Pourquoi n’a-t-on pas dissuadé Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine ? – Réflexions autour de la dissuasion comme pratique des relations internationales (S. Audrand)

Nous sommes heureux de publier ce texte de Stéphane Audrand qui est consultant en risques internationaux (à son compte depuis 2013), historien (de formation) et officier de réserve (marin, en poste à la DGRIS). LV

Pourquoi n’a-t-on pas dissuadé Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine ? C’est une question récurrente depuis le 24 février 2022. Indéniablement, les mécanismes internationaux de sécurité collective censés décourager le recours à la guerre ont échoué, de même que les tentatives directes de dissuader Vladimir Poutine.

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Or la réponse à cette question de l’échec de la dissuasion est loin d’être triviale : si la dissuasion est une pratique immémoriale, qui renvoie à une médiation entre individus autour d’un acte que certains souhaitent empêcher d’être commis, elle revêt à l’ère nucléaire une importance cruciale pour la sécurité des nations et l’avenir de la planète. Se pencher sur tout échec de la dissuasion est donc primordial pour espérer corriger les processus qui auraient pu, qui auraient dû permettre d’éviter la guerre. S’agissant de l’invasion de l’Ukraine, il est vraisemblable que la dissuasion a été mise en échec par un mauvais calcul stratégique, de part et d’autre : si le déclenchement de la guerre est sans équivoque de la responsabilité de Vladimir Poutine, cela ne veut pas dire que l’Ukraine et ses soutiens n’ont pas fait quelques erreurs de signalement qui ont échoué à dissuader le maître du Kremlin. Si le président russe a sans doute sous-estimé le coût et les risques de son action et surestimé les bénéfices, les pays occidentaux ont sans doute été inefficaces dans les signaux à envoyer à la Russie, nécessaires pour le calcul stratégique rationnel. Et, sur le plan irrationnel, nous n’avons pas suscité la peur.

Pour mieux appréhender la complexité du dialogue qu’est la dissuasion, il n’est pas inutile de revenir à quelques fondamentaux de ce qui reste, au-delà des théories, une pratique quotidienne entre États, toujours changeante. Le mythe de la « stabilité stratégique » doit plutôt céder la place à la reconnaissance d’une perpétuelle « instabilité corrigée en temps réel ».

Dissuader, c’est « faire renoncer »

Dissuader, c’est décourager l’action de l’autre, au point de le conduire à renoncer à agir. Cela suppose, par des actes ou des promesses d’actes s’appuyant sur des moyens crédibles et une volonté énoncée, d’obtenir de l’autre une « non action ». Pour ce faire, la dissuasion est fondée sur une double approche, rationnelle et irrationnelle. La partie rationnelle, c’est le calcul stratégique froid : convaincre l’autre que les coûts induits par son action dépasseraient de loin les bénéfices anticipés. Notons que la dissuasion fonctionne en mode « carotte / bâton » : la promesse d’un gain peut aider l’autre à renoncer à son action. On est dans un dialogue stratégique classique : qu’est-ce que cela me coûte, qu’est-ce que cela me rapporte ?

Sur le plan théorique, même si cette notion de calcul stratégique est souvent présentée comme l’apanage du réalisme, elle n’est au fond pas incompatible avec des approches libérales ou constructivistes. A condition d’admettre qu’il existe dans les comportements des dirigeants et des États une forme de rationalité, plus ou moins parfaite, on peut admettre également que les décisions sont prises, au moins en partie, sur la base de calculs d’intérêt, même s’ils sont plus ou moins tempérés par des codes sociaux et culturels, une soumission à des normes supérieures, des stratégies individuelles et collectives, etc.

Lorsqu’on dit que, pour dissuader, il faut que le coût induit par l’action dépasse « de loin » les bénéfices anticipés, cela veut dire qu’il doit se situer bien au-delà de la marge d’incertitude qui existe dans tout calcul stratégique, qui repose sur un accès imparfait à l’information nécessaire au calcul (renseignements disponibles) et sur une rationalité imparfaite, produit de la qualité de la structure publique et du dirigeant. On entrevoit ici le besoin d’une relative transparence sur la crédibilité des moyens dont l’usage est promis en cas de rétorsion : plus les coûts de l’action seront clairement anticipés par celui qu’on veut dissuader d’agir, plus son calcul stratégique sera fondé sur des éléments rationnels. C’est pour cela notamment que les capacités stratégiques nucléaires des grandes puissances sont et doivent être communiquées à celui qu’on entend dissuader dans les grandes lignes. Si leurs caractéristiques précises sont bien évidement secrètes pour en préserver l’efficacité contre d’éventuelles contre mesures, il faut néanmoins que l’éventuel adversaire ait une idée assez précise du niveau de menace qui pèse sur lui. C’est le sens de la réplique de Peter Sellers dans « Docteur Folamour » de Stanley Kubrick : the whole point of the doomsday machine is lost if you keep it secret !

