Bilan hebdomadaire n° 47 du 29 janvier 2023 (guerre d’Ukraine)

Les grignotages russes se succèdent tandis que les Allemands ont accepté de donner des chars à l’Ukraine, ce qui a soulagé tout le monde, même si une certaine inquiétude prévaut.

Nord (Koupiansk-Svatove). Les Russes auraient pris (selon l’ISW, qu’on ne peut soupçonner d’être pro-russe) Taviljanka, au nord de Koupiansk. Au sud-ouest de Svatove, ils auraient pris quelques terrains à Novovodiane et Plochanka. Juste au-dessus, Karmzynivka qui était un objectif ukrainien resterait disputé, malgré des revendications russes non confirmées. Dans le secteur de Kreminna, les Russes auraient repris un peu de terrain à l’ouest du village de Dibrova ainsi qu’au sud, avec peut-être franchissement de la Siverski Donets à hauteur du nord de Bilohorivka, très menacée désormais.

Centre (Bakhmout). La situation ukrainienne se dégrade. Au nord, Soledar et Sil sont complètement investis, les Russes ont pris Krasnopolivka et poussent vers le nord, le long de la route 513 en direction de Sacco&Vanzetti et peut-être Vasioukivka. Un peu plus au sud, ils ont pris Blahodatne. Le village de Krasna Hora est pressé de trois côtés et devrait tomber car c’est le dernier point d’appui à l’est de la Bakhmoutva. En effet, à son sud, les Russes poussent depuis Pidhorodne et tiennent sous leur feu Parakoviivka et le carrefour T513 et M03. La voie d’accès nord à Bakhmout est donc désormais impraticable. Dans Bakhmout même, les Russes progressent lentement sur tout l’est de la ville même si le gros de la partie résidentielle (à l’est de la rivière) reste sous contrôle ukrainien.

Mais c’est au sud de la ville que la situation se dégrade le plus nettement. Les Russes progressent en effet sur tout le mouvement de terrain à l’ouest de Klichivka. Ils sont en vue d’Ivanivske et peut-être de Stupochky. La route 504 est sous leur feu.

Sud Donbass (Donetsk). Rien du côté d’Horlivka. A Donetsk, il se confirme qu’ils ont pris tout Vodyane. Ils pousseraient de Pisky vers Pervomaiske et de Vodyane vers Perekrestok. Plus au sud, poussées sans vrai gain du côté de Krasnorivka et Marinka.

Secteur sud (Vougledar/Zaporijia). Alors que la semaine dernière avait vu quelques progressions (d’après ISW, sud de Kamianske, sud d’Orichiv, sud-est d’Huliapole), cette semaine a vu une offensive contre Vougledar (je reprends l’orthographe francisée du Figaro). Les Russes ont attaqué depuis le sud et sont parvenus un temps aux hameaux à l’est du village. Mais ils ont été repoussés par les Ukrainiens qui tiennent donc toujours la localité et son point haut. Les Russes sont établis à Pavlivka et Mykilske qui étaient zone grise.

Appréciation militaire. L’impression dominante est celle d’une dégradation de la situation ukrainienne. Nulle part ne voit-on d’initiative gagnante de leur part. Soit ils tiennent leur front (comme au sud), soit ils se replient lentement.

Tactiquement, la situation de Bakhmout paraît très compromise. Les deux voies principales d’accès sont sous le feu de l’ennemi et il ne reste qu’une petite pénétrante pour accéder à la ville. Au nord, les Ukrainiens se sont installés sur le coteau dominant la Bakhmoutva mais au sud, les Russes ont réussi à s’y implanter (à hauteur de Klichivka) et à progresser vers l’ouest. Bakhmout est menacée d’encerclement et les premières rumeurs d’abandon de la ville bruissent ce jour, à prendre bien sûr avec grande prudence. Tactiquement toujours, les gains minimaux qui se succèdent autour de Donetsk commencent à produire leur effet, puisque le front se trouve désormais à 5 km de la ville, sauf Avdivka qui demeure le verrou ukrainien dans la zone.

