Bilan hebdomadaire n° 67 du 2 juillet 2023 (guerre d’Ukraine)

Peu de choses se sont apparemment passées sur le terrain. Les interrogations sur la situation demeurent alors que les débats politiques apparaissent de plus en plus clairs.

Source : Poulet Volant…

Déroulé des opérations

 

Sur le front de Kherson et du Dniepr : les Ukrainiens ont pris pied sur la rive gauche du Dniepr, au bout du pont d’Antonivka, un faubourg de Kherson. Ils avaient un temps avancé à travers la zone marécageuse asséchée mais ont été repoussé par les Russes jusqu’à l’accès sud du pont qui demeure donc au sens propre « une tête de pont ».

Plus au nord-est, les accès à la centrale de Zaporijia attirent l’attention. La rupture du barrage de Kakhovka à l’aval  (voir ici, mise à jour demain) avait suscité des inquiétudes sur ses bassins de refroidissement, mais la situation semblait grave mais stabilisée, selon Rafael Grossi, directeur de l’AIEA qui s’était rendu sur le site le 15 juin. Or, depuis une semaine, les Ukrainiens accusent les Russes de préparer un incident radiologique, les Russes accusant les Ukrainiens de la même intention. Or, même l’ISW américain admet qu’un tel incident ne serait à l’avantage militaire d’aucune des parties. Malgré tout, la menace du chantage radiologique (terme plus exact que nucléaire) anime les débats, au moins sur le front informationnel.

Sur le front sud de Zaporijia.

A l’ouest, aucune évolution dans le secteur de Kamianske. Le village de Pyatykatky serait partiellement tenu par les Ukrainiens, qui ne font plus effort vers Zherebiansky.

Au centre, les Ukrainiens poussent toujours au sud d’Orikhiv, avec des progressions marginales dans les zones intermédiaires mais sans prise notable. Robotyne, demeure russe. Il faut observer ce qui se passe à l’est de ce secteur, dans le thalweg, Novoprokovka demeurant russe, le hameau de Luhivske étant ukrainien.

A l’est, dans le secteur de grand Novosilka, les Ukrainiens sont parvenus à prendre le village de Rivnopil, seul succès de la semaine : il n’est pas négligeable. Les Russes vont chercher à tenir la ligne entre Pryutne et Urozhaine. La zone est celle où les Ukrainiens ont connu le plus d’avancée, même s’il ne s’agit pas d’une percée.

Pas de changement dans le secteur de Vouhledar.

Sur le front du Donbas sud et centre

Pas de changement à Marinka. Dans le secteur d’Avdidka, les Ukrainiens pousseraient au nord vers Vesele, les Russes au sud depuis Opytne.

Le secteur de Bakhmout reste le plus actif. Au sud, combats autour du canal vers Zelenopolija. Poussée ukrainienne sur les hauteurs ouest de Kilichkivka. Dans la ville même de Bakhmout, petite contre-attaque russe vers Khromove et combats, un peu plus au nord, vers Yahidne. Combats sur les hauteurs juste au nord-ouest qui forme désormais saillant, les Russes tenant toujours la ligne Dubovo jusque Zaliznianske face à la poussée ukrainienne. Affrontements sur la ligne au nord de Soledar, sans changement de front.

Sur le front Donbass nord

Toujours des combats autour de Bilohorivka, sans changement. Dans la forêt à l’ouest de Kremina, les Russes tentent de pousser soit vers la rivière Siversk, soit vers Torske, sans changement.

Plus au nord, affrontements entre Svatove et Koupiansk, sans changement.

Enfin, des bombardements dans la profondeur ukrainienne ont repris de la part des Russes, visant quelques grandes villes dont Kiev.

A noter que ce soir, la ministre adjointe de la défense ukrainienne, Mme Ganna Maliar, vient de déclarer sur Telegram que « L’ennemi avance dans les secteurs d’Avdiivka, Mariinka, Lyman ». « Il avance aussi dans le secteur de Svatovoe ». « Il y a partout des combats acharnés ». Cela reste bien sûr à confirmer car ce n’est pour l’instant pas observé sur le terrain.