Un calcul stratégique russe défaillant

S’agissant du 24 février 2022, on peut donc considérer sans trop de doute que Vladimir Poutine a décidé que le bénéfice prévisible de son invasion de l’Ukraine dépassait « de loin » les coûts qu’il anticipait. Au bout d’un an de guerre et vu le niveau des pertes militaires subie, il n’y a guère de doute non plus sur le fait que, contrairement à ce qui est régulièrement déclaré par le Kremlin, les choses ne se sont pas passées comme prévu. Ce qui d’ailleurs ne veut malheureusement pas dire que Vladimir Poutine ait perdu tout espoir de l’emporter. Mais on peut affirmer que le calcul stratégique russe a été défaillant. Se basant sur ses renseignements et sa raison, Vladimir Poutine a considéré que l’Ukraine n’était pas un vrai pays, qui n’avait pas une vraie armée et que son gouvernement n’aurait pas de volonté de se battre. Ses victoires en Crimée, en Donbass ou en Mer d’Azov renforçaient cette conviction.

Cette défaillance est sans doute le fruit de la convergence de mauvais renseignement et d’une mauvaise analyse, dont les fondements sont assez classiques dans les régimes autoritaires : aller dans le sens du « chef », ne pas oser critiquer ses décisions et ne pas oser lui donner des informations ou des analyses qui contredisent ses idées est déjà un phénomène malheureusement récurrent dans nos démocraties, dans les entreprises comme les administrations et le monde politique. Mais les sociétés démocratiques demeurent pour l’heure un peu plus enclines à l’usage de la vérité et de la liberté d’opinion. En Russie, le glissement progressif vers un régime personnel et autocratique a sans doute exacerbé cette incapacité à « dire la vérité au chef ». Il y a là un phénomène d’auto-intoxication pro-cyclique : plus le président russe a déclaré que l’Ukraine n’était qu’un État fantoche et faible, que les Européens étaient lâches et les Etats-Unis sur le déclin, et plus ses services de renseignements se sont mués en séides serviles, lui servant ce qu’il souhaitait entendre, renforçant son biais d’analyse personnel.

Cette erreur de calcul par sous-estimation de son adversaire principal, l’Ukraine, est la raison pour laquelle il a planifié une vaste « opération de police » visant à renverser ce gouvernement qu’il croyait fantoche et désarmer cette armée qu’il croyait Potemkine, en comptant sur l’accueil favorable d’une partie de la population. Les effectifs, notoirement insuffisants pour l’invasion en règle du pays, semblaient suffisants pour maîtriser la situation sans recours à une mobilisation ou un engagement des conscrits.

Le plan russe était « rationnel face à ce calcul » qui était mauvais. Poutine n’avait pas anticipé une résistance ukrainienne prolongée et généralisée. Sinon, les planificateurs russes n’auraient pas utilisé la même approche. Cela ne veut pas dire que Vladimir Poutine a surestimé son armée. C’est un point que l’on entend souvent et il nous semble contestable. Il lui a plutôt confié une mission que l’armée russe ne pouvait, malgré ses qualités indéniables, remplir. On ne peut pas demander à un danseur de ballet de tirer seul une charrue. Et s’il échoue, cela ne veut pas dire qu’il est un mauvais danseur de ballet.

De plus il lui a confié cette mission inadaptée à son armée,  dans les pires conditions. Il ne fait guère de doute que le besoin de ménager l’allié chinois a fait perdre des précieuses semaines pendant les Jeux Olympiques de Pékin. Le dispositif russe, déjà insuffisant, est resté déployé aux frontières de l’Ukraine, exposé au monde, usant son potentiel humain et matériel dans l’attente et perdant la fenêtre météorologique propice des sols gelés. Le 24 février, il était sans doute déjà « trop tard » sur le plan opérationnel, même s’il est vraisemblable que le calcul stratégique russe, qui n’anticipait qu’une résistance symbolique, incitait à mettre cette variable cruciale de côté.

Pourtant, il faut l’admettre, il n’y a pas que Vladimir Poutine qui s’est trompé.

