La situation n’a pas bougé d’un demi-iota sur le terrain des opérations cette semaine. Le cas de la centrale nucléaire de Zaporija a mobilisé les esprits. Cela annonce-t-il quelque développement diplomatique ? Regardons.
Sur tous les fronts, le surplace domine. Certes, bombardements et petites reconnaissances défraient l’actualité mais sans aucune modification de front. Pas de changement à Kharkov. A Soledar, les comptes pro-russes en sont réduits à citer les rues où il y a des combats. Rappelons que Soledar comptait avant la guerre 11.000 habitants ! Et les RU piétinent devant depuis plusieurs semaines, signe de leur évidente impuissance… A Bakmouth, pas de changement non plus. Il y aurait quelque pression sur Kodema.
Aux faubourgs de Donetsk, les RU cherchent toujours à contourner les lisières N de Peski et à atteindre le périphérique tenu par les UKR. Un peu plus au S, il y aurait des combats vers Vouhledar. Kherson sans changement.
En début de semaine, les comptes pro-UKR s’agitaient pour annoncer une grande campagne de bombardement à l’occasion de la journée de l’indépendance. Il ne s’est rien passé. Seul incident, un tain aurait été touché et il semble qu’il s’agisse d’une cible militaire.
Le cas de la centrale de Zaporija. Commençons par préciser qu’il s’agit en l’espèce de nucléaire civil et non de nucléaire militaire. Beaucoup jouent sur les peurs et les émotions mais il faut garder la tête froide. Par conséquent, il y a un risque radiologique mais en aucun cas de risque de bombe atomique et donc d’escalade nucléaire. De quoi s’agit-il alors ?
Tout d’abord, compte-tenu de la campagne UKR de bombardement des dépôts logistiques RU, ces derniers ont choisi de stationner des unités mais aussi probablement des matériels (carburants, munitions) sur le site de la centrale. Rappelons qu’une centrale électrique occupe plusieurs hectares. Etant donné l’environnement, les RU ont fait le pari que les UKR hésiteraient à bombarder le site, ce qui sauvegardait ces unités.
Il reste que des bombardements ont eu lieu. Les deux parties s’accusent comme d’habitude mutuellement. Aussi d’un terrain tactique la question s’est-elle déplacée sur le terrain diplomatique. Dès la semaine dernière, nous signalions les visites de MM. Guteres et Erdogan. Cependant, au-delà de cet aspect diplomatique sur lequel nous reviendrons, le sujet s’est déplacé sur un 3ème terrain : celui du versant économique de cette guerre. En effet, la centrale de Zaporija (la plus grande d’Europe) apporte au moins 25 % de l’électricité à l’Ukraine. Or, la controverse mais aussi les qq obus tombés sur des machines auxiliaires à la centrale ont forcé son débranchement. Les RU peuvent décider de couper définitivement l’approvisionnement UKR dans le cadre de leur coercition sur Kiev. Pour l’instant, ils ne l’ont pas fait.
1Examinons maintenant les risques réels radiologiques (merci ici aux correspondants qui ont bien voulu m’éclairer sur ce sujet). Le réacteur est ainsi un VVR 100, fort différent du VBK de Tchernobyl. Il est proche de la technologie américaine des Westinghouse. Ce réacteur est ainsi toujours en vente et toujours déployé avec des niveaux de sécurité qui n’ont rien à voir avec ceux de 1986 en URSS. De plus, depuis Fukushima, les centrales nucléaires de par le monde ont vu leurs exigences de sécurité se durcir drastiquement. Celle de Zaporija n’a pas fait exception. La situation de départ est donc fort différente de Tchernobyl.
De même, le réacteur lui-même est protégé par une enceinte acier-béton très résistante. D’après les spécialistes, un obus courant qui tomberait dessus l’égratignerait. Il faudrait, pour percer la coque, des missiles à pouvoir de pénétration augmenté. Cela est possible mais signalerait la volonté agressive qui est loin de l’obus arrivant par accident. Enfin, pénétrer la coque ne suffit pas car le réacteur est lui-même durci.
