Amin Maalouf, dans son ouvrage Les Croisades vues par les Arabes, explique que le glissement de civilisation tient pour beaucoup dans l’instauration par les Francs d’une légalité, certes féodale mais prémisse de la règle de droit. C’est ce que nous ne sommes plus capables de défendre. On sait les indignations sélectives de nos diplomates : enlever un opposant biélorusse n’est pas bien, mais lorsque le dictateur rwandais se vante avoir fait de même, ils se précipitent à Kigali comme leurs anciens à Munich. S’ils semblent très soucieux de la santé des embastillés de Poutine, ils le sont moins de celle de Julian Assange dont les conditions de détention violent les principes de la Convention européenne de 1950. Et tandis que des précieuses ridicules reprochent à des petits marquis de se mobiliser davantage pour les enfants palestiniens que pour les femmes afghanes brûlées à l’acide, on ne les entend pas du tout sur Hong Kong.
Dans cet arbitrage des élégances se dessine, sur la question d’Orient, la frontière de cette fantasmée guerre civile que nous annoncent d’inénarrables pseudo-philosophes de cour et de gare, qui importent le conflit tout en en accusant ceux qu’ils qualifient d’agents infiltrés du Hamas, y compris dans l’équipe de France. Que dire également des raisonnables qui, sous couvert de tenir le juste milieu entre les deux camps, tombent dans le piège du slogan Paix contre Territoires ? Les Palestiniens ont droit à l’Etat voté en 1947, dans le tracé accepté de 1948-1967, sans abandon de souveraineté. Leur demander de vivre dans un bantoustan désarmé, protestant tous les matins de leur amour inconditionnel pour le voisin nucléarisé, est une ânerie qui fait le jeu de ceux qui se pâment devant Tsahal et son Dôme de Fer, système anti-missiles dont l’efficacité semble avérée puisque pas une résolution des Nations Unies n’a pu atteindre Israël en un demi-siècle.
Car personne ne peut accepter la prédation comme mode d’acquisition, comme le disait déjà Charles de Gaulle lors d’une fameuse conférence de presse dont on a oublié l’essentiel du fait d’un mot malheureux : « Israël ayant attaqué, s’est emparé en six jours de combat des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion, et s’y manifeste contre lui la résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme. » Nos diplomates, qui ne réagissent qu’une fois les trêves signées et leur suzerain américain sorti du bois, tout en prenant bien soin d’éluder la question de l’occupation, ne comprennent pas que ce qui mobilise les opinions publiques n’est pas l’identification à tels ou tels – sauf pour ceux qui voient dans Israël un front avancé – mais la violation de la règle de droit. On en connaît également – souvent les mêmes – qui demandent la suppression du double degré de juridiction et la sortie de la France de la Convention de 1950. Il faut avouer que c’est bien ennuyeux, la légalité !
Le Cadet