Notre directeur de publication, Olivier Kempf, a publié une récente tribune dans le Point sur la stabilité au Tchad. Nous sommes heureux de la donner ici. LV
Source : Le point
La récente venue à Paris du président du Conseil militaire de transition tchadien, Mahamat Idriss Déby, n’a pas retenu l’attention des commentateurs. Il faut dire que les motifs de sa visite étaient doubles : d’une part, participer à la conférence internationale de paix sur la Libye, d’autre part, rejoindre une réunion sur la sécurité du Sahel organisée par l’Élysée avec les présidents du Niger et du Burkina Faso, à l’invitation du président français. Libye, Mali : deux sujets apparemment plus sensibles et qui ont occupé le devant de la scène.
Des circonstances de départ dramatiques…
Cette discrétion et cette normalité constituent un réel succès pour le dirigeant tchadien. On se souvient en effet de son arrivée au pouvoir, due au décès au combat de son père, Idriss Déby Etno. Celui-ci venait d’être réélu président de la République et le pays connaissait une relative stabilité : mais justement, c’est en allant à la tête de ses troupes combattre des rebelles arrivés à 300 kilomètres de la capitale tchadienne que le président a été atteint mortellement en avril 2021. Il est rare qu’un chef d’État meure au combat. Ceci explique en grande partie la réaction des autorités tchadiennes, qui ont voulu garantir la stabilité du pays dans ces circonstances exceptionnelles.
… qui expliquent la manière dont la transition de Déby a été organisée
L’affaire n’était pas évidente tant il est difficile, en Afrique comme ailleurs dans le monde, d’organiser la succession apaisée d’un homme fort qui a marqué l’histoire de son pays. Quelles que soient les critiques à son encontre, convenons que Déby a marqué l’histoire du Tchad. Sa succession dans l’urgence a motivé le resserrement du clan présidentiel. Elle explique la constitution d’un Conseil militaire de transition qui a rapidement désigné Mahamat Idriss Déby, le fils du président décédé, à sa tête. Il s’agissait d’abord de taire les différends des différentes branches du clan et de maintenir la difficile stabilité intérieure. Aussi, un processus de transition nationale a été proposé pour conduire, dans les dix-huit mois, à des élections libres et inclusives. Un dialogue avec l’opposition a été engagé et il semble se dérouler convenablement. C’est finalement cette normalité qui frappe l’observateur.
Pour comprendre, interpréter la carte du Tchad
Il faut ici regarder une carte. Au nord, le Tchad partage mille kilomètres de frontières avec la Libye. La situation de ce voisin est pour le moins instable avec un processus de transition toujours inachevé (malgré la fin du pouvoir de M. Kadhafi il y a dix ans). Les milices armées en décousent et les mercenaires sont nombreux, y compris tchadiens. Le Tchad fait ainsi régulièrement face à l’attaque de groupes de rebelles armés, qui viennent souvent de Libye, passant directement la frontière ou passant ici par le Niger, là par le Soudan. Depuis toujours, le Tchad fait face à une certaine menace venant du Nord.
Au sud, la République centrafricaine (RCA) connaît depuis sept ans une profonde instabilité. Le Tchad a fermé sa frontière mais des débordements sont toujours à craindre : plusieurs militaires tchadiens ont d’ailleurs été tués dans des circonstances obscures ces derniers mois. La montée en puissance des mercenaires russes de la société Wagner ne laisse pas d’inquiéter.
À l’ouest, la frontière avec le Nigeria autour du lac Tchad a connu de nombreux soubresauts ces dernières années, à cause des incursions des militants islamistes de Boko Haram. La situation semble mieux contrôlée depuis quelques mois mais elle suscite toujours du souci à N’Djamena. Les frontières avec le Niger et le Cameroun sont en revanche apaisées. Il en est de même à l’est avec le Soudan, même si celui-ci connaît une instabilité croissante avec la crise politique, qui a conduit à la mise en place d’un gouvernement de transition qui vient d’être remplacé par la force par un gouvernement militaire.
Ainsi, quasiment tous les voisins du Tchad suscitent-ils une attention soutenue. Plus loin, dans la bande sahélo-saharienne, la situation s’aggrave, avec notamment la persistance des difficultés au Mali et au Burkina Faso. La France a ainsi décidé de réduire le volume de son dispositif Barkhane (dont le PC est à N’Djamena), mais le Tchad maintient sa participation à la Minusma et reste un pion essentiel du G5 Sahel.
L’illustration de la consolidation d’un pôle de stabilité
Ainsi, dans ce contexte mouvant, on ne peut qu’être favorablement impressionné par la discrétion tchadienne qui perpétue une certaine stabilité, tant intérieure qu’extérieure. Cette pondération tranche avec la personnalité plus flamboyante et extravertie d’Idriss Déby. Son successeur a ainsi réussi une première transition : celle de se faire accepter alors que les critiques avaient fusé lors de sa désignation à la tête du Conseil militaire de transition. Six mois après, il vient à Paris sans que cela ne suscite l’opprobre, tandis que l’Union africaine n’a pas condamné son accession au pouvoir.
Beaucoup avaient critiqué Emmanuel Macron qui avait été le seul dirigeant occidental à participer aux obsèques d’Idriss Déby. Il aurait ainsi perpétué des relations troubles. Les choses sont peut-être beaucoup plus simples. Alors que la situation régionale est dégradée, il est de l’intérêt de Paris d’appuyer un pôle de stabilité qui joue son rôle aussi bien en Libye et au Sahel qu’en RCA. Il n’y a rien de trouble dans ce calcul stratégique. Six mois après, constatons que le calcul n’est pas mauvais.
O. Kempf