Nous avons le plaisir le travail d’une étudiante de M1 de l’IEP de Lille, Léa Guignon, sur les bases opérationnelles au Sahel. Le sujet est technique mais son inscription dans la durée longue suscite l’intérêt. Surtout, cette publication répond à l’ambition de La Vigie, celle de donner leur chances aux jeunes plumes… Merci à elle.LV
Les bases opérationnelles avancées temporaires françaises au Sahel
Lancée le 1er août 2014 l’opération Barkhane s’étend à la Mauritanie, au Niger, au Mali, au Burkina Faso et au Tchad. Les objectifs de l’opération sont les suivants : appuyer les forces armées locales de la bande Sahélo-saharienne (BSS) dans leurs actions de lutte contre les groupes armés terroristes (GAT), éviter la résurgence des groupes et l’apparition de nouveaux sanctuaires et appuyer les forces internationales qui œuvrent en faveur de la population[1]. La France développe une logique de mobilité, de flexibilité, et de réactivité des forces afin de surprendre l’ennemi dans toute la BSS[2]. Pour cela Barkhane s’appuie sur un réseau de bases militaires permettant de quadriller la zone.
On distingue plusieurs catégories de bases militaires au sein du dispositif Barkhane. Il existe des bases opérationnelles « permanentes » (BOAP) comme celles de Gao, Niamey et N’Djamena. Ce sont les bases les plus importantes de l’opération en termes de commandement et de volume. Leurs systèmes de défense sont performants, elles sont bien fournies en moyens de communication et en équipements militaires. Les bases opérationnelles avancées « temporaires » (BOAT), sont celles de Tombouctou, Kidal, Tessalit, Menaka, Gossi, Faya-Largeau, Abéché et Aguedal. Ce sont des points d’appui complémentaires aux bases permanentes. Elles n’ont de temporaire que le nom puisque certaines existent depuis les prémices de l’opération Serval. Ce sont des emprises plus petites que les bases permanentes, leur aménagement est rustique au départ mais elles peuvent devenir plus confortables avec le temps[3]. Bien que la sédentarisation apparaisse essentielle dans une guerre de contre-insurrection, celle-ci fait face à plusieurs limites. Quels sont les impacts géostratégiques que les BOAT peuvent présenter dans la conduite de Barkhane ? Quel avenir ont-elles au sein des futures opérations ?
I- Mise en perspective historique des BOAT
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A) L’origine des BOAT dans la bande Sahélo-saharienne
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a) Le 19ème et le 20ème siècle : la mise en place de forts français
Amorcée depuis le Sénégal par le général Faidherbe en 1854, la colonisation de l’Afrique de l’Ouest s’accélère à compter de 1878. La conquête des espaces sahariens était menacée par les nomades prêts à lancer des rezzous afin de s’emparer des richesses françaises. Le général Henri Laperrine d’Hautpoul[4] définit les rezzous comme une incursion armée effectuée par des bandes de guerriers dans un but de pillage[5]. Afin de sécuriser la partie conquise du désert, une ligne de fort est édifiée entre 1893 et 1894 à Niamey, Zinder et N’Guigmi. Ces nouvelles fortifications ont pour fonction de contenir les barbares du nord et empêcher les incursions dans les territoires sédentaires. Cet objectif n’est pas atteint car les unités coloniales peu mobiles sont dans l’incapacité d’empêcher leurs adversaires de franchir la frontière[6]. En conséquence on crée un nouveau type d’unité capable d’évoluer dans un milieu aussi hostile : les méharistes. Grâce à l’utilisation du chameau pour se déplacer la puissance coloniale parvient finalement à poursuivre les rezzous et les frapper dans leurs sanctuaires. Afin de soutenir l’effort des troupes méharistes, de nouvelles bases militaires sont construites. Le poste de Bilma au Niger est bâti dès 1906, Madama en 1930, Chirfa en 1933, Dao Timni en 1938 et Dirou en 1939[7]. Ces fortifications ont permis aux français de se protéger de l’ennemi mais également des aléas climatiques. Les bases constituaient aussi des refuges pour les blessés et malades. Dans les années 1930 les engins motorisés furent affectés aux postes les plus importants permettant l’intervention plus rapide et efficace des médecins coloniaux et des ravitaillements en nourriture[8]. Enfin, les bases ont permis l’emploi plus intensif de l’aviation dans la région, des terrains d’atterrissage ont pu être aménagés à Jraif et Atar en Mauritanie, ou encore Séguédine et Dada au Niger. Ainsi, la mise en place de postes avancées gardés par des troupes spécialement adaptées a permis de mettre un terme aux rezzous. Dès les années 1930, les méharistes offrirent à ces territoires une grande stabilité.
