La diplomatie d’hier à demain, R. Delcorde

La diplomatie au service d’un monde en mouvement

Pour beaucoup, c’est une année inquiétante qui s’ouvre en 2022 sur fond de bruits de bottes, d’Ukraine en Taïwan pour les uns, du Yémen au Sahara occidental en passant par la Méditerranée orientale et le Sahel pour d’autres, partout où des points chauds se cristallisent. Le recours à la guerre est redouté, celui à la diplomatie ignoré.

Ainsi les alarmistes professionnels qui veulent resserrer les rangs des coalitions militaires d’hier se préparent à en découdre militairement avec des autocrates ciblés. Pour certains, la situation rappelle celle des années 1930 avec la montée des fascismes. Ce faisant, ces inquiets se posent plus en défenseurs du monde d’hier qu’en bâtisseurs d’une régulation des forces en présence dans le monde nouveau d’un XXIe siècle qui émerge, après la Guerre froide qui l’a fragmenté et avec la panne mondiale de la pandémie de Sras-Cov2 qui l’a fragilisé. De fait ces autocrates assumés et dénoncés à longueur de colonnes -Poutine, Xi Jinping, Erdogan- ces nouveaux tigres du XXIe siècle, récusent le caractère universel de l’ordre occidental établi en 1945. Ils veulent partager la gouvernance de la planète et la raccorder à leur histoire régionale, à leurs intérêts, à leur culture politique, à leurs valeurs.

Alors pour aborder ce temps annoncé comme critique, on recommandera deux ouvrages récents et de forte portée. Le premier c’est celui de Jean-Marie Guéhenno[1]. Il a entrepris de relire l’histoire politique de cet Occident qui s’évanouit sous nos yeux et discerne la tentation post-démocratique commune des sociétés euro-américaines et chinoises, montrant leur convergence inattendue. On y reviendra.

Le second c’est celui de Raoul Delcorde[2], objet principal de cette dernière chronique de l’année 2021.

Il apporte à l’analyse du précédent la boite à outils des procédés et des pratiques qui permettront de faire face à ces défis majeurs que provoque un bouleversement du monde commencé à la fin de la guerre froide et amplifié par la panne sanitaire mondiale de l’année 2020. Ce manuel de la fonction diplomatique et du métier de diplomate est un véritable antidote au militarisme ambiant de recours de nos sociétés inquiètes qui réclament avec candeur l’usage de la force régalienne comme solution à leurs angoisses. Au moment où l’on annonce la suppression du corps diplomatique français et la banalisation de l’art spécifique de la négociation qui cherche des issues aux antagonismes, aux frictions et des solutions aux conflits qui s’enveniment, on comprendra mieux avec l’auteur, éminent diplomate belge, à quel point la fonction diplomatique sera essentielle à la marche du monde au XXI e siècle.

On recommandera donc sa lecture.

En 15 chapitres très documentés et bien enlevés, il fait le tour de la diplomatie moderne (chapitre 1) et du rôle clé des diplomates, chargés de représenter, d’informer et de négocier (chapitre 2), agents d’un instrument diplomatique qui est une instance étatique clé (chapitre 3), bras armés de la parole qui défend les intérêts des États. Puis il passe en revue les différentes formes de diplomatie, économique, d’influence, multilatérale, celle des sommets et celle de la crise en cinq chapitres pédagogiques et historiques. Il analyse ensuite le langage diplomatique (chapitre 10) puis la diplomatie des différents pays, les grandes puissances (chapitre 11), les puissances moyennes (chapitre 12), les petites puissances (chapitre 13) pour conclure sur les défis actuels et par de savoureux portraits de diplomates. Le tout est agrémenté de notes précises, d’un utile lexique et d’une bibliographie des « essentiels ». Un document de base donc, un repère à conserver, un manuel à enseigner.

On trouve dans cet ouvrage une présentation détaillée de l’activité diplomatique évolutive en ce moment complexe de transition stratégique de la planète et une réflexion sur la transformation continue de ce métier ancien (car c’en est un), avec ses codes et ses modes d’action privilégiés, ses nouveaux champs d’opération pour faire face au chaos du monde. On est là bien loin des clichés convenus sur une activité souvent moquée et généralement incomprise de ces spécialistes de l’intelligence du monde. Il indique combien les diplomates sont au fait des réalités politiques et des enjeux du pays qui les envoient en mission, curieux des spécificités du pays dans lequel ils le représentent, attentifs à chercher des convergences, à identifier des désaccords et à gagner du temps pour conduire des médiations et élaborer des compromis. Il montre de façon précise l’évolution de cette activité depuis cinquante ans avec tout d’abord la transformation rapide des moyens techniques de la communication interne de l’instrument diplomatique, les échanges entre chancelleries et chefs d’état.

