Cette semaine a eu l’apparence du « retour au calme » après l’effort. Moins de cavalcades mais toujours autant d’interrogations sur la capacité des uns et des autres à maintenir le tempo de leurs opérations.
Sur le front N, beaucoup d’incertitudes demeurent, sur deux points principaux : la RU a-t-elle décidé de se rétablir sur la rivière Oskil ? il y a eu beaucoup de rumeurs de traversée de l’Oskil par les UKR, de reprise de Koupiansk Est par les RU, etc. Il est probable qu’il y ait eu des traversées d’éléments UKR de reconnaissance de cette rivière N-S qui constitue une ligne d’arrêt géographique se prêtant à un front. Mais comment tenir une rivière : sur ses rives immédiates ? les RU le font du côté de Kherson avec l’Inhulets. Ou alors un peu en retrait, sur les hauteurs du thalweg, en battant par les feux les rives et les coteaux ? ce serait une hypothèse qui expliquerait les coups de sonde UKR. Peut-être les UKR avancent-ils à partir de Koupiansk : à confirmer.
La rivière Oskil se jette dans la rivière Donets, orientée O-E à cet endroit-là. Les UKR ont franchi la rivière Donest et assiègent Lyman, tenue par les RU depuis plusieurs semaines (après l’avoir conquise avec difficulté). La position est importante puisqu’elle fait le lien entre un dispositif N-S et un autre O-E. On peut la qualifier de saillant et elle revêt donc une importance opérative évidente. Les UKR font pression mais n’ont pas encore pris la localité. Les rumeurs d’avancée UKR jusqu’à Lissitchansk me paraissent hautement douteuses, même s’il est probable que quelques forces spéciales UKR se soient infiltrées en mission de reconnaissance de dispositif.
Au passage, observons que ce n’est pas la première fois que nous signalons ces reconnaissances et éclairages côté UKR, alors qu’on n’en fait pas mention côté RU : en général, ces derniers semblent pousser de l’INF devant pour aller tester les dispositifs sans chercher à s’infiltrer pour préparer une manœuvre. Cela traduit une fois encore la culture tactique sommaire des forces RU.
Le long de la ligne Siversk-Bakhmouth, quelques informations contradictoires. Peut-être les UKR ont-ils repoussés les RU vers Spirne voire au-delà. Les RU auraient un peu avancé dans les faubourgs de Bakhmouth, atteignant même, selon eux, les premières zones résidentielles. A voir. Un peu plus au sud, la prise de Kodema est confirmée et les RU pousseraient vers Mikholaivka Druha et Vesela Dolyna. Cela leur permettrait de couper la route 513 au S de Bakhmout. Face à Donetsk, les RU auraient atteint les faubourgs E de Krasnohorivka. Rien ailleurs. Plus au sud, sur le front de Zaporija, rien de marquant à notre connaissance.
Quant au front de Kherson, les UKR consolident leurs gains et maintiennent leur pression. Au N, les zones tenues par les Ru sont contestées : Novovoskresesnke, Ilyaivka, soit assez au S de la ligne constatée la dernière fois. Au centre, les UKR tiennent la poche de Sukhy Stavok, étendue jusque Kostorma, Schaslyve et peut-être Chkalove. En revanche, ils n’ont pas pris Davydi Brod, toujours aux mains des RU, qui ont cassé un barrage sur l’Inhulets pour couper les points de franchissement sur l’Inhulets : cela n’a pas eu l’air d’avoir beaucoup d’effet tactique. Enfin, au S : Ternovi Rody est UKR, les zones au sud étant contestées, Oleksandrivka restant RU.
Appréciation militaire : Le revers RU de la semaine dernière est incontestable, puisqu’ils ont perdu le contrôle de plusieurs milliers de km². Pourtant, une partie de ces territoires a été cédée volontairement. Tout le dispositif au N de Kharkov s’est retiré en bon ordre. Idem pour tout ce qui était au N de Koupiansk et probablement pour une bonne partie de la FOB D’Izioum. On a ainsi vu assez peu de matériels (souvent de mauvaise qualité, peut-être en panne) et peu de prisonniers RU. Comme si les RU n’étaient bons qu’à retraiter !