Carte de la mise en place des forts durant la période coloniale française[9]
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b) L’influence américaine, la tendance aux FOB (l’exemple de l’Afghanistan)
Après la décolonisation dans les années 1960, les forts ont été repris par les autorités politiques et militaires nouvellement créées. La pratique des bases opérationnelles avancées n’a pour autant pas disparue, elle s’est poursuivie notamment au sein des opérations extérieures comme en Afghanistan. La coopération avec l’armée américaine au cœur de l’OTAN a eu pour conséquence directe d’accoutumer les forces françaises aux FOB (forward operating base). Les Etats-Unis ont développé en Afghanistan et en Irak des bases extrêmement protégées avec une logistique impressionnante (hôpitaux, pistes d’aviation …) et d’un grand confort. Aujourd’hui dans l’opération Barkhane, un réseau de BOAT a été créé, elles sont situées à Tessalit et Kidal au Mali , Atar en Mauritanie, Zouar, Faya-Largeau et Abéché au Tchad, Arlit, Madama, Dirkou et Difat au Niger. La mise en place de bases avancées est une pratique qui se transmet également aux forces armées africaines. Le génie français participe actuellement à la construction du camp de Labbézanga qui doit être livré aux partenaires maliens avant la fin de l’été 2020[10].
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c) Le cadre juridique
Il existe des accords politiques bilatéraux entre la France et les pays Sahéliens qui encadrent la constitution des BOAT. Il n’y a pas d’accord propre à chaque base mais propre à chaque Etat. Ces accords sont particuliers selon les pays et sont plus ou moins contraignants. A titre d’exemple, les autorités politiques nigériennes interdisent la levée des couleurs au sein des BOAT au Niger comme celle de Madama, tandis qu’au Tchad et au Mali elles sont autorisées. Ces accords politiques évoluent, ils sont négociés de façon régulière soit parce que les besoins changent, soit parce que le pays hôte souhaite modifier l’accord.
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B) Le fonctionnement d’une BOAT
- a)
L’aménagement de la base
Avant l’installation d’une BOAT, un travail de reconnaissance aérien et terrestre est effectué. L’installation peut prendre plusieurs jours ou mois, la construction de la BOAT de Gossi a par exemple été entamée en janvier 2019 et inaugurée le 26 juin 2019 soit 6 mois plus tard[11]. Afin de protéger les militaires au sein de la base, des fortifications sont érigées, elles sont généralement fabriquées en terre et renforcées avec des grilles métalliques. Parfois ces fortifications étaient préexistantes à l’opération Barkhane comme la base de Tessalit où les Français n’ont fait que récupérer les murs d’enceinte en pierres et les ont renforcés avec des sacs de terre et du barbelé. Des sentinelles sont placées à chaque extrémité de la BOAT afin de surveiller le périmètre. Cette surveillance peut être renforcée par des moyens techniques comme par des drones ou des capteurs électro-magnétiques en fonction de l’importance accordée à la zone. Les BOAT sont généralement aménagées de façon sommaire, puis elles ont progressivement gagné en confort et se sont modernisées ; « A Madama en 2014 les militaires dormaient sous des tentes sans climatisation, puis avec climatisation, ensuite ils logeaient dans des bâtiments préfabriqués avec des toilettes et douches. Les conditions de logements se sont peu à peu améliorées »[12]. Les ravitaillements s’effectuent par voie aérienne ou terrestre, aucune base ne fonctionne en totale autonomie.
