La Commission de l’UE a rendu publique sa « boussole stratégique », l’équivalent européen d’un Livre Blanc de défense et de sécurité. Venant d’une Commission se voulant « géopolitique », cela suscitait l’intérêt. Le Professeur René Leray, de l’université Saint Louis à Bruxelles, a bien voulu la lire pour nous. Pour lui, il s’agit d’un « nouveau progrès pour l’intégration européenne…nécessaire mais non suffisant… ». Merci à lui de cet article. LV
Le Conseil européen se prépare à discuter et adopter (probablement en mars prochain sous présidence française) un nouvel instrument qui, s’il est judicieusement utilisé dans l’avenir, pourrait constituer un pas de plus, concret et novateur, sur la voie d’une Union européenne plus intégrée, qui tout en restant respectueuse de ses valeurs deviendrait progressivement « géopolitiquement « plus active et plus efficace. Ce qui sans conteste est une nécessité, longtemps évitée mais aujourd’hui incontournable.
Sa méthode de préparation est à cet égard prometteuse.
Pilotés par l’INTCEN (cellule de renseignement placée au sein du Service Européen d’Action Extérieure) avec l’appui de l’EUMS et sa capacité renseignements, les travaux « amont » ont permis d’associer non seulement les services de renseignement nationaux appartenant aux trois communautés ( civils intérieurs, civils extérieurs, militaires) mais aussi plusieurs directions générales de la Commission européenne dont les compétences et le champ d’expertise auront apporté des connaissances diverses (économiques, commerciales, techniques, financières, énergétiques … aide au développement…) actuellement plus que pertinentes pour le processus d’évaluation des défis, des menaces, des vulnérabilités qu’il faut absolument intégrer ( fusionner) au moment ( pour reprendre une expression du Pdt Macron) de « lire le monde et lire les intentions du monde ».
Cette « base commune et indispensable » qui jusqu’ici n’existait pas aura ensuite été « affinée » aux niveaux plus politiques de l’UE et, tout dernièrement, par les ministres des affaires étrangères et de la défense réunis à Bruxelles pour en discuter en détails entre eux et en parler (au cours d’un déjeuner) au secrétaire général de l’OTAN. Tout dépendra maintenant et après son adoption officielle par les chefs d’état et de gouvernement de la façon dont ce nouvel instrument « vivra » en tant qu’outil d’information et d’analyse et en tant qu’outil de préparation des stratégies, plans et actions, directs et indirects, destinés à écarter, prévenir, contrer les politiques dommageables pour l’Union de pays, gouvernements, acteurs extérieurs… Les exemples ne manquent pas. Dans nos voisinages et ailleurs.
Il serait donc sage non seulement de mettre à jour très régulièrement cet instrument nouveau, toujours en mobilisant toutes les expertises pertinentes ( non pas tous les cinq ans comme initialement décidé mais au moins chaque année au rythme où vont les événements et les changements de portée géopolitique), et aussi de le confronter entretemps soit à des demandes spécifiques formulées par le président du conseil européen ou la présidente de la Commission européenne ou le Haut-Représentant, à la lumière des événements, soit à des « exercices » de simulation ( « geopolitical games » ?) inspirés de situations prévisibles mais non encore avérées.
La « boussole stratégique » deviendrait ainsi, à côté et avec de nombreux autres outils d’analyse et d’information dont l’Union européenne est d’ores et déjà dotée le lieu d’apprentissage d’une « culture stratégique » commune et multidimensionnelle qui jusqu’ici fait défaut. Ce pourrait aussi être le lieu d’analyses comparées des différentes approches qu’il convient à présent d’imaginer et concevoir, au-delà des schémas historiquement datés et dont l’efficacité dans le monde actuel est à l’évidence de plus en plus douteuse. Au total donc, et sous condition, un nouveau pas en avant, nécessaire mais non suffisant…
René Leray
Ancien fonctionnaire européen
Chercheur associé Institut d’études européennes
Université Saint Louis de Bruxelles