Le grignotage a continué sur le terrain. Les regards étaient tournés vers Munich et la conférence de sécurité. Les discours évoluent, comme à Washington. Lien vers le billet entier en fin. Cartes : @pouletvolant3
Au sud, à nouveau une pression russe vers Vouhledar sans progrès. La tactique employée suscite toujours des pertes nombreuses sans réussir à percer. Les Ukrainiens semblent reminer très rapidement leur glacis défensif ce qui entrave les Russes.
Secteur de Donetsk : lent débordement au sud et nord de Marinka avec des gains minimes. Vers Avdivka, légère poussée depuis Opytne et surtout au nord de la ville : avancées russes à l’ouest de NovoBakhmoutivka et Novoselivka Druha. La route H20 est coupée et il ne reste plus aux Ukrainiens qu’une voie d’approvisionnement à Avdivka, par Orlivka, plus bien sûr la voie ferrée. Les Russes pourraient viser Krasnohorivka pour coiffer Avdivka par le nord.
Secteur de Bakhmout. Au sud, les Ukrainiens ont repoussé les Russes légèrement au sud de la route 504 à hauteur d’Ivanivske. Je ne sais pas si la route peut à nouveau servir à la logistique vers Bakhmout.
Dans la ville : poussée russe au sud (cimetière, nord d’Opytne). A l’est, les Ukrainiens avaient repris quelques blocs dont ils auraient été à nouveau délogés. La rue Patrice Lumumba serait complètement sous contrôle russe. La rue Schedra devrait constituer bientôt la dernière ligne d’arrêt avant la rivière.
Mais c’est au nord que les choses ont le plus évolué. Krasna Hora comme Parakoskivka sont tombées. Les Russes sont désormais sur le mouvement de terrain au sud de la M02 qui domine le village de Berkhivka par le nord. Ils pousseraient également vers Yahidne, dernier faubourg au nord de Bakhmouth proprement dit. Ils auraient même poussé une pointe entre Berkhivka et Yahidne (non confirmé). Simultanément, ils ont un peu avancé vers l’ouest et Zalinanske. Enfin, au nord de ce dispositif, quelques efforts peu appuyés entre Rozdolivka, Vesele, Spirne.
A hauteur de Kreminna, la poussée russe se poursuit avec un lent grignotage. Chervonopopivka est maintenant complètement dégagée, alors que c’était un des objectifs ukrainiens cet automne pour tourner Kreminna et Svatove…
A hauteur de Koupiansk, la prise de Dvorichne est confirmée ainsi que celle de Hryanikivka. Le pont sur l’Oskil reste sur la ligne de front. Les Russes poussent au sud vers Lyman Pershi.
Appréciation militaire. Les Ukrainiens sont en train de réussir leur pari : tenir Bakhmouth jusqu’au 24 février de façon à ne pas accorder une victoire symbolique à Poutine. Ils ont consenti les efforts nécessaires, lançant même cette semaine des attaques localisées à tel ou tel point du secteur pour retarder la prise de la ville. Il reste que le grignotage continue et que la poussée russe au nord de la ville rend sa chute un peu plus inéluctable. Il est ici intéressant de noter que les Russes semblent vouloir avancer sur la hauteur, à l’ouest de Berkhivka, de façon à coiffer tout Bakhmouth mais aussi à menacer le nord de Chassiv Yar, qui a été dégagé cette semaine par les Ukrainiens. L’avenir dira si cette option est jouée (je précise : hypothèse et non prévision, certains ne faisant pas la distinction).
Deux autres objectifs tactiques semblent par ailleurs se préciser : l’un tout au nord, vers Koupiansk : s’agit-il seulement de reprendre toute la rive gauche de l’Oskil ou de franchir pour coiffer Koupiansk par l’arrière ? Le pont de Dvorichna est à surveiller. Plus au sud, face à Donetsk, la manœuvre d’encerclement d’Avdivka se poursuit peu à peu.
D’une façon plus générale, la fameuse « offensive russe » ne se déclenche pas, sans surprise. Les éléments de langage ont changé : on lit désormais qu’en fait elle a commencé il y a huit semaines. Il faut ici s’entendre sur ce qu’on entend par offensive. S’il s’agit d’un grand mouvement de percée manœuvrière à la Guderian ou la Patton, non, il ne s’agit pas d’une offensive. S’il s’agit d’une pression continue sur l’ensemble du front, pourquoi pas ? Mais il s’agit alors d’une guerre d’usure, ce que je ne cesse de répéter. Cette guerre d’usure vise d’abord – d’abord – à étriller l’adversaire, donc à lui faire perdre des forces, qu’il s’agisse d’hommes ou de matériels. Le RAPFEU est ici central dans la manœuvre.
Rappelons que les Ukrainiens ont déclaré avoir adopté eux aussi cette stratégie. Ainsi, leur défense ferme vise à user le dispositif russe, profitant des môles défensifs que constituent les villes, avantageant logiquement le défenseur. Nous avons donc deux usures qui s’affrontent. Or, personne ne connaît le niveau des pertes de part et d’autre et il faut logiquement prendre avec les plus grands pincettes les chiffres revendiqués par les deux parties, quand certains les prennent pour argent comptant. L’objectif second d’une manœuvre d’usure – second – réside ensuite dans la prise de territoire.