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b) L’organisation de la BOAT
On distingue un commandant de la base responsable des aspects logistiques, administratifs et de la protection de la base, et le chef opérationnel chargé de l’aspect tactique des opérations. Ce dernier va avoir autorité sur toutes les troupes qui stationnent soit de façon durable soit temporairement sur la base. Le commandement tourne tous les 4 mois pour chaque BOAT. Il n’existe pas de règle concernant les effectifs au sein d’une BOAT, ces derniers varient en permanence selon l’importance tactique qui lui est accordée. La base de Tessalit a par exemple pu accueillir 1700 personnes durant la première phase de l’opération Serval avant de se stabiliser autour de 500 militaires[13]. Entre septembre et octobre 2018 la base de Menaka avait triplé de volume car une montée en puissance y avait été décidée7. Au sein de chaque BOAT réside une composante opérationnelle militaire chargée de protéger la base et d’effectuer les opérations à partir de la base, et une partie soutien chargée de permettre la continuité logistique des opérations. Les sections de combat et les équipes de soutien réalisent leurs missions pendant une période de 4 mois.
- C) Les relations extérieures
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a) Le contact avec la population locale
Dans chaque BOAT il existe une équipe dirigée par un militaire chargée de monter des projets d’aide au développement. L’objectif est d’entretenir le lien avec les populations et faciliter l’acceptation de la force par les locaux. La base de Gossi a pu servir de point de départ pour des actions d’accès à l’eau, d’aide à l’agriculture, d’accès à l’éducation etc. Par ailleurs une politique de coopération étroite avec l’Agence française de développement (AFD) a été mise en place. Le personnel de l’AFD peut loger dans les bases mais pas de façon permanente. Directement au sein des BOAT il existe aussi des échanges avec la population locale. Les bases vont employer du personnel local pour des emplois tels que le lavage de linge ou le nettoyage. Par ailleurs, les commandants de base entretiennent des relations avec les autorités civiles locales (les maires, police, gendarmerie…). Certaines bases sont situées en plein milieu du désert où le contact avec la population locale reste rare, c’était le cas pour la base de Madama « On peut ne croiser personne pendant 10 jours. Il n’y a pas de route et très peu d’arbre. Au Mali c’est différent, les bases sont généralement à côté des villes. »9
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b) Le contact avec les forces armées partenaires
Les forces françaises travaillent au maximum avec les forces partenaires mais les armées ne se mélangent pas au sein des BOAT, chacune a son espace. A Gao la délimitation est nette : il y a la partie française et la partie MINUSMA, chacun a sa propre base. Les relations sont bonnes surtout lorsque les mêmes unités coopèrent dans la durée. A Madama, les Nigériens disposent d’une base militaire à côté de la BOAT française. Il arrive fréquemment que le chef du bataillon nigérien rencontre le commandant de la base française dans l’une ou l’autre base. En général avant d’entamer une opération conjointe, les forces nigériennes peuvent rentrer dans la base française. On vérifie toujours qui entre dans les BOAT, avec quels moyens, quelles armes, il faut éviter certaines erreurs qui se sont produites en Afghanistan.
II- Intérêts opérationnels, tactiques et stratégiques des BOAT
- A) L’intérêt opérationnel
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a) Opérations stricto françaises
Afin de mener des opérations sur l’ensemble d’un territoire, le maillage est la clef[14]. Il s’agit de répartir les BOAT dans l’espace sans trop les distancer de façon à ce qu’elles puissent interagir entre elles. Les opérations menées à partir des bases sont de différentes nature : patrouilles quotidiennes pour quadriller le territoire, reconnaissance de zones de trafics, collecte de renseignements, opérations pour sécuriser un convoi de ravitaillement (…). Les opérations s’effectuent généralement dans la zone dans un périmètre de 100 kms autour de la base pour des raisons médicales : s’il y a un blessé il faut pouvoir le rapatrier rapidement. Le délai de prise en charge chirurgicale des blessés doit être de moins de deux heures[15]. Chaque base se situe à un endroit clef pour mener des opérations. La base de Gossi est placée sur la RN 16 un axe crucial vers le Nord du Mali, elle permet d’opérer jusqu’aux rives du fleuve Niger et la région de Tessit-In Tillit[16].
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b) coopération opérationnelle avec armées locales
Les BOAT permettent de faciliter les opérations conjointes avec les forces armées partenaires, d’être en contact avec elles. A partir des bases, les opérations peuvent être conduites conjointement avec les armées locales avec pour but d’étendre progressivement la zone d’action des forces armées partenaires. L’apport des militaires maliens, nigériens et tchadiens est précieux en termes d’expérience, de conseils et de connaissance du milieu (terrain, population, ennemi), c’est pourquoi les BOAT sont généralement proche des bases militaires des forces partenaires.
