Deux semaines après le dernier bilan : situation globalement figée sauf à Bakhmout que les Ukrainiens sont en train de céder. Faisons le bilan de cette campagne d’hiver. Lien vers le billet entier en fin d’enfilade.
cartes : https://twitter.com/Pouletvolant3/status/1644969585962090496
Le front de Kherson n’a pas connu d’évolution majeure, sinon une reprise des reconnaissances ukrainiennes. Des vols de drones Bayktar ont repris, alors qu’on n’en avait pas observé depuis des mois.
Front sud de Zaporijia : Les Ukrainiens ont un peu dégagé la zone sud d’Orikhiv il y a deux semaines. Pas de changement depuis. A Vouhledar, la situation est stable, quelques combats autour des datchas au sud de la bourgade.
Secteur de Donetsk : Petite progression russe dans Marinka. Les Ukrainiens ont rétabli une position ferme au sud d’Avdivka pour alléger la pression russe venant d’Opytne et Vodyane. Un peu plus au sud, micro-progression russe au sud de Pervomaiske. Au nord d’Avdivka, les Russes ont légèrement consolidé leur position vers Novobakhmutivka pour protéger leur flanc nord. Pas d’activité dans le secteur d’Horlivka.
Secteur Siversk et Svatove : Peu d‘activité vers Siversk, les revendications des uns et des autres peinent à convaincre. Les Ukrainiens ont repris quelques arpents de forêt au sud de Dibrova. Les Russes poussent toujours un peu plus à l’ouest sans progresser.
L’essentiel des combats s’est concentré à Bakhmout. Les Russes ont cessé de vouloir fermer la pince, que ce soir au sud (Ivanivske) ou au nord (Dubrovo Vasylivka). L’essentiel des combats s’est donc déroulé dans la ville. Il y a quinze jours, les Ukrainiens tenaient encore des positions à l’est de la rivière Bakhmoutova, dans le complexe industriel d’Azom, ou au sud aux lisères du cimetière. Ils ont depuis beaucoup cédé. Les Russes ont ainsi pris toute la vielle ville à l’ouest de la rivière. Les Ukrainiens se sont globalement repliés derrière leur dernière ligne d’arrêt constituée par la voie ferrée qui traverse la ville du nord au sud et le long de la rue Korsunskogo.
La voie ferrée aurait été franchie par les Russes au nord de la ville. Les Ukrainiens tenaient le carrefour du Mig27, point décisif à l’ouest de la ville, qui serait peut-être tombé ces dernières heures, ce qui leur fermerait la route T 504. Ils tiendraient encore la rue Tchaïkovski et ne maîtriseraient plus dès lors qu’une petite voie de sortie par Nova Pochta. Autant dire qu’il ne s’agit désormais que d’un combat retardateur avant d’abandonner la ville dans les jours qui viennent.
Appréciation militaire : La météo est passée de l’hiver au printemps avec un réchauffement des températures, le regain des pluies et donc une augmentation de la boue (Rapoutitsa) qui entrave bien des manœuvres. Voici une des raisons (non la seule) des fronts figés des derniers jours. Dès lors, ceci expliquerait la concentration sur les combats urbains, à Bakhmout bien sûr mais aussi Marinka. Cependant, la fatigue des deux parties et leurs difficultés logistiques sont évidemment des causes supplémentaires.
Les Ukrainiens ont réussi à stabiliser l’ensemble des fronts et même à relancer quelques coups de sonde ici ou là, arrivant même à reprendre quelques positions. En revanche, la pression sur Bakhmout était telle et les lignes logistiques si difficiles qu’ils ont accepté de céder la ville au cours de la quinzaine, en organisant un combat retardateur bien mené, choisissant visiblement les zones qu’ils abandonnaient. C’est tout sauf une débâcle et la manœuvre a été bien menée. Au-delà des rumeurs sur une contre-offensive ukrainienne, les observateurs signalent une reprise des activités de renseignement et de tirs dans la profondeur, notamment au sud : cette attitude suggère que les choses se précisent. Le calendrier opérationnel paraît donc maîtrisé.
Du côté russe, il faut constater l’arrêt de la campagne de bombardement dans la profondeur, notamment contre les infrastructures électriques. L’Ukraine a réussi à résister et le moral de la population s’améliore, selon les témoignages que je reçois de Kiev. Cette option tactique russe n’a donc pas atteint les objectifs recherchés.
Simultanément, les Russes ont cherché à partir de décembre d’étirer le dispositif ukrainien en attaquant sur de nombreux secteurs du front. Ils ont réussi à atteindre les faubourgs de Koupiansk au nord, à dégager Kremmina, à casser le dispositif ukrainien à Soledar puis à saisir Krasna Hora ce qui a permis le siège de Bakhmout, à pousser en avant de Donetsk notamment autour d’Avdivka, à avoir quelques maigres succès non exploités au sud, à constater l’échec devant Vouhledar, à gagner quelques positions sur la ligne sud de Zapoijia, à tenir enfin sans grande difficulté le front de Kherson et du Dniepr. Autrement dit, ils ont grignoté de façon besogneuse, avec un résultat ni négligeable, ni convaincant.
Au fur et à mesure, on les a senti s’épuiser. En effet, à produire des efforts sur l’ensemble du front conduit à s’étier soi-même et à ne plus pouvoir peser localement. La mobilisation partielle décidée à l’automne semble avoir produit le maximum de ce qu’elle pouvait. Simultanément cependant, la Russie a visiblement consolidé ses lignes de défense, ce qu’elle n’avait pas fait au cours des huit premiers mois de guerre. Elle bénéficie logiquement d’un avantage d’artillerie. Mais cela ne suffit pas. Tout d’abord, les ressources humaines ont été consommées. Personne ne connaît précisément le niveau de pertes de part et d’autre et les estimations les plus loufoques ont été produites sans qu’on puisse les croire. Or, la chose est essentielle dans une guerre d’usure.