Un signalement dissuasif occidental inadapté et trop précis

De leur côté, les pays occidentaux ont sans doute surestimé la part de raison du président russe, ne pouvant croire, ni même imaginer qu’il pensait que l’Ukraine ne résisterait pas. Après tout, même le gouvernement ukrainien ne semblait pas croire à l’imminence d’une invasion, ou en tous cas il n’en manifestait pas les signes ostensibles avant les tous derniers jours. Seule une alerte insistante des Anglo-saxons a conduit Kiev à disperser des moyens antiaériens et aériens, ce qui en a sauvé une bonne partie et contribué à mettre en échec la tentative sur l’aéroport d’Hostomel.

Les pays occidentaux n’ont donc sans doute pas estimé le « besoin de dissuasion » à sa juste mesure, estimant que le déploiement russe, insuffisant pour être décisif, était destiné à peser sur les négociations avec l’Ukraine. Et, dans leur signalement, ils ont paradoxalement été trop précis sur ce que qu’ils annonçaient  comme « coût » en représailles à une action russe éventuelle, tout en surestimant ce que ce coût représentait pour le président russe au regard des bénéfices qu’il attendait de son action. Les Occidentaux ont échoué dans le « dialogue de dissuasion », parce que la dissuasion est un dialogue. On doit être deux. Si votre dissuasion est un monologue, elle va échouer. On échange des mots, des signaux, des actes, plus ou moins ostensibles et violents, pour se convaincre, avec une dose d’ambigüité.

L’ambigüité est, en effet, une part importante de la dissuasion, aux limites de la rationalité du calcul stratégique. La part d’incertitude dans le coût de l’action et dans le seuil de déclenchement des représailles a tendance à inhiber le calcul rationnel comme la décision irrationnelle en faisant formuler des hypothèses de risques plus larges et donc propices au découragement de l’acte. A l’inverse, l’idée de « lignes rouges » (une des expressions du bingo stratégique 2023 les plus inutiles) très précises revient à matérialiser un seuil qui d’une part vous engage et d’autre part donnera à celui que vous souhaitez dissuader l’idée qu’il pourra s’approcher très près de ce seuil avant d’encourir vos représailles. Et si d’aventure il le franchit, même de peu, la précision fera que vous serez contraint d’avoir un choix binaire devant vous, la rétorsion ou la perte de crédibilité (ce que l’administration Obama a subi à propos de son absence d’action en Syrie). Une dose d’ambigüité permet à chacun de reculer sans perdre la face, ce qui est important pour la part irrationnelle liée à la dissuasion, que nous évoquerons plus bas.

Il est donc pertinent de bien de fixer une limite absolue, haute, lointaine, symbolique (par exemple « la survie de votre État »). Mais aussi une zone floue (disons les « intérêts vitaux », sans les détailler). Ainsi, l’autre saura que, dès qu’il s’approche de la « ligne », il risque d’encourir des représailles, même sans l’atteindre, puisqu’elle est floue. Ce flou sera entretenu par un signalement adapté, « ni trop ni trop peu ». Le signalement, c’est la façon qu’on a de communiquer sur l’approche du seuil et les coûts que l’on promet à l’autre s’il décide d’agir. Ils sont de toute nature : signalement au moyen de déclarations et/ou de déploiement de moyens (militaires, économiques), crédibles et raisonnablement visibles. Crédibles, pour donner du poids à vos mots et raisonnablement visibles, c’est à dire perceptibles par la raison de l’autre.

Le signalement doit être aussi proportionné. Si vous promettez l’Armageddon pour un petit incident, vous ne serez sans doute pas crédible, même si vos moyens le sont. Et à terme, vous éroderez le poids de votre parole. C’est une des raisons pour laquelle on ne peut se contenter de l’arme thermonucléaire. La dissuasion est un continuum, qui suppose un continuum de moyens. En leur absence, l’évaluation par l’adversaire de votre seuil, même floue, laisse une latitude considérable à des actions de contournement « sous le seuil ».

Dans leur signalement à Vladimir Poutine à propos de l’Ukraine, les pays occidentaux ont été défaillants : tous ont exclu d’emblée et sans équivoque l’option militaire directe pour défendre l’Ukraine. Ce raisonnement se fondait à la fois sur l’absence d’engagement de sécurité écrit avec le pays, mais aussi sans doute sur une volonté commune de ne pas provoquer le Kremlin. Ne croyant pas à une invasion « totale », les pays de l’Alliance atlantique n’ont sans doute pas estimé à sa juste valeur le besoin d’en dissuader la Russie. Même une part d’incertitude dans les déclarations américaines aurait été de nature à complexifier le calcul stratégique russe. Mais lorsque Joe Biden a exclu l’intervention directe de soldats américains d’emblée il a, par l’absence d’ambigüité, « ouvert une porte », même petite. Il ne s’agissait pas pour être efficace de promettre, mais plutôt de rester ambigu en « n’excluant rien ».