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c) Les conditions d’opération
Les conditions d’opérations sont difficiles à cause du climat. La saison chaude est plus favorable à la manœuvre, les forces peuvent se déplacer à 100 km/h dans le désert tandis qu’en saison des pluies la mobilité est plus réduite. Les convois mettent par exemple près de 3 jours pour relier Gao à Tessalit en saison sèche et jusqu’à 8 jours pendant la saison des pluies[17]. Les activités sont généralement arrêtées entre 11h et 15h en saison chaude à cause de la chaleur qui oscille entre 40 et 45°. Une autre difficulté provient du sable qui est considéré comme l’un des pires ennemis des militaires, celui-ci endommage les équipements et perturbe la progression. Dans ce contexte opérationnel difficile, les BOAT offrent une véritable zone de confort, elles servent de point de départ et d’arrivée aux opérations.
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B) L’Intérêt tactique
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a)L a réactivité
La principale caractéristique attendue d’une BOAT est celle de « réactivité ». L’objectif est de pouvoir se déployer rapidement pour contribuer à la gestion d’une crise et de pouvoir accueillir des moyens de renfort projetés depuis la métropole ou transférés. Il s’agit d’agir rapidement dans les zones les plus reculées. La BOAT doit permettre la projection dans les directions les plus probables des crises avec le minimum d’élongation.
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b) Zone ou l’ennemi est présent
La BOAT doit être installée dans une zone où l’ennemi est présent, où l’on pourra avoir l’effet le plus important sur lui. La base de Madama se situe à quelques dizaines de kilomètres de la frontière libyenne, elle constitue un excellent point d’appui pour lutter contre les flux terroristes dans la région[18]. Un autre nœud sécuritaire important est celui de Tessalit qui se trouve à l’extrême nord-est du Mali à 60 kilomètres de la frontière Algérienne. C’est un véritable carrefour : contrôler Tessalit permet de contrôler les flux entre l’Algérie et le Mali afin d’éviter la descente des groupes djihadistes ou leur fuite vers le nord, « Celui qui contrôle Tessalit contrôle le Sahara »[19].
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c) Présence d’installations défensives
Chaque BOAT doit être munie d’installations de défense. On trouve par exemple au sein de la base de Tessalit plusieurs lance-roquettes qui permettent de renforcer les capacités d’appui-feu du Groupement tactique désert Ouest (GTD-O). Avec une portée maximale de 84 km, les roquettes guidées à charge explosive (GMLRS-U dite M-31), peuvent frapper dans la profondeur des objectifs prédéfinis[20].
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d) Accessibilité et logistique
Les BOAT doivent être facilement accessibles, elles se situent généralement à proximité des grandes villes alentour ou de la frontière des Etats. Elles assurent le soutien logistique des militaires français ce qui permet la continuité et la durée des opérations. Elles sont généralement munies d’une piste d’atterrissage afin de projeter des moyens aéroterrestres en alerte permanente. La piste d’atterrissage permet également de rapatrier les blessés et de ravitailler en vivre, carburants et munitions.
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e) L’accès à l’eau
L’eau est un élément naturellement indispensable au fonctionnement des bases opérationnelles. Elles sont généralement placées à proximité des puits et des oasis comme la base de Faya-Largeau, une oasis en plein cœur du désert du Djourab, au pied des monts du Tibesti. La nappe phréatique doit contenir suffisamment d’eau pour encaisser la présence militaire sans avoir d’impact sur les populations locales qui l’utilisent également. « L’eau est rare, si on l’accapare cela ne va pas avec l’acceptation de la force »[21].
