Ce texte a été prononcé lors d’une conférence donnée à Moscou au MGIMO dans le cadre du dialogue de Trianon, en 2019. J’y évoquai la notion de « Track II diplomacy ».
Le thème de notre table ronde traite de la Track II diplomatie. Pour évoquer son efficacité, je prendrai trois points :
- La complémentarité entre la track I et la track II
- Le cas franco-russe, exemple d’une track II efficace
- La seconde vie du modèle de track II
- La complémentarité entre la track I et la track II
La notion de diplomatie parallèle a été définie il y a quarante ans, dans un article paru en 1981 de Foreign Policy. L’auteur, Joseph Montville, montrait qu’une autre diplomatie était possible, à côté de la diplomatie officielle, celle des diplomates. La deuxième n’a pas remplacé la première, les deux sont complémentaires.
Cela rend logiquement difficile la question de l’efficacité de la diplomatie parallèle. En effet, parfois, quand les relations bilatérales sont bloquées et que les relations officielles sont réduites au minimum, voire coupées, la diplomatie parallèle permet éventuellement de garder le contact de façon discrète, bien que cela soit dur à mettre en œuvre puisqu’il faut que les parties soient d’accord pour ce minimum. Quand les relations officielles sont bonnes, la question de la diplomatie parallèle ne se pose pas.
Finalement, la diplomatie parallèle semble donner ses meilleurs effets quand la diplomatie officielle fonctionne mais fait face à des différences d’approche ou des intérêts trop divergents. Les deux parties ne sont pas alliées ni alignées et elles peuvent peiner à progresser. Alors, la Second track diplomacy est fort utile car elle agit sur les esprits.
En effet, les diplomates officiels représentent leurs gouvernements, ce sont des professionnels chevronnés dont une des exigences consiste à ne pas être influençable. La diplomatie parallèle va précisément chercher à influencer les décideurs, mais indirectement.
C’est pourquoi elle va viser deux catégories : d’une part les experts (scientifiques, académiques, think tanks, journalistes, hommes d’affaires) et d’autre part les sociétés civiles, en permettant aux citoyens de s’exprimer et de dialoguer. Une meilleure connaissance mutuelle permet de rapprocher les esprits et donc de peser indirectement sur les décideurs politiques.
Encore faut-il que cette diplomatie parallèle soit publique et partagée, nous y reviendrons. Notons que c’est le cas du dialogue de Trianon et il faut ici se féliciter de la réciprocité des échanges.
- Le cas franco-russe, exemple d’une track II efficace
Vu de Paris en effet, la diplomatie officielle n’est pas mauvaise même si elle a connu des jours meilleurs. Constatons que le président Macron s’est rendu plusieurs fois en Russie, tout comme le président Poutine s’est lui aussi rendu plusieurs fois en France ces deux dernières années. Ces dialogues officiels ont permis d’entretenir des relations qui n’avaient jamais été rompues, malgré quelques tensions.
Or, le dialogue de Trianon a été mis en place très tôt après l’élection du président français, en mai 2017, a la suite de la rencontre des deux présidents à Versailles. Constatons que ce forum franco-russe des sociétés civiles a appuyé la diplomatie officielle. En effet, deux ans plus tard, non seulement le président Poutine a de nouveau rencontré le président Macron à Brégançon en aout 2019, avant la réunion du G7 : rappelons que la Russie n’y participait pas et que la France accueillait quelques jours plus tard le sommet à Biarritz. On peut penser que certains points de vue russes ont été pris en compte à ce moment-là.
Mais surtout, quelques jours plus tard, fin août, le président Macron a affirmé publiquement, lors de son discours aux ambassadeurs, qu’il fallait dialoguer plus encore avec la Russie. Cela s’est concrétisé par une rencontre, en septembre 2019, entre les deux ministres des affaires étrangères et des deux ministres de la défense.
Ceci confirme que les deux tracks peuvent s’accompagner et se compléter, pourvu que le dialogue soit réciproque et de bonne foi.
- La seconde vie du modèle de track II
Insistons sur cette réciprocité. En effet, la Russie comme la France se sont plaintes, en leur temps, de campagnes d’influence menées sur leurs territoires, visiblement par des puissances étrangères. Elles sont notamment permises par les réseaux sociaux et leur formidable caisse de résonance. Les réseaux sociaux permettent de plus d’agir de façon massive et dans l’anonymat, ce qui peut être instrumentalisé par des manœuvres hostiles.
Au temps de l’article de Montville, l’Internet n’existait pas. La diplomatie parallèle avait donc un tout autre sens qu’aujourd’hui. Il faut ici préciser que justement, aujourd’hui, cette diplomatie parallèle permet d’éviter les débordements, justement parce qu’elle est encadrée et réciproque.
C’est, je crois, une des raisons de son succès, parce qu’elle est de bonne tenue et de bonne foi.
D’ailleurs, c’est à cause de ce foisonnement incontrôlé des réseaux sociaux que le système de la diplomatie parallèle retrouve une seconde vie. Les experts sont heureux de se retrouver sans être la cible de campagnes de trollings qui souvent s’expriment sur Internet. Quant aux citoyens, ils peuvent poser leurs questions en ligne dans des espaces modérés où la nuance est permise et le dialogue recommandé. C’est un des motifs majeurs, je crois, de son efficacité.
C’est pourquoi je suis optimiste envers la formule qui retrouve peut-être une seconde vie. Je souhaite ainsi longue vie au dialogue de Trianon qui nous réunit aujourd’hui et qui pourrait devenir un modèle contemporain et modernisé, quarante ans après l’invention de cette Second Track Diplomacy.
JOCV
La diplomatie parallèle, track 1, track 2 et n’oublions pas track 1,5, réseaux, société civile, experts, bons offices et la liste peut en effet se poursuivre. C’est un beau et très utile sujet.
Mais ne pensez-vous pas que la recherche de l’efficacité oblige précisément à ne pas trop définir le genre de diplomatie que l’on utilise mais au contraire de s’efforcer de ne pas être prévisible ? Le choix de telle ou telle « technique diplomatique » se pose lors de crises, sinon les représentations officielles traditionnelles suffisent amplement à garantir une conduite des relations extérieures de la meilleure qualité.
Je suis convaincu que l’une des tâches du diplomate, quel que soit son affectation, est de consacrer une partie de son temps à ouvrir et entretenir des canaux de transmission. Personne ne peut prévoir l’origine d’une crise, son déroulement et son aboutissement. Cependant il est certain que le dialogue doit être rendu possible ou de se doter d’un moyen de passer un message. Comment le faire sans contacts multiples et parfois surprenants? Connaître le chauffeur du PR peut s’avérer plus efficace que d’être partenaire de bridge de son PM. Sans être en situation de crise, passer un message par un moyen autre que le canal habituel utilisé par tout le monde peut se révéler payant. En réalité, il me semble que la multiplication des canaux est l’une des tâches essentielles de la diplomatie et aucun n’est à négliger.
La crise du Myanmar le montre de manière éclatante. Les correspondants de presse sont hors du pays et surtout du coup (pardon!). Basés à Bangkok, à Pékin, à Phnom Penh, ils sont sollicités pour rédiger des papiers. Leur production est lamentable, entièrement sortie des copies de leurs confrères et d’Internet dont on connaît la puissance des algorithmes. Ils ne citent aucun acteur du drame car ils n’ont aucun contact dans les deux camps. En conclusion, la démocratie c’est aussi la pratique d’ouvrir et d’entretenir des canaux multiples.