C’est ce que nous observons depuis maintenant plusieurs semaines. Le lent grignotage russe a commencé début décembre et la prise de Yakovlivka a ouvert de nombreuses possibilités, comme je le signalai dès Noël en envisageant trois hypothèses d’évolution : deux au moins se sont réalisées, la troisième reste possible. (billet n° 42) . S’agit-il pour autant d’une « offensive » ? Ce serait aller un peu vite en besogne et en interprétation. Il s’agit en tout cas d’une stratégie.
Les Ukrainiens, quant à eux, doivent s’accrocher pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce qu’une ville est un formidable outil qui favorise la défense et permet donc de maximiser la stratégie d’usure que je mentionnais. Surtout, les Ukrainiens ne semblent pas avoir mis leurs meilleures troupes en première ligne, de façon à ne pas trop se consommer. Ainsi, en janvier, les Russes avaient poussé sur l’ensemble du front pour forcer les Ukrainiens à se disperser. Ils ne peuvent plus le faire et se concentrent désormais sur quelques points, ce qui donne logiquement de l’air aux Ukrainiens. Malgré les grignotages russes, cette manœuvre d’ensemble est à créditer aux Ukrainiens. Car le deuxième objectif de leur défense de l’avant est ailleurs : celui de préserver, de construire, de préparer une force de manœuvre de réserve qui permettra de conduire, au printemps, la fameuse contre-offensive dont tout le monde parle. Mars ou avril semble précoce, j’ai lu certains évoquer la date de juin ou juillet, nous verrons bien.
Mais dans ces deux manœuvres d’usure qui s’affrontent, chaque belligérant cherche à préserver l’économie de ses forces (principe de Foch) tout en obligeant l’autre à surconsommer les siennes. Aujourd’hui, les Ukrainiens semblent avoir retrouvé un peu de liberté de manœuvre même s’ils cèdent quelques positions ici ou là. Au fond, les deux parties jouent le temps : les Russes en pariant qu’ils ont la durée pour eux, les Ukrainiens en espérant tenir assez pour lancer une offensive concluante. La grande question de cette bataille du temps ne doit pas faire oublier un autre facteur :
Quand Bakhmouth tombera, un grand espace de manœuvre sera ouvert dans le triangle Bakhmout – Konstantinovska – Kramatorsk. C’est un petit massif au milieu de coupures humides. Au nord, il est bordé par le dispositif Kramatorsk – Slaviansk – Siversk. Cet ensemble est peu favorable à la défensive. D’où la question : Sera-t-il le lieu des combats du printemps ou des combats de l’été ? Tel est à mon sens l’autre enjeu du combat pour la montre que nous observons depuis six semaines.
Appréciation politique : Tous les regards étaient tournés vers la conférence de sécurité de Munich. Les discours se sont succédé, notamment celui du président Macron qui a redit son ferme soutien aux Ukrainiens.
Cependant, chacun constate que le débat à Washington évolue bien vite. Les objectifs de guerre ukrainiens (reprise de tout le Donbass et de la Crimée) paraissent à la classe politique de moins en moins atteignables. Simultanément, l’affaire des dons d’armement à l’Ukraine à la suite de la conférence de Ramstein a montré les limites de l’exercice, ce que constate un article du Wall street journal du 17 février (ici).
Malgré les déclarations, le lent effritement des positions ukrainiennes semble suggérer à beaucoup que les Ukrainiens ne pourraient pas repartir de l’avant. Peu à peu, l’idée apparaît qu’un accord devra être trouvé. Certains évoquent des exemples historiques : Le premier se trouve en Finlande avec la Guerre d’hiver (1939-1940) au bout de laquelle les Finlandais négocient une « Grande trêve », qui dure un an. La guerre de Continuation, relancée par la Finlande en 1941, se conclut en 1944 par un armistice et la finlandisation. Autre exemple : la guerre de Corée (sur la Corée du sud, voir LV 211) qui se termine en 1953 par un armistice qui reprend le 38e parallèle comme ligne de séparation.
Enfin, nous apprenons que la Chine va bientôt proposer un plan de paix pour résoudre le conflit. L’initiative est intéressante car Pékin était restée jusque-là en arrière de la main. Bref, les signaux se multiplient en faveur d’un pat pour mettre un terme à cette guerre.
A dimanche,
OK
La déprime occidentale se manifeste donc pour l’instant par des allusions à de possibles négociations. Avec les criminels de guerre, les violeurs et le fou qu’il est nécessaire de vaincre ?
C’est aller vite en besogne. Pour l’instant, l’objectif des Russes est le rivage de la mer noire et on ne discutera qu’après.
Il pourrait être atteint à la faveur d’une baisse « républicaine » de régime de la part des américains. Car il ne faut pas ignorer que ce qu’on appelle l’Ukraine n’existe déjà plus qu’avec une perfusion dont le flux ne doit pas s’arrêter, sinon couic.
Bref, la « négociation » c’est la forme que doit prendre la neutralisation de l’Ukraine: un cessez le feu derrière un glacis minimisant les dommages que causera un Etat terroriste subventionné par l’Europe? L’imposition par des USA revenus à la raison d’une Ukraine démembrée, agricole, démilitarisée et neutre à qui on rendrait Odessa pour qu’elle puisse espérer redevenir autonome un jour?