Dans le Donbass, les choses s’accélèrent avec la chute de Lyssytchansk (LK). La république séparatiste de Lugansk (LNR) a désormais le contrôle de tout son oblast. Un des objectifs RU officiels est atteint.
Avec la chute du bastion de Zolote-Hirske, le dispositif UKR ne pouvait plus tenir. La ville de LK, sur la rive droite de la Donets, se faisait attaquer par le sud. Dès lors, les dernières positions à l’est de la rivière étaient abandonnées (Severodonetsk, SK).
Au cours de la semaine, les RU ont donc méthodiquement pris le contrôle des zones nouvellement contrôlées, tout en poussant les feux contre LK : soit directement par le sud, soit en faisant assaut de la raffinerie à l’O de la ville, qui contrôlait les sorties, soit même en franchissant la Donets au N de la ville, à Pryvilly, sans que ce franchissement soit cette fois contesté. Des images samedi montraient des unités RU dans le centre de LK. Il doit encore y rester des poches de résistance UKR mais la ville est tombée.
Il faudra encore plusieurs jours aux RU pour prendre le contrôle total de toute la ville. L’inconnue est ailleurs : combien de troupes les UKR ont-ils perdu dans l’affaire (aussi bien à Severodonetsk qu’à Zolote ou à LK) ? Combien de matériel ? Les unités qui ont réussi à s’échapper sont-elles encore constituées ? Autant de questions sans réponse sûre mais l’observateur peut supposer que le bilan est plutôt négatif : non seulement il y a eu abandon de territoire mais aussi diminution de la solidité organique du dispositif UKR.
Au sud de Popasna, les RU auraient pris Klynove : mais ce n’est pas la première fois qu’ils le revendiquent. Si cela était exact, la route S de Bakhmout serait coupée et surtout, les dernières unités restantes au réservoir de Lu’hanske perdraient leur soutien.
Du côté de Lyman et d’Izioum, les RU n’ont pas avancé vers le S. En revanche, ils auraient repoussé les UKR qui les pressaient à l’O de leur FOB. Pour l’instant, l’avancée vers Slaviansk n’est pas commencée.
Sur le front N, vers Kharkov, la pression RU augmente. Si les revendications de prise de tel ou tel village sont sujettes à caution, il semble cependant qu’il y a effort : soit pour fixer les UKR, soit pour grignoter du terrain, comme cela a été fait dans le saillant de SK.
Rien à signaler au sud du front du Donbass (vers Donetsk) ni vers Zaporihie. Vers Kherson, les UKR grignoteraient les positions RU au N de la poche sans que cela soit concluant pour l’instant.
La seule vraie bonne nouvelle UKR de la semaine a été l’abandon, par les RU, de l‘île aux serpents, au large de l’embouchure du Danube. Elle était assez près des côtes pour subir les tirs d’artillerie UKR. Moscou a logiquement abandonné l’île. D’un côté, cela n’empêche pas les RU de continuer à contrôler la mer Noire et donc les débouchés d’Odessa. Mais de l’autre, cela allège la pression et permet aux UKR de redistribuer des troupes qui étaient fixées sur la côte : elles peuvent renforcer Kherson, par exemple.
Appréciation militaire : il a fallu trois mois aux RU pour prendre le contrôle de Marioupol, 3 semaines pour prendre Severodonetsk, moins d’une semaine pour prendre Lisichansk. Ces chiffres démontrent à quel point une guerre d’usure peut provoquer, localement, des ruptures soudaines. La position UKR au fond du saillant était indéfendable, la seule question était de savoir combien de temps ils allaient pouvoir tenir. La brièveté de la réponse suggère un dispositif UKR très fragile. De multiples témoignages s’accumulent pour décrire des unités peu entraînées, peu équipées, envoyées au front pour tenir comme elles peuvent face à l’artillerie RU. Cela suggère que le pari UKR de gagner le maximum de temps pour attendre l’inversion du RAPFOR grâce à l’équipement occidental paraît compromis.
Si les RU sont usés, au point de ne pouvoir conduire qu’un seul axe d’effort à la fois (ainsi, ils poussent à SK mais attendent à Horlivka ou à Izioum), le différentiel de forces semble en leur faveur. Surtout, au grignotage du début succèdent des prises territoriales plus conséquentes (180 km² cette semaine). Il reste aux UKR d’avoir pu organiser des lignes de défense successives assez solides. La ligne Bakhmouth-Siviersk paraît d’ores et déjà très fragile puisqu’elle suit le cours d’une rivière. Bakhmout est déjà fragilisé quand Siviersk a dû être aménagé dans l’urgence. Aussi faut-il surveiller la ligne de repli légèrement à l’Ouest, sur le revers du thalweg, entre Kostiantynivka et Rai-Oleksandrivka, dernière ligne d’arrêt avant Slaviansk. Si le combinat Slaviansk-Kramatorsk a été aménagé, il est déjà sous pression par le N. Il faudra ainsi surveiller l’éventuel franchissement de la Donets à hauteur de Yampil. En effet, les RU vont poursuivre leur manœuvre d’établissement de pinces successives, désormais dans l’oblast de Donetsk.
La seule inconnue est celle du rythme adopté : soit ils peuvent faire une pause opérationnelle avant de relancer l’effort, soit au contraire poursuivre l’action pour profiter de la désorganisation UKR. En effet, à force d’accumuler les « replis tactiques », ceux-ci connaissent un revers opératif majeur. Il pourrait avoir des conséquences politiques.
Appréciation politique : Politiquement, la prise de Sisichansk constitue une nouvelle « victoire » pour les RU : après la prise de Marioupol, voici un objectif politique de départ atteint : L’oblast de Lugansk est désormais sous contrôle. On notera que les dirigeants de la LNR affirment que pour être en sécurité, ils doivent étendre le contrôle de territoire jusque 300 km à l’Ouest. Entre forfanterie et revendication, on y voit de nouveaux objectifs.
Plus sérieusement, la direction RU peut crier victoire auprès de sa propre population. Cependant, l’observateur distant constate que cette victoire opérative a été longue à obtenir et témoigne des limites d’un système militaire. Une fois encore, il faut rester prudent quant à la signification de ce succès : nous ne connaissons pas le degré de mobilisation nécessaire pour l’obtenir, ni les réserves effectivement disponibles pour tenir dans la durée.
Du côté UKR, les événements sont difficiles. La stratégie de défense de l’avant supposée provoquer une attrition plus importante des RU ne fonctionne visiblement pas, au contraire. De même, les armes occidentales qui arrivent sur le terrain ne suffisent ni à rétablir le RAPFOR, encore moins à l’inverser. Aussi entend-on beaucoup moins la thématique de la victoire. Le sommet de l’OTAN (que nous évoquerons dans le n° 196 de la Vigie, mercredi), a manifesté une solidarité des Alliés, sans aller beaucoup plus loin que les actions déjà menées.
Si les revers se poursuivent sur le terrain, il sera de plus en plus dur de tenir une ligne jusqu’au-boutiste, d’autant que les sanctions peinent à produire leurs effets et que les contre-coups, à l’O, sont visibles : inflation, énergie, menace sur l’industrie allemande.
Il y a évidemment beaucoup d’inconnues dans l’affrontement actuel : nous ne savons pas la capacité de chaque partie à tenir ce rythme. Néanmoins, si les tendances de ces quatre dernières semaines se poursuivent, la situation deviendra très vite ingérable par Kiev. A dimanche.