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f) Proximité avec les bases de la MINUSMA : étude comparative
Enfin, les BOAT sont généralement placées à proximité de bases des forces armées partenaires. C’est le cas pour les BOAT de Menaka, Kidal, Tessalit, où la partie française est colocalisée avec la MINUSMA. L’objectif c’est la soutenabilité des forces. La base de Tessalit est pensée comme un millefeuille avec différentes forces insérées dans le camp[22]. Chacune des forces à son propre compartiment au sein du camp. Cette proximité entre les forces françaises et les forces armées partenaires est tactiquement un atout indéniable. Le fonctionnement des bases de la MINUSMA est un peu similaire à celui des BOAT françaises au sens où il existe un système de protection, une équipe de soutien définie en fonction du volume de troupes déployées et une équipe opérationnelle. L’originalité des bases de la MINUSMA provient de leurs multiples couches identitaires : tandis que les BOAT françaises disposent d’une unicité de commandement et d’organisation de la défense, les bases de la MINUSMA sont divisées en sous-camps où chaque nationalité vit de façon séparée.
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C) L’intérêt stratégique
La mise en place d’une BOAT dépend des intérêts politiques, c’est à dire des effets finaux recherchés que le militaire traduit en ordres et en actions à mener. L’établissement d’une BOAT répond à une problématique stratégique dans le sens où elle indique la zone prochaine d’effort. La décision d’ouverture et de fermeture des bases ne dépend pas que du commandant de la force (COMANFOR) mais aussi de l’Etat-major, c’est une discussion et la décision est prise de façon collégiale selon les objectifs stratégiques fixés. Le PCIAT à N’Djamena et le CPCO peuvent proposer des directions et une zone de rayonnement où les opérations doivent se concentrer. L’espérance de vie d’une BOAT varie selon les objectifs stratégiques et donc selon la volonté du politique. En 2014 après l’opération Serval, l’état-major craignait que les djihadistes puissent basculer du côté Niger, aussi les moyens furent considérablement renforcés sur le fuseau est. La base de Madama répondait à l’objectif de surveiller le fuseau est du dispositif français, elle est montée en puissance en 2014 et 2015. Un changement de posture a finalement été décidé à partir de 2016. Madama a été mise en sommeil en 2019 de façon à permettre la montée en puissance de la base de Gossi. Cette base illustre la volonté de concentrer l’action de Barkhane dans la région du Gourma. En novembre 2017 l’opération Barkhane a concentré son effort dans le Liptako avec la création de la base de Menaka. Ménaka représentait aussi un symbole, celui de faire de cette ville une figure de proue de la réussite stabilisatrice de Barkhane et du retour des autorités maliennes[23].
III- Les perspectives d’évolution des BOAT
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A) Les limites de la sédentarisation
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a) Le problème de l’entretien
Une BOAT nécessite un entretien permanent compte tenu des conditions climatiques aussi arides. Tout se dégrade vite avec les tempêtes de sable, les inondations, la chaleur… La zone géographique est très abrasive, les équipements s’usent vite, l’entretien est permanent et cela a un coût.
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b) Le problème des effectifs
Les opérations menées à partir des bases ne peuvent excéder une certaine durée car les militaires en s’absentant de la base la rendent vulnérable. C’est une véritable guerre des effectifs qui se joue : plus on ouvre de bases plus on a besoin d’effectifs de soutien pour leur entretien et leur protection et moins l’on a de moyens pour conduire des opérations[24]. « Lorsque l’on fait la comparaison entre le nombre de soldats derrière un fusil en opération par rapport à l’effectif global, ce chiffre est ridicule et ceci à cause de l’embasement, du fait que l’on soit trop statique »[25].
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c) Perte de mobilité
La sédentarisation au sein des bases présente un problème d’un point de vue tactique. On a tendance à s’ancrer dans le sol, à perdre en mobilité. « Plus on s’implante, plus on crée un confort sur ces bases et plus il est difficile de s’en éloigner »12. En restant statiques sur les emprises, les militaires perdent l’effet de surprise, ils deviennent des cibles et sont plus vulnérables. Récemment vingt personnes, dont 18 Casques bleus tchadiens, ont été blessées en début d’année lors d’une attaque à la roquette contre la base de Tessalit[26].
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d) Perte de contact
Enfin, l’un des risques majeurs des BOAT est de perdre le contact avec la population. « Le succès ultime est remporté en protégeant la population, pas ses propres forces. Si les forces militaires restent bloquées dans leurs bases, elles perdent le contact avec la population et cèdent l’initiative aux insurgés »[27]. En s’enfermant dans les bases, les militaires rompent le contact au risque de devenir une armée d’occupation. Un sentiment anti-français n’a cessé de grandir au Sahel, des manifestations ont eu lieu dans les villes contre la présence française et sur les réseaux sociaux on a constaté de nombreuses rumeurs[28] . Le mécontentement grandissant des populations locales remet en question la présence française au sein des BOAT. Pour l’heure, ce mouvement contestataire est peu structuré mais cela ne veut pas dire qu’il ne le sera pas demain. La France ne pourra gagner la guerre au Sahel sans le soutien de la population[29].