Analyse militaire

Si globalement, les Ukrainiens poussent sur l’ensemble du front, aucun changement majeur n’est à signaler. Au cours du mois de juin, début de l’offensive, 247 km² (15 km sur 15) ont été repris aux Russes. Certains se moquaient du grignotage russe au cours de ce qu’on a appelé l’offensive d’hiver et qui leur a malgré tout permis de prendre Soledar et Bakhmout. Aussi ne saurait-on critiquer les progrès ukrainiens, même si aucune localité importante n’a été prise jusqu’à présent.

C’est qu’au fond, de même que nous avions analysé la tactique russe comme ne se concentrant pas d’abord sur la saisie de territoire, de même ne faut-il pas prendre ce seul critère pour analyser l’action ukrainienne actuelle.

Depuis le début de la contre-offensive, désormais reconnue par Kiev, nous avons noté deux tactiques : une première tactique fondée sur le choc, qui a duré une semaine et n’a pas répondu aux espérances (euphémisme pour dire qu’elle fut un échec). Puis une deuxième tactique, fondée sur le test des lignes russes sur l’ensemble du front avec deux espoirs : au mieux déceler un point de fracture où l’on puisse engager les réserves ; au pire user le dispositif russe pour relancer ultérieurement une action de choc.

C’est au fond ce qu’a dit le CEMA ukrainien Zaloujny dans une interview accordée au Washington Post (ici) cette semaine (démentant au passage les rumeurs sur sa disparition). Cela l’exaspère d’entendre que l’offensive avance moins vite que prévu. Chaque mètre est gagné au prix du sang, rappelle-t-il. Il ajoute : « Without being fully supplied, these plans are not feasible at all » (S’ils ne sont pas entièrement approvisionnés, ces plans ne sont pas du tout réalisables), ajoutant que les Occidentaux n’auraient jamais lancé de contre-offensive sans couverture aérienne. Et il précise ses besoins : des munitions et des F16. Quant à l’affaire Prigojine, il confirme ce que nous disions la semaine dernière : « We didn’t feel that their defense got weaker somewhere or anything ».

A lire l’interview, on note deux choses : une allusion à l’échec de la première phase (lancée sans appui aérien ni DSA) et surtout, la mention de la problématique des munitions. Car là est le point faible de la tactique actuelle des Ukrainiens. En effet, souvenons-nous de ce que certains disaient au moment de l’offensive sur Bakhmout : d’abord que la ville n’avait aucune importance, ensuite que la position défensive permettait d’user en profondeur l’armée russe. Je ne vais pas revenir sur l’importance de Bakhmout, toute relative mais non nulle, nous l’avons dit ici. Je m’étonne à peine quand certains s’escriment désormais à expliquer que maintenant, c’est le point d’application majeur de l’effort ukrainien…

Plus sérieusement, on nous expliquait que l’offensive contre des positions retranchées coûtait plus à l’agresseur qu’au défenseur. Nous avons déjà discuté ces points : tout se résume finalement au rapport de feu.

Or, il était à l’avantage des Russes au cours du premier semestre quand ils poussaient. Il est évidemment à leur avantage encore maintenant qu’ils défendent. Et si les Ukrainiens ont temporairement haussé leur engagement d’artillerie, ce qui est probable, si les Himars font des tirs réguliers pour éliminer les batteries russes, je doute que cela suffise à inverser durablement le rapport de feu. Autrement dit, la question des munitions devient chaque jour plus sensible. Les Ukrainiens ont probablement accumulé des réserves au cours des six mois passés. Ils les engagent actuellement. La grande question est : combien de temps peuvent-ils fournir cet effort ? La remarque du général Zaloujny n’est de ce point de vue pas très encourageante.

Dès lors se pose la question des pertes. Une fois encore, nous n’en savons rien. Les comptes pro-ukrainiens sérieux estiment qu’elles s’équilibrent. A le supposer, le différentiel humain et matériel entre la Russie et l’Ukraine rend cet « équilibre » intenable dans le temps. Il reste que l’on sent que le dispositif russe aussi fatigue et que la tenue de la première ligne peut ne pas durer indéfiniment. Là aussi, des surprises sont possibles qui viendraient valider l’approche ukrainienne.

Analyse politique

Il y a trois mois, l’Ukraine parlait encore de victoire et de reprendre tout le territoire occupé par les Russes. Ce discours n’est plus tenu aujourd’hui. Cela fait plusieurs semaines que nous sentons monter la question des négociations. Elle est désormais de plus en plus claire, à mesure d’ailleurs que le sommet de l’Alliance approche (il se tiendra les 11 et 12 juillet prochains).

