La pause estivale n’empêche pas de réfléchir. Jean Dufourcq nous propose trois problématiques pour méditer stratégiquement … JOCV
Comme chaque année, après le 14 juillet, la France se repose dans la léthargie de l’été. C’est un bon moment pour faire le point et observer ce qui se passe autour de nous. Voici trois questionnements qu’on énoncera sans les détailler. : Quel est l’impact de la pandémie sur la marche du monde ? Où va l’Europe ? Où est-on en France à 10 mois de la campagne présidentielle de 2022 ?
Pour chacun, on propose trois angles de vue problématiques pour alimenter notre réflexion d’été. Munis de ces 9 pistes, on se préparera à une rentrée compliquée.
Première question :
Quel est l’impact de la pandémie sur la marche du monde ?
La planète a été brutalement mise en panne par la Covid 19 à la fin de l’année 2019 ; la pandémie a détruit les mirages d’une modernité fébrile et désordonnée. Et en ce mitan de l’été, on se demande quand et dans quel état le monde va redémarrer. Pour cela, on peut partir de 3 constatations paradoxales.
- Première constatation : Tout le monde a été frappé en même temps. Brutalement toute la planète a parlé la langue universelle de la santé publique. L’unicité de l’humanité, dans ses différentes couleurs, races et génomes a été retrouvée, forme de globalisation des risques !
- Deuxième constatation : Chacun a réagi à sa façon. Et partout, les peuples se sont repliés sur leurs Etats nationaux pour trouver une protection « chacun pour soi » dans une compétition sanitaire brutale. La santé n’est pas devenue un bien public mondial. S’en sont sortis ceux qui avaient un projet et une direction centralisée.
- Troisième constatation : La planète a basculé dans la révolution numérique. La panne générale de la Covid a accéléré le profond changement des sociétés, des Etats et des rapports de force qu’avait suscité la transition numérique.
Deuxième question :
Où va l’Europe ? Autre question centrale car l’Europe, très dispersée dans ses efforts pour faire face à la pandémie, coincée par son modèle politique semble désormais se diviser sur l’essentiel. On peut relever 3 fissures qui se creusent.
- Première fissure : l’Union européenne continue à se diviser sur le fond. Après le Brexit, des désaccords s’amplifient entre les 27 Etats membres de l’Union. Entre les frugaux du Nord baltique et les impécunieux du Sud méditerranéen. Et aussi entre les libéraux et progressistes de l’Ouest et les enracinés de l’Est. Comment gérer un tel collectif des 450 millions d’Européens ?
- Deuxième fissure : Le projet européen est coincé entre l’Est et le Sud. L’Europe ne sait pas gérer ses voisinages avec son Est, et la Russie qu’elle a rejetée en Asie avec la Chine, et son Sud où elle a établi un mur sécuritaire face aux réfugiés d’Afrique et du Moyen Orient. Faute de vision partagée de ses voisins ukrainiens, syriens, égyptiens, libyens, maghrébins, l’UE se raidit. Comment échapper à cette impasse ?
- Troisième fissure : l’Europe est enrôlée dans la rivalité Etats-Unis/Chine. Et les Européens préfèrent se réfugier dans le sillage des Etats-Unis qui ont choisi la confrontation active avec la Chine, leur challenger pour la première place mondiale. Mais cette attitude les prive de leur identité de civilisation sage, pivot de la planète du XXIe siècle. L’Europe perd son rôle central dans le monde, et donc une partie de sa raison d’être et de son ciment. A quel prix ?
Troisième question :
Où est-on en France, 10 mois avant la campagne présidentielle de 2022 ? Notre pays va se choisir un chef d’Etat pour cinq ans dans 10 mois, c’est un rendez-vous clé pour une période troublée.
On peut identifier trois enjeux importants pour ce choix à venir.
- Premier enjeu : l’offre politique qui se prépare. A 10 mois du scrutin, confusion et incertitude générale avec pourtant un réservoir de compétences consolidées dans les régions et les villes. Mais une scission entre une forte majorité conservatrice passive d’enracinés et une faible minorité active de progressistes. Aucune personnalité incontestable dans l’échiquier politique capable de l’emporter. Peut-on s’accommoder d’un pouvoir faible et contesté ?
- Deuxième enjeu : la participation au scrutin. La démocratie s’est usée. Les Français demandent plus de décentralisation vers les territoires et une participation politique plus directe avec des référendums. Comment va réagir une opinion publique coupée en cinq ; les abstentionnistes (environ 30 %), les progressistes y compris écologistes (25 %), les conservateurs de droite (15 %), ceux de gauche (environ 5 %), les extrêmes de droite (20 %) et ceux de gauche (10 %) ? Quelle attractivité pour ce scrutin complexe ? Nul ne sait.
- Troisième enjeu : Image et légitimité du pouvoir. Va-t-on continuer à personnaliser à l’excès le pouvoir autour d’un personnage providentiel ou se confier à une équipe de compétences large ou restreinte autour d’un projet ?
Comment réorganiser les relations entre individus, peuples et Etats en cette période de confusion qui illustre la lourde transition en cours de la planète ? Le stratégiste qui y travaille constate que la division règne, que les fractures et les fissures se multiplient. L’ère qui s’ouvre requiert de l’audace, de la clairvoyance, du discernement car on ne gouvernera pas le XXIe siècle avec les outils et les structures du XXe siècle. L’ancien monde s’en est allé, un nouveau monde est déjà né.
JOCV