Opérativement, la manœuvre au sud de Bakhmout a deux objectifs : bien sûr, pincer la ville de façon à la prendre avec un moindre effort, mais aussi peser sur Chasiv Yar, le verrou arrière qui couvre Kramatorsk au nord-ouest, Kostantiniovka à l’ouest et Toretsk au sud. Simultanément, la poussée au nord de Soledar vise évidemment Siversk, objectif qui suivra la chute de Bakhmout qui semble désormais probable. Cela explique aussi la sortie de Kreminna et la poussée contre Bilohorivka.

Stratégiquement, on comprend mieux l’intention des Russes : continuer à pousser sur leurs zones prioritaires (Bakhmout et dans une moindre mesure Donetsk) tout en multipliant les poussées sur l’ensemble du front : reprise dans le secteur de Koupiansk à Svatove, pesée sur l’ensemble du front sud de Zaporijia avec des efforts successifs en différents points. Aussi ne faut-il pas surinterpréter l’importance de tel ou tel objectif (Vougledar étant le dernier en date) mais plutôt y voir la volonté d’empêcher les Ukrainiens de mener leur propre effort : pour cela, les Russes veulent disperser les différentes réserves ukrainiennes et les forcer à éteindre les points chauds, ce qui entraverait logiquement la préparation d’une grande contre-offensive, annoncée pourtant par Kiev.

Le côté ukrainien semble aujourd’hui cantonné dans la seule réaction. Je dis bien semble car, au risque de me répéter, nous ne savons pas l’état des forces ni les plans préparés par les uns ou les autres. Ainsi faut-il se méfier des rumeurs de grande offensive qu’on entend de part et d’autre. Nous restons dans l’inconnu. La plus grande incertitude est celle des pertes subies par les uns ou les autres. Les radicaux des deux camps expliquent que l’autre subit des pertes effroyables. Je n’en sais rien pour ma part et me méfie comme de la peste des chiffres qui circulent. Nous n’en savons rien. Nous sommes obligés d’observer les mouvements du front.

Ici, une conclusion s’impose : à force de décrire les gains russes comme minimes, marginaux ou sans importance, certains refusent de voir que la guerre d’usure semble désormais à l’avantage des Russes. Cela signifie qu’ils ont adapté leur logistique, qu’ils réussissent à recompléter leurs approvisionnements (en munitions, en matériel, en hommes), que les bombes thermobariques constituent un réel atout tactique.En un mot : ils se sont adaptés et progressent. La guerre d’usure leur réussit.

Tout l’enjeu pour l’Ukraine consiste à s’adapter à son tour à ces nouvelles conditions. Cela passe entre autres, mais pas seulement, par l’envoi de nouveaux matériels par l’Ouest.

Analyse politique. La semaine dernière, nous concluions par le succès terni de la décision de Ramstein. Olaf Scholz, malgré sa coalition fragile et les pressions unanimes des Européens, avait lié l’envoi de Leopard 2 à l’envoi de chars américains. Ceux-ci ont tempêté mais mercredi, O. Scholz avait gagné son bras de fer et J. Biden annonçait l’envoi d’Abrams. Le soulagement était général, mais à quel prix.

Passons sur les maladresses de Mme Baerbock qui déclare mardi que l’Ouest fait la guerre à l’Ukraine, confortant ainsi le discours russe à un moment où il aurait mieux valu se taire. Notons que cette réunion de Ramstein a montré beaucoup de limites occidentales : celles des arsenaux dont on dispose, celle aussi de la cohésion qu’il s’agissait justement d’affirmer. Nous y reviendrons dans le prochain numéro de La Vigie. Ma conclusion de la semaine dernière demeure : c’est un coup de canif à l’unanimité occidentale. D’ailleurs, le pessimisme commence à poindre ouvertement. Ainsi, le Wall Street Journal en faisait état aujourd’hui (ici).

Désormais, la question du temps mais aussi de la tournure des affrontements sur le terrain prend une nouvelle dimension. Il faut donc que Kiev reprenne rapidement l’initiative qu’elle a perdu. Or, ce ne sont pas les chars promis qui vont rapidement l’aider à y parvenir. Pour l’instant, l’Ukraine doit compter sur ses seules forces.

A dimanche prochain

OK

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