C’est la saison des stages. Voici le premier opus de notre stagiaire de cette année, Joël Crisetig, qui nous parle du futur de la Bundeswehr. Cela renvoie au document britannique récent qui est plus une revue de défense et de politique étrangère, dont nous vous avions récemment parlé (LV 165). Bienvenue à lui et merci… LV.
Les « Eckpunkte für die Bundeswehr der Zukunft » : vraie restructuration de l’armée ou effet d’annonce ?
Présentés au grand public le 18 mai 2021 par la ministre de la défense Annegret Kramp-Karrenbauer (CDU) et par le chef d’état-major de la Bundeswehr Eberhard Zorn, les « Eckpunkte für die Bundeswehr der Zukunft » (« Pierres angulaires pour la Bundeswehr de demain ») visent à réorganiser la Bundeswehr afin de la rendre plus « opérationnelle » et plus « réactive », sans toutefois la réformer en profondeur.
Une Bundeswehr « plus flexible et plus rapide »
Trois grands objectifs ressortent de ce document de 27 pages. Tout d’abord, accélérer la fourniture de matériel et d’équipements de l’armée, ensuite « dégraisser » (verschlanken) les structures de commandement pour qu’elles ne se concentrent que sur leurs « missions principales » et n’empiètent pas sur les missions d’autres structures, et enfin améliorer la capacité d’intervention de la Bundeswehr, notamment en termes de rapidité et d’effectifs afin de rester un membre de l’OTAN et de l’UE crédible. En résumé, il s’agit d’avoir « plus de troupes et moins d’état-major, plus de matériel opérationnel et des procédures plus rapides ».
Le ministère de la défense allemand précise qu’il ne s’agit ni de réformer radicalement l’armée ni de faire des économies : aucune réduction de personnel ou de fermeture de bases ne sont prévues. Au contraire, la Bundeswehr maintient son objectif d’atteindre 203.300 soldats (réservistes et services militaires compris).
Réorganisation des « dimensions »
Les « Eckpunkte » expliquent que la réorganisation sera effectuée selon les quatre « dimensions » suivantes :
- L’espace terrestre, où les effectifs et les capacités seront renforcés,
- L’espace aérien et le domaine spatial, où la Luftwaffe sera chargée de mettre en place un commandement spatial qui travaillera étroitement avec le commandement cyber. La Bundeswehr précise qu’elle aspire à une internationalisation de son commandement spatial,
- L’espace maritime, où les effectifs et les capacités seront également renforcés,
- L’espace cyber : au-delà de sa coopération avec le commandement spatial, le renseignement militaire sera développé et travaillera avec l’office fédéral de sécurité informatique (Bundesamt für Sicherheit in der Informationstechnik) et avec le centre national de défense cyber (Nationales Cyberabwehr-Zentrum) pour une meilleur diffusion de compétences dans le domaine cyber.
Chaque « dimension » sera conduite par le chef d’état-major (Inspekteur) de l’armée en question. La fonction de ces chefs d’état-major sera de conseiller le chef d’état-major de la Bundeswehr et de mobiliser les forces opérationnelles de leur armée.
Autres points importants : la santé et une intégration dans l’OTAN plus poussée
Le chef d’état-major du « service sanitaire » (Sanitätsdienst) devient le médecin général de la Bundeswehr auprès du ministère de la défense. Un nouveau commandement en charge de l’approvisionnement de matériel médical (Kommando für Gesundheitsversorgung) sera créé. Le ministère de la défense affirme vouloir ainsi « souligner l’importance de premier plan des soins médicaux pour des soldats pleinement opérationnels au sein de la Bundeswehr ». En outre, la coopération avec le European Medical Command/Multinational Medical Coordination Centre de l’OTAN et de l’UE sera poursuivie.
La Bundeswehr compte installer deux nouveaux centres de commandement territoriaux (Territoriale Führungskommandos) à Bonn et à Berlin, qui pourront servir de « plaque tournante » à des manœuvres de l’OTAN en plus de leur fonction de protection du territoire national en cas de catastrophe naturelle ou sanitaire par exemple. Les 16 centres de commandement des Länder seront également renforcés.
L’organisation d’approvisionnement (Beschaffungsorganisation, BeschO) et l’office fédéral d’armement, des techniques de l’information et d’utilisation de la Bundeswehr (Bundesamt für Ausrüstung, Informationstechnik und Nutzung der Bundeswehr, BAAINBw) seront optimisés.
Enfin, afin d’améliorer son image au sein de la population et de mieux présenter son action, qu’elle estime souvent incomprise par le grand public, la Bundeswehr propose au ministère de la défense d’organiser une « semaine de la sécurité » (Sicherheitswoche) annuelle.
Une preuve de bonne volonté plutôt qu’une réforme ambitieuse
Si elle ne présente pas de réforme majeure dans ses « Eckpunkte », la Bundeswehr semble ici répondre à des critiques récurrentes qui lui sont adressées.
Tout d’abord au niveau national. Ébranlée par différents scandales (lourdeurs, sous-effectif, matériel vétuste, inaction face à des réseaux de militaires d’extrême droite etc.), la Bundeswehr semble vouloir réaffirmer son rôle d’ « armée parlementaire » par une meilleure explication de son action auprès du grand public et en appelant de ses vœux une nouvelle loi de programmation militaire.
Ensuite, les « Eckpunkte » mentionnent fréquemment le rôle de la Bundeswehr au sein d’organisations de défense internationales (Bündnisverteidigung) : l’UE certes, mais surtout l’OTAN. En insistant sur la nécessité de se renforcer et de rester un partenaire fiable dans un contexte instable, le ministère allemand semble indiquer qu’il s’alignera sur l’objectif otanien des 2% du PIB consacrés à la défense – même s’il ne le mentionne pas de manière explicite.
Toutefois, les « Eckpunte » ne présentent que peu d’objectifs chiffrés, mis à part en termes d’augmentation de troupes. Faut-il y voir un manque d’ambition ? Une certaine prudence ? L’avenir nous le dira. Force est de constater que la position du ministère de la défense allemand se rapproche de celle de son homologue français, formulée dans l’actualisation stratégique du ministère des armées (Voir LV 160 : Risques et conflits) [1]. Guerre hybride, politiques de puissance russe et chinoise, retrait américain, nécessité d’une coopération en matière de défense à l’échelle européenne, augmentation du budget de défense… Les analyses des deux côtés du Rhin se ressemblent en bien des points – une perspective de bonne augure.
[1] Schnitzler G. (23/02/2021), « Actualisation stratégique 2021 du ministère des Armées : que retenir ? », IRIS, https://www.iris-france.org/154730-actualisation-strategique-2021-du-ministere-des-armees-que-retenir/
Joël Crisetig est étudiant en M1 « Stratégie, intelligence et gestion des risques » à Sciences Po Lille et à l’Université de Münster (Allemagne)