Plus sérieusement, il va de soi que s’ils avaient pu, ils auraient conservé les zones qu’ils avaient. C’est évident. Il reste qu’à la guerre, on agit sur trois facteurs : le temps, les forces et le terrain. Nous avons suffisamment parlé du temps à l’occasion de cette guerre longue. Dans le cas présent, on parle surtout de terrain. C’est lui qui a été perdu. Mais il ne me semble pas que les forces RU aient été beaucoup diminuées. Cela ne signifie pas bien sûr qu’elles sont en bon état. Les difficultés de commandement demeurent. On ne bouge pas un dispositif de trente km en arrière sans perdre de la solidité organique et donc de l’efficacité opérationnelle. Mais plus le temps passe, plus les RU sont en train de se réorganiser même si les UKR vont chercher à les bousculer. Autrement dit, il faut continuer à s’en méfier.
Du côté UKR, on a agi avec prudence. Reprendre 9000 km² constitue déjà un exploit et il faut prendre le temps de contrôler tout ça et de se réarticuler soi-même. Mais on voit qu’ils ont tenté de conserver l’initiative en traversant la Donets et en pressant Lyman de plusieurs directions. De même, ils tiennent le reste de leurs positions et poursuivent leur effort vers Kherson, sans progrès notable mais sans céder les positions acquises. Les uns et les autres devraient donc revenir à leur stratégie préalable :
Pour les RU, continuer à pousser vers Bakhmouth et tenir Lyman et leurs positions au N de la Donets. Pour les UKR poursuivre la poussée à Lyman et Kherson. Les deux prépareront des offensives, ici ou là, plus ou moins bien préparées : nous verrons.
Il reste que je pense qu’il faut continuer à se méfier des RU, quelle que soit la médiocrité militaire qu’ils ont montrée depuis le début de la guerre. Certains s’enthousiasment bien rapidement et la guerre sera encore longue.
Appréciation politique : l’état d’esprit a changé, nous le disions dans notre dernier point de situation. Du coup, certains imaginent que les UKR vont reconduire les RU à la frontière avant l’hiver. C’est aller vite en besogne et pour tout dire, imprudent. S’il peut y avoir encore une rupture localisée, il paraît peu probable que les RU cèdent l’ensemble de ce qu’ils ont conquis. Les lignes se rétrécissent et rendent leur action plus facile, surtout s’ils optent pour une option défensive de conservation des acquis.
Rappelons les seuls objectifs officiellement déclarés par le Kremlin (hors dénazification et démilitarisation) : la reconnaissance des deux républiques séparatistes dans les limites des oblasts d’origine. Cela explique l’importance accordée à la tenue de l’oblast de Lugansk mais aussi les efforts depuis l’été autour de Donetsk, (incompréhensibles sinon d’un point de vue militaire). Cela laisse donc finalement beaucoup de marge de manœuvre politique à VPP. Je ne crois pas à la mobilisation générale, qui aurait peu d’effet militaire et beaucoup de dommages politiques. Il reste des moyens de mener des augmentations d’effectif, avec le problème de la formation et de l’équipement. Enfin, un certain nombre d’unités n’ont probablement pas encore été engagées. Il faut donc surveiller le débat qui a lieu à Moscou entre faucons et prudents. C’est un débat opaque et nous n’en saurons le résultat qu’au vu des décisions sur le terrain. Il reste qu’au sommet de l’Organisation de Coopération de Shangaï, VPP a réussi à obtenir le soutien de ses partenaires.
Pourtant, derrière ce succès politique, observons que le reste des républiques ex-soviétiques est en train de prendre feu : le conflit entre Arménie et Azerbaïdjan reprend, il y a des troubles au Tadjikistan, même le Kazakhstan montre de la fébrilité. Les faiblesses démontrées en Ukraine fragilisent la tenue par la Russie de « l’étranger proche ». Ce facteur entrera en compte dans la décision de VPP.
Désolé de publier cette enfilade un lundi matin. J’essaierai de faire mieux dimanche prochain.
Bonne semaine.
OK