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e) La fin de la sédentarisation ?
L’objectif est de moins sédentariser les troupes, de nomadiser davantage[30]. Il convient d’adopter la même forme que l’ennemi, exercer une pression psychologique permanente sur lui et le traquer. De nouvelles formes d’opérations sont pensées pour gagner en mobilité. Du 23 janvier au 23 mars 2020 une nouvelle expérience a été testée dans le cadre de l’opération Barkhane, les hommes du 2e REP ont armé un groupement tactique désert (GTD) pour mener une opération de deux mois dans le Liptako malo-nigérien sans être adossés à une emprise. 225 militaires ont été projetés depuis la Cote d’Ivoire au Niger. Les actions de combat ont été menées avec un bataillon des forces armées nigériennes (FAN). Dans le but de ne pas alourdir la mobilité et afin d’augmenter l’autonomie et sa capacité à durer, des maintenanciers ont été intégrés au sein des équipes, ils avaient la double fonction de techniciens et de combattants. Cette expérience prouve que le soutien au sein d’une BOAT n’est pas indispensable : il peut s’effectuer directement au cœur des opérations. Le GTD disposait également d’équipes médicales mobiles ce qui était adapté et efficace pour son soutien santé. L’approvisionnement s’est effectué en partie par les airs, et par route. En matière d’approvisionnement en eau, la consommation générale a été restreinte à 7,5 litres par homme et par jour au lieu des 15 litres fixés par la norme. L’eau en bouteille habituellement dédiée à l’hygiène a été remplacée par la perception des kits hygiène. Ce type d’opération demande de la rusticité auprès des combattants, mais permet de gagner en termes de manœuvre. Cette opération unique a été une réussite pour plusieurs raisons. Les deux mois d’opération ont permis d’inscrire l’action dans la durée contre l’ennemi et auprès des Nigériens. L’engagement sans discontinuité a permis au GTD d’améliorer sa connaissance du terrain, de la population et de l’ennemi. D’autre part le GTD a bénéficié d’une grande liberté d’action tactique, permise par le PCIAT mais aussi par la grande taille de la zone d’opération. Enfin, le GTD a opéré avec le même bataillon nigérien, ce partenariat militaire s’est montré très efficace. Cette opération a permis de redonner confiance aux FAN qui se sont vu attribuer des succès. Celles-ci avaient subi de lourdes défaites, elles ont ainsi repris l’ascendant psychologique sur les GAT. Cette expérience sans être adossée à une plateforme déjà existante et en quasi-autonomie logistique ouvre la voie à un nouveau modèle d’opération. Elle prouve que le passage par une BOAT n’est pas forcément nécessaire. Sortir du cadre des BOAT permet de gagner en mobilité et en efficacité tactique. Ce type d’opération pourrait être amenées à se reproduire plus souvent.
Conclusion
Présentes depuis le début des opérations Serval et Barkhane, les BOAT sont les indispensables supports de l’intervention française au Sahel par l’intérêt tactique, logistique et stratégique qu’elles représentent. Mais l’expérience récente menée par le 2ème REP est intéressante car elle ouvre la voie à une direction de recherche qui permettrait sans doute d’accroitre l’efficacité opérationnelle de l’ensemble. Ainsi se trouveraient renforcée la complémentarité entre les pions statiques que constituent les bases et la mobilité accrue de ces groupements nomades dotés d’une grande autonomie tactique et logistique. Ils bénéficient en tant que de besoin des renseignements, de l’appui et du soutien des bases les plus proches, et traquent sans relâche les groupes rebelles disséminés dans l’immensité sahélienne. L’expérience de la guerre d’Algérie est aussi riche d’enseignements. Les troupes de secteur quadrillaient le terrain tandis que les unités de réserve générale traquaient les katibas. Avec le plan Challe, l’application de cette tactique au niveau stratégique porta un coup décisif aux unités de l’ALN et, de surcroit, mit les unités de maquisards locaux à la portée des troupes françaises de secteur. Cette forme de combat est transposable au Sahel. Nos groupements motorisés évolueraient en « chasse libre » dans le désert pendant deux ou trois mois. Ce type d’opération serait, en outre, formateur pour nos cadres car il demande imagination et esprit d’initiative. Il pourrait également être « contagieux » et développer l’esprit offensif des formations africaines.