De fait, la concentration du signalement sur la promesse de sanctions économiques a été un échec. Les pays occidentaux, Européens en tête, ont calculé qu’elles feraient reculer le Kremlin. Vladimir Poutine a calculé qu’il pourrait y résister. A court terme, il avait manifestement raison. Les promesses d’effondrement de l’économie russe ne se sont objectivement pas concrétisées. Bien entendu, il était nécessaire dans le narratif dissuasif, d’être aussi grandiloquents que possible sur le « coût » qu’aurait à subir la Russie en termes de représailles. Mais on voit ici à quel point le besoin de crédibilité est fort derrière les mots. C’est une leçon spécifique pour les Européens, qui ont un peu oublié le tandem mots/actes, les seconds devant s’appuyer sur des capacités et non sur les premiers.

A long terme, l’impact des sanctions économiques est un débat qui reste ouvert. Mais si les sanctions peuvent avoir, in fine, une capacité punitive, elles n’ont clairement pas été dissuasives. Notamment parce que les dépendances européennes rendaient peu crédibles les options radicales immédiates (fermer tous les robinets gaz/pétrole) et parce que depuis 2014, la Russie s’y était préparée. Mais aussi parce que les pays occidentaux ont sans doute surestimé leur capacité à entraîner le reste de la planète dans leur condamnation d’une violation aussi massive et flagrante de la Charte des Nations unies. Le signalement stratégique occidental, aveuglé par trop d’illusions « libérales » ? Ou plutôt, sans doute, d’ethnocentrisme, n’ayant pas réalisé à quel point la mondialisation économique a fait émerger d’autres voies.

Trop précis sur l’absence de risque militaire, donc. Et trop dépendants pour que les sanctions économiques soient crédibles comme un « choc massue à court terme ». Et enfin, parce qu’au fond tout en la matière a été improvisé dans la stupeur, trop mesurés sur notre volonté éventuelle d’aider militairement l’Ukraine sans intervenir directement. Si Vladimir Poutine avait anticipé ne serait-ce qu’une partie de l’aide occidentale, notamment européenne, qui a été livrée à l’Ukraine, il aurait là encore sans doute modifié son calcul stratégique (ne serait-ce que pour revenir à la méthode de la « tranche de salami »). En étant trop précis sur certains points, muets sur d’autres et focalisés sur des aspects économiques peu crédibles, nous avons donné l’impression que l’Ukraine était militairement seule. Et nous n’avons pas fait peur.

Dissuader – une dose d’irrationnel

La peur compte. Il ne faut pas sous-estimer cet aspect irrationnel de la dissuasion. Une partie de la dissuasion, surtout militaire, surtout nucléaire, repose sur la capacité de la peur d’inhiber l’opposition « volonté / chance ». Car dans la part d’incertitude et de flou nécessaire dont nous avons parlé, il y a un facteur chance, l’aléa, l’incertitude chère à Clausewitz qui nous rappelle que la guerre est d’avantage une pratique qu’une science exacte.

Face à cet aléa s’oppose la volonté, celle du décideur, de « tenter sa chance ». Elle découle de son ethos, de ses lubies, de son caractère, de sa personnalité, de son parcours de vie privée et publique ou de son âge (un point qui a pu compter pour Vladimir Poutine). Et cette équation de la volonté se complexifie en cas de décision collégiale. La collégialité peut tempérer la passion par la raison, mais aussi susciter des bouffées collectives (cas de la panique chinoise face aux risques de frappes soviétiques en 1969).

Admettons-le : la prise de décision n’est pas toujours le fruit d’un savant calcul rationnel. Elle a parfois, souvent, un petit côté « Allez ! Ça va le faire !  » C’est la place de la volonté d’aller outre le calcul rationnel, s’il semble qu’on s’approche du seuil où l’action l’emporte sur l’inaction. En face de cela, la dissuasion doit instiller une dose de peur. Pas seulement peur de mourir, mais aussi (surtout) peur d’échouer, peur de perdre la face (devant le monde, son politburo, ses électeurs), peur de voir mourir ses proches. Ce que traduisait en partie la maxime de la Guerre froide « les Soviétiques aussi aiment leurs enfants ».