En conclusion, il y aurait très peu à craindre d’un tir direct qui endommagerait le réacteur lui-même. Le risque se situerait en fait ailleurs. Si le réacteur principal est très bien sécurisé, la question se pose pour les machines auxiliaires : refroidisseurs, bassins, générateurs de secours, etc. Suite à Fukushima, ceux-là ont vu leur sécurité renforcée et dupliquée de façon à permettre aux équipes d’intervenir en cas d’incident. Mais un obus pourrait certainement endommager une de ces machines annexes.
Cependant, selon les spécialistes, il faudrait un enchaînement exceptionnel de circonstances pour engager la sécurité du système. Ce risque existe évidemment, surtout en temps de guerre. Mais puisqu’il paraît limité, ceci expliquerait aussi pourquoi l’une ou l’autre des parties prend le risque de tirer des obus vers la centrale.
Pour conclure ce point : le risque existe, il est radiologique, il est réduit mais pas nul, mais il joue sur les peurs de l’opinion publique ce qui explique qu’il soit pris par l’un ou l’autre.
Appréciation militaire : Que penser de cette stagnation opérationnelle ? Constatons que les UKR semblent ne pouvoir que résister. Ils consomment leurs efforts dans ce but mais y parviennent bien, puisque les RU n’avancent plus depuis quatre semaines. Quant aux RU, leur effort militaire est désormais réduit. Leur manœuvre frappe par sa médiocrité. Ils semblent à bout de potentiel ce qui ne signifie pas qu’ils vont reculer ou cesser de faire pression. Ils ont ainsi encore les moyens de fournir leur effort de guerre. Mais ils ne paraissent plus en état de progresser. L’égalisation du RAPFOR, la symétrisation absolue du conflit, le pat militaire que nous décrivons maintenant depuis plusieurs semaines semblent confirmés. Dès lors, en cette fin d’été, il est possible que les RU choisissent de simplement maintenir la pression sur l’ensemble du front en attendant la venue de l’automne et de l’hiver, en espérant que d’autres facteurs, non-militaires, débloquent la situation.
Appréciation politique : Comme dit la semaine dernière, les négociations autour de Zaporija constituent un « sujet » autour duquel les diplomaties discutent : elles réunissent bien sûr les deux belligérants mais aussi la communauté internationale. Il n’est ici pas anodin que les RU aient relancé la distribution d’électricité de Zaporija vers l’Ukraine sachant qu’il était techniquement facile de réorienter le courant vers les zones contrôlées par eux. Le terrain des sanctions économiques est pertinent, surtout quand l’on sait les difficultés économiques profondes de l’Ukraine (chute de 40 % du PIB, dette grandissante, budget public alimenté par la planche à billets, aide financière occidentale finalement minime, cf. https://twitter.com/lugaricano/status/1563197218563424257 Ainsi, The Economist, hebdomadaire influent en Europe et en Amérique, s’interroge hier sur l’efficacité des sanctions (https://www.economist.com/weeklyedition/2022-08-27). Enfin, le débat s’anime en Allemagne sur la question du gaz.
Certaines voix (à gauche de l’échiquier) commencent à remettre en question les sanctions qui menacent l’économie allemande. Autrement dit, des micro-fissures semblent apparaître dans les soutiens UKR.
Depuis le début de la guerre, il est probable que V. Poutine parie sur la désunion occidentale. La cohésion a jusqu’à maintenant parfaitement tenu, ce qui a dû surprendre le Kremlin. Peut-être trouve-t-il le moment adéquat pour tester la capacité UKR à négocier, d’autant plus qu’il est lui-même en difficulté. Si les sanctions ne le pénalisent pas autant que les Occidentaux l’espéraient, elles le gênent malgré tout. Sur le terrain militaire, les affaires stagnent. Peut-être est-il prêt à traiter. Mais c’est très hypothétique.
Nous verrons : à la semaine prochaine et bonne rentrée.
OK