Notre stagiaire, Joel Criseti, a eu le temps de préparer une dernière fiche sur les stratégies spatiales. Voici l’Inde… Mille mercis à lui pour son excellent travail. LV
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La stratégie spatiale indienne repose sur trois données fondamentales : son programme spatial doit servir au développement du pays, il doit être bon marché et, enfin, respecter les normes démocratiques que s’engage à respecter la « plus grande démocratie du monde »… Une doctrine malmenée dans la course ultra-concurrentielle et de plus en plus militarisée à l’espace.
L’Inde effectue une entrée tardive dans le cercle des puissances spatiales. Si Nehru considère le spatial comme une opportunité de développement scientifique et économique pour son pays, il faut attendre 1971 pour la création de l’Indian Space Research Organisation (ISRO) et 1980 pour le lancement du premier satellite propulsé par un lanceur indien depuis une base indienne. Bon marché et utile au développement à son origine, le programme spatial indien semble prendre ces dernières années une tournure militaire, se voulant certes transparente, mais ambiguë.
Ainsi, comment l’Inde conjugue-t-elle ses limites budgétaires à ses ambitions géopolitique et militaire dans le domaine spatial ?
Un programme bon marché redoutablement efficace
Lorsque l’Inde se lance dans le spatial, le pays est considéré comme sous-développé par ses dirigeants, qui veulent faire du spatial un emblème de redressement de leur Etat. Pour cela, l’Inde peut compter sur une communauté scientifique formée durant l’ère coloniale au contact des Britanniques et regroupée dès 1971 dans l’Indian Space Research Organisation (ISRO). Elle noue des liens avec de nombreuses puissances spatiales : les États-Unis, la France, mais aussi l’URSS. La course à l’espace indienne reste dans le cadre du non-alignement en cette période de Guerre Froide. En 1980, New-Dehli est en mesure de lancer son premier satellite 100% made in India. Depuis, le pays mise sur les équipements bon marché (son programme spatial est nommé « jugaad », soit « système D ») mais efficaces : le budget annuel du spatial indien est de 1,5 milliards de dollars, là où la Chine y consacre entre 6 et 7 milliards et les États-Unis 40, ce qui n’a pas empêché l’Inde d’enregistrer de nombreuses réussites. Le pays lance 5 à 6 satellites indiens par an, dispose de lanceurs capables de placer des satellites en orbite basse ou géostationnaire, a envoyé en 2019 le module Chandrayaan-2 sur la Lune et a même réussi à propulser une sonde autour de Mars. Le pays possède sa propre base de lancement « Satish-Dhawan » sur sa côte Sud-Est, d’où il a réalisé la prouesse de lancer simultanément 30 satellites majoritairement étrangers en 2019, et s’est même doté d’un missile anti-satellites (nommé A-Sat), au même titre que la Chine, les États-Unis et la Russie. L’Inde vise aujourd’hui l’envoi d’astronautes dans l’espace. Ces dernières évolutions témoignent d’une mutation dans les ambitions spatiales indiennes : à l’origine pensé comme un outil « utile », c’est-à-dire à buts scientifique et économique – satellites de télécommunication, études météorologiques, GPS… –, le spatial indien semble prendre une teinte militaire et géopolitique ces dernières années.
Puissance spatiale militaire… mais démocratique ?
Cependant, l’Inde cherche à tout prix à se distinguer de son adversaire régional chinois. Le programme spatial indien se veut empreint de valeurs démocratiques, à savoir de respect des normes internationales, de transparence et de pacifisme. En effet, si Narendra Modi pousse pour se faire une place dans le cercle fermé des puissances spatiales militaires, cela s’accompagne d’une volonté affichée de se distinguer du style chinois, jugé belliqueux. L’Inde maintient sa position à l’ONU, qui appelle à l’interdiction du développement d’armes dans l’espace. Modi s’est d’ailleurs empressé de rendre la destruction de satellites publique afin de prouver que l’Inde, en tant que « plus grande démocratie du monde », restait attachée à la paix et à la transparence dans la course à l’espace. Derrière ces déclarations rassurantes, il faut toutefois rappeler que certains satellites indiens sont utilisés depuis le début des années 2000 dans un objectif d’imagerie militaire pour surveiller la région du Cachemire, que New-Dehli maintient sous une strict contrôle militaire.
Des limites évidentes mais rattrapables
Au-delà de ces non-dits, le programme spatial indien a encore du chemin devant lui : l’Inde n’est pas membre de la Station spatiale internationale, par manque de moyens, et n’a envoyé dans son histoire qu’un seul homme dans l’espace, aujourd’hui âgé de 70 ans. Un retard conséquent, mais loin d’être irrattrapable vu les moyens que souhaite se donner Modi.
Joël Crisetig