C’était une défaite annoncée, prévisible et prévue. Le Cadet, qui y a consacré plusieurs billets, n’écrivait-il pas il y a huit ans que « nous allons devoir dégager d’Afghanistan après plus de dix ans d’une guerre introuvable » [1] ? Un journaliste du Daily Telegraph rapportait dès juin 2006 ce constat d’une armée américaine en pleine débandade, uniquement préoccupée de sa survie, bande d’irréguliers incapables d’initiatives (voir l’opinion de Churchill à propos du fiasco d’Anzio) mal entraînés et mal équipés, MASH en moins drôle. La Rand Corporation avait elle-même annoncé la défaite dans plusieurs rapports circonstanciés en 2008 [2].
Qu’est allée faire la France dans cette galère, et que fait-elle dans une alliance militaire avec une nation de Puritains qui ignorent d’autant plus le monde qu’ils s’en croient rejetés et vont finir par l’être ? Pourquoi titrer, comme certain hebdomadaire, sur la déroute de l’« Occident » ? On va encore mettre cette débâcle sur le compte de l’ineptie du projet de nation building, pour ne pas voir celle d’une armée américaine qui ne connaît que la répétition du trauma, qui crut venger à My Lai la déculottée de Québec de 1775, qui envoya son 7th Cavalry tenter de gagner à Bagdad, comme à Wounded Knee, la bataille perdue de Little Big Horn. Une armée qui, profitant du débarquement à Newport d’un contingent de troupes françaises en 1778, ne trouva rien de plus pressé, après trois ans d’inaction contre les Red Coats, que de faire une razzia sur les villages indiens de l’Ohio ; dont l’urgence, en pleine Guerre de Sécession et poussée confédérée, fut de pendre en 1862 une trentaine de Sioux Lakota. Une armée de carabiniers d’opérette et de tortionnaires acnéiques livrés en Afghanistan aux mêmes pulsions que dans leurs collèges du Middle West, de faux caïds suprémacistes à qui les Britanniques ne parvinrent jamais à faire ôter les lunettes teintées, à qui les Français tentèrent en vain d’expliquer qu’il faut boire le café que le chef de village vous offre de mauvaise grâce, le village étant rasé le lendemain par un de ces AC-130 Gunship inventés au Viêt Nam (The aircraft that the Taliban feared most, se vante pornographiquement l’USAF), parce qu’un opérateur de drone, devant son écran dans le Nevada, a cru apercevoir un Taliban au milieu de la noce.
Mais l’Amérique ne se sent ni responsable ni coupable, et surtout pas d’abandonner les Afghans. « Les Soviétiques avaient laissé un gouvernement qui tint encore trois ans : combien de temps faudra-t-il aux barons de la drogue à qui nous confions les clefs du pouvoir, pour les abandonner aux Taliban ? [3] » Le temps qu’il faudra pour publier ces lignes. Mais pas beaucoup plus.
Le Cadet
[1] Pour la Revue Défense Nationale : « En attendant, mon officier… » Tribune n° 116, juillet 2011 ; « Drone mon amour », RDN, n° 761, juin 2013 ; « COIN COIN », RDN n° 767, février 2014. Sur La Vigie : « L’art de perdre la guerre », n° 58, février 2019.
[2] Parmi ces Counterinsurgency Studies publiées en cinq parties et une synthèse : Volume 4, Counterinsurgency in Afghanistan ; Volume 5, Rethinking Counterinsurgency in Afghanistan.
[3] « COIN COIN », op. cit.
Merci Le Cadet pour cette excellente évaluation. Les Etats Unis sont un pays né dans et par la violence. Un pays qui a besoin, toujours, d’un ennemi. Hier l’URSS, aujourd’hui encore la Russie et bientôt la Chine après la réorientation de l’OTAN. Une armée hautement technicisée et détenant le droit, son droit, ne peut comprendre que des combattants en sandales (Vietnamiens ou Afghans) puissent la vaincre. De même que l’étranger ignorant et vivant sous la férule de dictateurs ne peut qu’acclamer la démocratie octroyée puisque l’Amérique est un ‘don de Dieu’ comme un président l’a dit un jour. Bientôt, Hollywood transformera la débâcle en victoire, comme Rambo au Vietnam.
Bel été, pierre