Le débat est désormais public. Le 30 juin, le Washington Post publiait (ici) un CR d’une visite « secrète » de W. Burns, le directeur de la CIA, à Kiev, en titrant sur « les plans pour la fin de la guerre ». V. Zelesnky a confirmé que l’offensive avançait « plus lentement qu’espéré », même si « l’événement principal » reste à venir. Mais à Kiev, on prépare les plans pour une négociation « à l’automne ». Le plan idéal verrait les troupes ukrainiennes avancer « jusqu’à la frontière avec la Crimée ». « En acceptant de ne pas reprendre la Crimée par la force, Kiev demanderait que la Russie accepte toutes les garanties de sécurité données par l’Ouest à l’Ukraine » (In agreeing not to take Crimea by force, Kyiv would then demand that Russia accept whatever security guarantees Ukraine can secure from the West, said Ukrainian officials).

Ainsi, la reprise de la Crimée ne fait plus partie des objectifs ukrainiens. La chose est notable car elle vient à l’encontre de ce que l’on entendait depuis des mois. Elle marque un réalisme certain. Il faut également noter que la pression sur des actifs russes est vue comme le moyen d’obtenir de Moscou l’acceptation des garanties de sécurité données par l’Ouest à l’Ukraine : voici donc désormais le principal enjeu pour Kiev : non plus tellement lesdites garanties de sécurité (qui incluent des F16 et n’iront pas jusqu’à l’adhésion à l’Otan) mais de trouver le moyen de les faire accepter par les Russes. Noter également qu’il s’agit du plan idéal : rien n’est dit des négociations si jamais l’Ukraine n’arrivait pas à menacer la Crimée : c’est au fond toute la raison de la pression actuelle des Occidentaux sur l’offensive et sa réussite au plus vite.

C’est donc cette question des questions de sécurité qui est au centre des discussions, plus que la ligne de front qui serait éventuellement gelée entre les deux belligérants. Ainsi faut-il lire l’entretien donné par AF Rasmussen, ancien secrétaire général de l’Otan à Die Welt, reproduit dans le Figaro (ici). Ces garanties de sécurité tournent autour de quatre tâches : « fournir à Kiev toutes les armes nécessaires à l’établissement d’une armée forte, mettre en place un échange régulier de renseignements former l’armée ukrainienne sur le sol ukrainien, tout en contribuant au développement d’une industrie de défense ukrainienne ». « Un groupe d’États, sous la direction des États-Unis, de l’Allemagne, de la France, du Royaume-Uni et de la Pologne », s’y engagerait. Ces garanties de sécurité devraient s’appliquer dès maintenant, sans attendre la fin de la guerre, pour montrer à Poutine que les Occidentaux ne se lasseront pas, comme il l’espère. M. Rasmussen reste très vague sur ce qui se passerait en cas d’attaque russe mais pour lui, cette « ambiguïté stratégique » est une bonne chose. Enfin, ces garanties dureraient « jusqu’à ce que l’Ukraine devienne membre à part entière de l’OTAN. Il convient dès à présent de les établir pour au moins cinq ans ». On comprend que l’adhésion n’est réalistement pas probable avant.

Il reste que ce plan n’est qu’un plan, rendu public pour peser sur les débats. Il est intéressant pour donner une idée des termes de la négociation actuelle car pour l’instant, il y a déjà négociation : elle se déroule entre Alliés et Ukrainiens avec pour objectif de produire une déclaration politique significative à Vilnius dans dix jours.

Le deuxième cycle de négociations, celui avec les Russes, n’interviendra que plus tard. S’il intervient.

Bonne semaine.

OK

One thought on “Bilan hebdomadaire n° 67 du 2 juillet 2023 (guerre d’Ukraine)

  1. Le plan de paix de Kiev est une totale vue de l’esprit. La Russie a appris avec les accords de Minsk 1 et 2 qu’elle ne pouvait pas faire confiance en Kiev ni ses alliés occidentaux. A mon avis la Russie ne cédera aucun pouce de territoires conquis. Kiev doit se faire une raison avant que le pire n’arrive : une éventuelle conquête de territoires supplémentaires en raison d’un rapfor et rapfeu totalement favorables. Les stocks d’armements occidentaux sont vides, les munitions des FAU s’épuisent. Idem pour les US.

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