Ici, clairement, Poutine n’a pas eu peur : d’abord parce que l’Ukraine ne lui faisait pas peur, parce qu’elle semblait relativement seule sur le plan militaire. Mais aussi parce qu’il n’avait pas peur des Européens et, après Kaboul et l’assaut sur le Capitole, parce qu’il n’avait sans doute plus peur des États-Unis. On voit ici à quel point l’exercice des relations internationales est un tout englobant. La dissuasion repose sur des paroles et des capacités, mais aussi sur une crédibilité générale sur la scène mondiale. Longtemps la stabilité et la solidité des institutions américaines a été un pilier aussi fort de leur crédibilité que leurs forces armées. En donnant au monde une impression de délitement, dans les processus électoraux comme lors du départ d’Afghanistan, l’Amérique a sans doute altéré la perception de sa dissuasion. Cette pente, depuis un an, est cependant bien redressée et donne une fois encore raison à la maxime de Warren Buffet, déjà manifeste pendant la pandémie : never bet against America. Car, depuis un an, certaines choses ont tout de même très bien fonctionné en matière de dissuasion.

Conclusion – capitalisons sur nos succès pour l’avenir

La dissuasion de l’OTAN et spécifiquement des trois puissances nucléaires de l’Alliance a très bien fonctionné : bon signalement stratégique, consensus des membres, déploiement rapide de forces de réassurance. La mise à la mer de trois sous-marins nucléaires lanceurs d’engins français, l’engagement sans failles des forces américaines, les livraisons d’armes immédiates, le soutien sans équivoque de l’Union Européenne « whatever it takes », tout cela a présenté un mur solide et impénétrable face auquel la Russie n’a montré dès le début aucun signe de volonté de confrontation. L’Alliance est en outre restée dans son rôle strictement défensif, mettant en échec les affirmations propagandistes d’agressivité. Si l’OTAN était une machine à « agresser la Russie », elle aurait multiplié les opérations dans l’étranger proche pour soulager l’Ukraine. Il n’en a rien été, ni dans le Caucase, ni en Asie centrale, ni en Asie orientale.  Au contraire, l’OTAN a montré à quel point elle est une machine à « produire de la raison », propice à éviter tout réflexe impulsif, tout cavalier seul, toute sur-réaction instantanée.

En face de cette clarté tranquille sous parapluie nucléaire et servie par un vrai continuum de moyens conventionnels aériens, terrestres et navals, la Russie n’a pas osé toucher à aucun des membres de l’OTAN, même ceux qui sont critiques pour les livraisons d’armes à l’Ukraine. C’est une bonne leçon pour l’avenir, qui plaide, une fois l’Ukraine restaurée dans son intégrité, pour un rapprochement avec l’OTAN. Parce que, objectivement, la « voie de la neutralité » n’aurait sans doute ni garanti sa sécurité, ni permis un dialogue de dissuasion efficace. L’efficacité du signalement de l’Alliance atlantique en matière de dissuasion est le miroir d’un échec collectif à défendre l’Ukraine, mais c’est aussi la voie de l’avenir pour parvenir à coexister en paix lorsque l’agression aura été mise en échec. Collectivement, le déclenchement de la guerre est bien un échec de la dissuasion. Mais elle a été rétablie aux frontières de l’Alliance et on peut, on doit, faire mieux à l’avenir.

Stéphane Audrand

2 thoughts on “Pourquoi n’a-t-on pas dissuadé Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine ? – Réflexions autour de la dissuasion comme pratique des relations internationales (S. Audrand)

  1. Et si la question n’était pas plutôt: « pourquoi a-t-on provoqué l’agression Russe ? ».

    Après tout, cette guerre est clairement à l’avantage de certains: l’Europe a coupé définitivement les ponts avec la Russie et ne pourra pendant des années penser à l’intégrer de façon à devenir une puissance eurasiatique majeure. Coupée d’un gaz peu cher à portée immédiate, elle devra pour toujours dépendre d’un extérieur lointain pour s’approvisionner en énergie.
    Une preuve de l’effectivité de cette volonté est évidemment le sabotage de Nordstream, commis par le principal membre de l’OTAN à l’encontre de ses « alliés » (soumis et affidés).

    Par contre l’échec de sanctions économiques est par ailleurs patent, les principales victimes étant essentiellement les exportations européennes, qui encore mieux qu’en 2014 se traduiront par un commerce supplémentaire pour les chinois, plus des autonomies supplémentaires à développer de la part de la Russie.

    Que l’on se réjouisse ici de la puissance du bouclier que constitue l’OTAN est donc assez paradoxal, voire masochiste, voire vendu à l’étranger…

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