Léa GUIGNON
Bibliographie
Sources institutionnelles
Etat-major des Armées, Point de situation des opérations du 29 mars au 4 avril, 10 avril 2019.
Etat-major des Armées, Point de situation des opérations du 29 mai au 4 juin, 4 juin 2020.
Compte rendu n° 17 de la commission de la défense nationale et des forces armées devant l’Assemblée nationale, 31 octobre 2018.
Compte rendu n°12 de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale, audition du général d’armée François Lecointre, chef d’état-major des armées, 6 novembre 2019.
Comptes rendus de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées au sénat, audition du Colonel Michel Goya, Mathieu Pellerin, et Yvan Guichaoua, 3 mars 2020.
Etat-major des Armées, « Barkhane : focus sur le poste avancé de Tessalit », 9 novembre 2017.
Etat-major des Armées, « Tchad : les missions du poste isolé de Faya Largeau, » 29 avril 2011.
Etat-major des Armées, « Barkhane : Entretien avec le représentant du commandant de Barkhane à Gao sur les adaptations de la force face à la pandémie du Covid-19 », 11 juin 2020.
Etat-major des Armées, « Être autonome en eau : Les talents cachés du lieutenant Paulin », 14 janvier 2020.
Etat-major des Armées, Dossier de presse, opération Barkhane, juillet 2019.
Sources académiques
Emmanuel Goffi « Opération Barkhane : entre victoire tactiques et échec stratégiques, éléments de réflexions sur l’intervention militaire française dans la bande Sahélo-Saharienne », Centre FrancoPaix en résolution des conflits et mission de paix UQAM, juin 2017.
Mathieu Pellerin, « Les trajectoires de la radicalisation religieuse au Sahel », Institut français de relations internationales, février 2017.
Jordan, Frédéric. « Témoignage : objectif Madama, un partenariat africain tripartite réussi », Revue Défense Nationale, vol. 792, no. 7, 2016.
Bertrand Badie, Dominique Vidal, Nouvelles guerres : comprendre les conflits du 21ème siècle, Paris, la Découverte, 2016.
Emmanuel Garnier, L’empire des sables. La France au Sahel 1860-1960, Paris, Perrin, 2018.
Lieutenant-colonel Venel, capitaine Bouchez, Guide de l’officier méhariste au Territoire militaire du Niger, Paris, Émile Larose, 1910.
Bertrand Oliva, Jean Gaël Le Flem, « Un sentiment d’inachevé, Réflexion sur l’efficacité des opérations », Editions de l’école de guerre, juillet 2018.
Olivier Hanne, « L’opération Barkhane devant l’évolution des risques dans la Bande sahélo-saharienne », Outre-Terre, N° 51 2017.
David Galula, Contre-insurrection : Théorie et pratique, Paris, Economica, 2008.
Thèses
Julien Brachet. Un désert cosmopolite. Migrations de transit dans la région d’Agadez (Sahara nigérien), Université Panthéon-Sorbonne – Paris I, 2007.
Articles
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Guerric Poncet, « Ces soldats français perdus au fin fond du Sahara », Le Point, 3 avril 2017.
Philippe Chapleau, « Tirs de roquettes contre la base de Tessalit (Mali): une vingtaine de blessés » Ouest France, 9 janvier 2020.
Stéphane Gaudin, « Tchad : Faya Largeau, une nouvelle base pour les rafales » 2 janvier 2014.
Laurent Larcher, « Dans les postes avancés de Barkhane », La Croix, 1er août 2016.
Baba Ahmed, « Nord-Mali : à Tessalit, l’armée frappe un grand coup contre les rebelles du MNLA » Jeune Afrique, 15 février 2012.
Jérôme Delay, « Tessalit assumes vital importance in Mali’s struggle against Islamist rebels » The Guardian, 5 février 2013.