Il expose aussi l’effritement de la pertinence et de l’efficacité du multilatéralisme issu des grands conflits mondiaux, l’irruption d’une nouvelle diplomatie de la mondialisation et l’apparition de multiples agents pratiquant une diplomatie parallèle, privée, civile, commerciale, à mesure que les rapports de force se diversifient et abordent d’autres champs de friction. Il indique combien la diplomatie des communs, centrée sur les besoins de l’humanité comme le souci du climat, de la santé publique, de la gestion des ressources se heurte à des particularismes liés au développement inégal et différencié des groupes humains de la planète. Il suggère aussi combien le diplomate du monde moderne doit gérer l’interdépendance généralisée des différents pays et la compétition aiguë qui les confrontent à des acteurs extérieurs, infra et supra étatiques, vrais compétiteurs des États. Il lui faut de surcroit percevoir les alliances fluides entre acteurs économiques transnationaux et opérateurs masqués du crime organisé, de la religion radicale ou des prédations technologiques. Il rappelle enfin combien le diplomate doit s’attacher à comprendre tout à la fois les entreprises du gouvernement de son pays de résidence et les aspirations profondes des citoyens de ce pays. Mais sa mission d’ambassadeur à l’étranger consiste encore aujourd’hui à présenter et diffuser la culture, les idéaux et les secteurs d’excellence de son pays et à les mettre au service de la paix, de la stabilité et de l’amitié entre les peuples. On terminera cet exposé succinct de ce riche manuel en rappelant aussi que dans l’incertitude actuelle de la planète, ce métier aux multiples facettes est pour l’auteur un métier d’engagement et de risque, tant les crises violentes se sont répandues depuis la fin de la Guerre froide et ont mis en cause les postures stratégiques des États.

On le voit avec l’ambassadeur Delcorde, la grammaire interétatique, les principes juridiques d’hier et les pratiques protocolaires ne suffisent plus à encadrer l’activité du diplomate en 2021.

On le remerciera de cet ouvrage didactique aux entrées multiples qui trace le beau profil d’un serviteur de l’État et d’un observant de la paix, celui-là qu’il fut tout au loin de sa riche carrière. Et on lui empruntera ce diagnostic de conclusion « le monde a besoin des diplomates. La mondialisation rend la diplomatie plus nécessaire qu’avant car la négociation internationale est l’antidote au chaos » (p.188).

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Au moment de clore cette année confuse, on pourrait égrener les domaines géopolitiques et sécuritaires qui réclament des négociations entre experts de bonne volonté et de bonne foi : la rivalité structurelle entre États-Unis et Chine et ses points chauds d’Ukraine et de Taïwan ; la tension permanente dans la péninsule arabique et ses points chauds entre Israël et Palestine, entre Syrie, Turquie et Kurdistan ; la rivalité systémique entre Israël et Iran ; les questions de prolifération nucléaire qui engagent l’Iran et la Corée du Nord ; les questions sahéliennes qui opposent la Cedeao et certain État de la BSS ; les questions politiques de cohésion et de souveraineté européenne ; la régulation stratégique des espaces fluides de la planète, les mondes océanique, sidéral, cybernétique, monétaire, normatif … où la compétition fait rage avec des conflits ouverts ou larvés mais tous de haute intensité. Quand reprendra-t-on les grands exercices si utiles du désarmement ? Quand remettra-t-on à leur juste place les biens communs de la planète dont la gestion concertée doit être partagée équitablement ?

Car s’en remettre au XXIe siècle au dernier recours de la force militaire sous le seuil de la dissuasion nucléaire serait la bévue coupable d’une planète déboussolée. Le monde du XXIe siècle aura bien besoin de négociateurs avisés pour sortir du chaos ambiant, favoriser une coexistence durable des peuples et tirer parti de sa diversité pour gagner un état de stabilité et de viabilité supérieur à celui qui a prévalu au XXe et en ce début de XXIe siècle.

[1] Le premier XXIe siècle. De la globalisation à l’émiettement du mondeJean Marie Guéhenno- Éditions Flammarion- mai 2021.

[2] La Diplomatie d’hier à demain- Raoul Delcorde- Editions Mardaga- janvier 2021.

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