, essentiellement du fait des immixtions occidentales. La guerre en Libye a provoqué une déstabilisation du Maghreb et du Sahel jamais vue jusque-là. Toutefois, l’Algérie porte une part de responsabilité dans l’enracinement du terrorisme qui s’est développé au cours de la décennie 1990.
Ce défi régional intervient au moment où la crise politique interne (Hirak), risque d’entraver les capacités de manœuvre et d’intervention d’Alger pour imposer son rôle et sa vision de la lutte contre ce terrorisme qui prend une dimension régionale.
La période qui s’ouvre est porteuse de menaces nouvelles qui ont des répercussions transfrontalières pour le Maghreb, pour l’Afrique et pour l’Europe.
Les évolutions internes à l’armée ?
Une situation est d’autant plus complexe à gérer pour l’armée que la société rejette massivement le personnel politique. L’Algérie est-elle engagée dans un processus de transition démocratique ?
A ce stade il faut tenter d’identifier les personnalités qui pourraient favoriser cette transition. Il est beaucoup trop tôt pour livrer des noms. En revanche l’analyse selon laquelle la population, les partis politiques et une part significative des élites réclament une démocratisation du régime apparaît conforme à ce que l’on peut observer.
En revanche, l’armée n’est pas prête, de son côté, à satisfaire les revendications du Hirak.
L’institution militaire se retrouve aux devants de la scène politique et assume sans complexes de contrôler le pouvoir.
Le dialogue devient l’outil indispensable pour sortir de l’impasse politique et économique et lutter collectivement contre les menaces exogènes.
La mort du général d’armée Gaïd Salah ne modifie pas la ligne qu’il a fixée, toutefois c’est à son successeur, le général-major Saïd Chengriha, qu’il revient d’affronter les défis auxquels son pays est confronté.
Politique et sécuritaire !
Le nouveau visage de l’armée, en tant qu’institution, est conforme à ce que l’on en connaît et ce qui est observable. En revanche, il doit composer avec des officiers qui ont une vision du rôle de l’armée moins idéologisée et davantage favorable à des missions de défense du territoire. Ces officiers supérieurs sont également très favorables à un véritable processus politique, un amendement de la Constitution et à un dialogue national.
Ces soldats sont très conscients du fait qu’aucune option n’est à écarter.
L’exigence primordiale consiste à prendre en compte les évolutions de la société. Les élites militaires et politiques doivent s’entendre sur un programme et s’y conformer. Les bruits de bottes turcs en Libye, à la frontière de l’Algérie, pourraient menacer le projet à mettre en œuvre. La tentation devient grande de concentrer, à nouveau, l’attention et les moyens militaires vers ce nouvel écueil.
Kader Abderrahim, Directeur de recherche associé à La Vigie.