Denia Chebli , « L’échec de l’intervention française au Mali », Libération, 27 juin 2017.
Simon-Pierre Corcostegui, Pierre Rajoelison, François Jammes, Laurent Prieux, Alice Wojtecki, Sophie Novel, « Onze mois d’activité du Role 1 de Tessalit (Nord-Mali), poste isolé de l’opération « Barkhane », Médecine et armées, 24 novembre 2016.
Laurent Lagneau « Mali/Barkhane : Premier déploiement opérationnel du Lance-roquettes unitaire » 18 février 2016.
Général Gilbert Robinet, « Sahel : Le sang de la corruption, Association de soutien à l’armée française », 19 janvier 2020.
Entretiens
Commandant Bouquin
Capitaine Fleury
Commandant Jullien
Commandant Lluyx
Colonel De La Chapelle
Colonel Désmeulle
Général Guignon
[1] Etat-major des Armées, opération Barkhane, dossier de presse, 17 février 2020, https://www.defense.gouv.fr/operations/barkhane/dossier-de-reference/operation-barkhane.
[2] Olivier Hanne, « L’opération Barkhane devant l’évolution des risques dans la Bande sahélo-saharienne », Outre-Terre, 2017/2 (N° 51), p. 225-237.
[3] État-major des Armées, Barkhane : Entretien avec le représentant du commandant de Barkhane à Gao sur les adaptations de la force face à la pandémie du Covid-19, 11 juin 2020.
[4] Il était commandant militaire supérieur des oasis sahariennes de 1901 à 1910.
[5] Emmanuel Garnier. L’empire des sables. La France au Sahel 1860-1960, Paris, Perrin, 2018.
[6] Lieutenant-colonel Venel, capitaine Bouchez, Guide de l’officier méhariste au Territoire militaire du Niger, Émile Larose, 1910.
[7] Emmanuel Garnier, L’empire des sables. La France au Sahel 1860-1960, Paris, Perrin, 2018, page 85.
[8] Ibid.
[9] Olivier Hanne et Léa Guignon.
[10] État-major des armées, Point de situation des opérations du 19 au 25 juin, 26 juin 2020.
[11] État-major des armées, Point de situation des opérations du 5 au 9 juillet 2019, 11 juillet 2020.
[12] Ibid.
[13] Entretien avec le colonel Desmeulle.
[14] Entretien avec le commandant Bouquin.
[15]Etat-major des Armées, Barkhane : déploiement d’une antenne chirurgicale vitale sur la base avancée de Tessalit, 13 septembre 2019.
[16] Entretien avec un agent du ministère des Armées.
[17] Simon-Pierre Corcostegui, Pierre Rajoelison, François Jammes, Laurent Prieux, Alice Wojtecki, Sophie Novel, « Onze mois d’activité du Role 1 de Tessalit (Nord-Mali), poste isolé de l’opération « Barkhane », Médecine et armées, 24 novembre 2016.
[18] Jordan Frédéric, « Témoignage : objectif Madama, un partenariat africain tripartite réussi », Revue Défense Nationale, vol792, no. 7, 2016, pages 70-73.
[19] Jérôme Delay, « Tessalit assumes vital importance in Mali’s struggle against Islamist rebels » The Guardian, 5 février 2013.
[20] Laurent Lagneau, « Mali/Barkhane : Premier déploiement opérationnel du Lance-roquettes unitaire » 18 février 2016.
[21] Entretien avec le capitaine Fleury.
[22] Entretien avec le capitaine Fleury.
[23] Entretien avec un agent du ministère des armées.
[24] Entretien avec le commandant Lluyx.
[25] Ibid.
[26] Philippe Chapleau, « Tirs de roquettes contre la base de Tessalit (Mali) : une vingtaine de blessés » Ouest France, 9 janvier 2020.
[27] James Amos, The US Army/Marines Corps Counterinsurgency Field Manual, 15 décembre 2006.
[28] Yvan Guichaoua, enseignant-chercheur à la Brussels School of International Studies, audition au sénat 3 mars 2020.
[29] David Galula, Contre-insurrection : Théorie et pratique, Paris, Economica, 2008.
[30] Entretien avec le colonel De La Chapelle.