Il est sûr en tout cas que les deux dispositifs ont été éprouvés. Enfin, les Russes n’ont pas montré de grands progrès dans leur commandement, semblant ne pouvoir mener que des actions tactiques et ne démontrant aucune capacité à des manœuvres opératives.
Faisons le bilan de cette phase hivernale : les Ukrainiens ont résisté à l’avant, consommant probablement une part de leurs capacités mais réussissant à ne pas trop céder. Ils ont préservé la possibilité de repartir de l’avant. Dans cette guerre d’attrition, le résultat est positif. Les Russes ont quant à eux stoppé l’hémorragie de la fin de l’été et de l‘hiver. La perception générale est modifiée et alors qu’en septembre, beaucoup annonçaient un effondrement, force est de constater qu’ils ont repris l’initiative.Pour autant, s’ils ont gagné quelques positions et sortent de la séquence avec un petit avantage tactique, il doit certainement les décevoir par rapport à ce qu’ils espéraient. Autrement dit, les deux parties ont de quoi se satisfaire sans que cela ne soit vraiment probant.
Appréciation politique : Sur le plan supérieur, deux débats ont eu cours. Le premier sur la préparation de l’offensive ukrainienne, attendue pour mai ou juin. Kiev annonce la constitution de plusieurs brigades (on ne sait rien de ce que les Russes mettent sur pied), ils ont bénéficié d’entraînement en Europe et des matériels arrivent, mais moins qu’attendu que ce soit en quantité ou en qualité. Autrement dit, il ne faut pas s’attendre à un déferlement qui bousculerait tout sur son passage.
Au fond, il s’agit d’un fusil à un coup et l’état-major ukrainien le déclenchera avec les plus grandes précautions. Nous avons déjà évoqué les lieux possibles de cette manœuvre et nous n’ajouterons pas aux conjectures. En revanche, il est peu probable que la surprise jouera. Cette offensive aura lieu dans un contexte de guerre d’usure où les deux parties se sont préparées et retranchées. Les difficultés russes à surmonter les défenses ukrainiennes dans le Donbass démontrent à quel point la chose est difficile. Les Russes sont aux aguets.
Cela pose la question à laquelle je ne sais répondre : les Russes ont-ils prévu des réserves assez conséquentes pour pouvoir éteindre les départs de feu qui seront déclenchés par les Ukrainiens ? Cette inconnue est curieusement peu traitée par les observateurs.
Le deuxième débat a porté sur les négociations. De ce point de vue, la proposition chinoise a suscité beaucoup de débats. Si elle semble peu opératoire, elle change malgré tous les esprits. En effet, les inquiétudes persistent à l’Ouest, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, nous l’avons suffisamment relevé. Des paramètres s’ébauchent discrètement. Ainsi, Mme Nuland, sous-secrétaire d’Etat, connue pour être une fougueuse pro-ukrainienne, a-t-elle déclaré en février que « La Crimée doit être – au minimum, au minimum – démilitarisée » https://www.euractiv.com/section/europe-s-east/news/how-the-wests-position-on-ukraine-taking-back-crimea-could-turn-the-war/ C’est tout sauf anodin.
L’intérêt de Zelensky à rencontrer Xi suggère là-aussi la recherche non d’une négociation directe (cela me paraît trop tôt) mais l’établissement de canaux indirects, sans grande illusion d’ailleurs : Kiev sait que la Chine ne lâchera pas la Russie mais s’accroche au discours de Pékin sur la préservation de la souveraineté. Quant au voyage du président Macron à Pékin, il couvrait trop d’objectifs (liens économiques bilatéraux, attitude à tenir en Asie orientale et notamment Taïwan et aussi guerre d’Ukraine) pour réellement déboucher. En effet, les positions de Paris sont trop peu comprises pour que la France puisse réellement jouer un rôle diplomatique dans ce conflit.
Il reste qu’il faut écouter cette très légère musique diplomatique qui se joue en arrière-plan. De toute façon, chacun attend le résultat des opérations qui vont débuter ce printemps : sauf effondrement de l’une ou l’autre partie, qui paraît aujourd’hui peu probable, rien ne débouchera avant la fin de l’été.
Nous aurons donc amplement l’occasion d’en reparler. D’ici là, passez une bonne semaine.
OK
L’appréciation ne serait-elle pas trop pessimiste à l’égard des Russes?
Tout d’abord, deux autres encerclements du type Bakhmut sont en cours: Marienka et Avdiivka, les 3 places fortes commandent la ligne de défense du Donbass dont la conquête effective semble inéluctable. Leurs défenses acharnées sous le feu russe est sans doute très couteuse : jusqu’à quand pourront ils tenir ?
Ensuite, l’utilisation croissante par les Russes des bombes planantes UPAB-1500B tirées à longue distance devraient consacrer la supériorité aérienne russe, jusque-là bridée par l’efficacité des défenses anti aériennes. Les Ukrainiens ne semblent pas pouvoir utiliser l’équivalent (les JDAM américains), faute d’avions.
Bref, les Ukrainiens ont ils vraiment l’opportunité de tout risquer « en un coup » comme il est dit ? Leur intérêt ne serait-il pas plutôt d’attendre les avions occidentaux ? Un bras de fer est en cours avec la promesse de l’offensive de printemps et il n’est pas sûr que toutes les voix américaines soient à l’unisson…
Les responsables ukainiens parlent maintenant d’une offensive d’été… Nous verrons bien