Situation encore plus stable que la semaine dernière. Les choses importantes se passent ailleurs que sur le front.
Déroulé des opérations
Rien à signaler sur le front de Kherson, quasiment rien sur le front de Zaporijia (Robotyne toujours russe). Rien dans le secteur de Donetsk, les Ukrainiens poussent toujours au sud de Bakhmout vers Klichikivka qui reste russe. Poussée russe au nord de Svatove, rien vers Koupiansk.
Un tel bilan n’incite pas à produire un bilan hebdomadaire.
Analyse militaire
Plus que jamais, nous sommes dans une guerre de position. Pour la comprendre, nous avons régulièrement parlé depuis cet hiver de la notion de RAPFEU qui apparaît ces jours-ci sous la plume des spécialistes. Or, la chose intéressante cette semaine tient à ce retour à quelque chose de classique. Depuis le lancement de la contre-offensive ukrainienne en effet, nous avions surtout remarqué la conjugaison d’action 3D de contact avec non seulement l’artillerie mais aussi la multiplication des drones, des munitions rodeuses (dites téléopérées), des hélicos et des appuis aérien. Puis peu à peu les choses s’étaient calmées, avec moins de matériel détruit. Nous voici revenus aux caractéristiques générales de cette guerre : celle d’un affrontement d’artillerie.
Les pertes des deux camps semblent s’équilibrer, selon les observateurs. Il n’y a pas de prise de territoire conséquente qui puisse permettre une ouverture, comme les Ukrainiens l’avaient fait à Izioum en septembre dernier ou les Russes à Yakovlivka en décembre. Cela ne signifie pas que les défenses ne s’usent pas et l’on discerne, ici ou là, des fragilisations, par exemple russes. Mais cette guerre d’attrition n’est tendanciellement pas à l’avantage des Ukrainiens. Qu’ils y viennent n’est en soi pas bon signe, puisque l’on attendait de leur part la surprise ou la manœuvre, seuls moyens de compenser, sur le terrain, les positions russes défensives et leur avantage d’artillerie. Nous voici donc revenus à une guerre d’artilleurs où deux choses comptent : les tubes et les obus.
S’agissant des tubes, l’Ukraine a reçu tout ce qu’elle a pu de ses soutiens de l’Ouest, au prix d’un cauchemar logistique. Certains systèmes permettent des tirs de précision (HIMARS mais aussi Caesar), d’autres restent plus basiques. La plupart s’usent. Du côté russe, la masse initiale de canons demeure même si là aussi, l’usure et la contre-batterie ukrainienne doivent commencer à peser sur les systèmes. En revanche, la logistique russe est simplifiée (deux calibres principaux de 122 et de 152 mm).
Nous voici revenus à la question des obus. Or, si les Russes n’ont pas de problèmes de recomplètement (leurs usines de production d’obus fonctionnent), il n’en est pas de même pour les Ukrainiens. Ils ont ainsi des difficultés pour leurs pièces d’origine russe, en calibre 122 et 152, même si une usine en Bulgarie ne fabrique. Elle fait régulièrement l’objet d’attentats (probablement du GRU), le dernier ayant eu lieu fin juin. Les calibres occidentaux (155) sont plus difficiles à produire et ne suffisent clairement pas à la consommation ukrainienne, malgré les efforts européens pour accroître les capacités. Les munitions rares (Himars, GSLBD) sont très sophistiquées et leur nombre très limité.
Comment dès lors équilibrer le RAPFEU ? Cette notion, dont je vous parle régulièrement depuis décembre (billet n° 40) est en effet centrale. Or, en choisissant une guerre d’attrition, les Ukrainiens ont décidé de vouloir temporairement équilibrer le RAPFEU qui était à l’avantage des Russes. Ils ont pour cela utilisé les réserves d’obus qu’ils avaient lentement accumulées depuis l’automne dernier mais ils arrivent, au bout d’un mois de contre-offensive, aux limites de l’exercice. Ainsi s’explique probablement le ralentissement de leur pression sur l’ensemble du front.
C’est aussi la raison de la décision récente de Washington de fournir des obus à sous-munitions. Puisque les Américains n’arrivent plus à fournir des obus classiques, ils passent à autre chose même si cette munition est controversée. Précisons ici que ni les États-Unis, ni la Russie ni l’Ukraine non signé la convention d’Oslo de 2008 prônant leur interdiction. Les Russes en emploient déjà et les deux pays sont en guerre. Autrement dit, rien d’illégal ni même d’immoral à cette livraison, contrairement à ce qu’affirment certains qu’on n’attendait vraiment pas sur le terrain de l’éthique. En revanche, le silence voire l’approbation de certains pays (notamment européens) qui ont signé ladite convention d’Oslo est beaucoup plus gênant car il suggère un double-standard, accusation souvent portée contre l’Occident.
Analyse politique
Politiquement, nous sommes à la veille du sommet de Vilnius (11 et 12 juillet). Le président Zelesnky a fait une tournée européenne, notamment en Hongrie et en Turquie. Les Russes n’ont pas reconduit l’accord sur l’exportation de céréales à travers la mer Noire.
Enfin, on a appris que certains lobbyistes américains avaient rencontré Lavrov au cours du printemps pour sonder les autorités russes sur des paramètres de négociation (ici). « he and other former government officials met Foreign Minister Sergei Lavrov in April and discussed some of the most complicated aspects of the war including a diplomatic resolution and what to do about Russian-held territory that Ukraine may never be able to liberate ». Voir aussi ici.
L’affaire n’a pas fait beaucoup de bruit en France. Imagine-t-on si cela avait été des Français… Plus sérieusement, cela montre qu’il y a un débat aux États-Unis sur la façon de poursuivre le soutien à l’Ukraine. La question des garanties de sécurité en fait partie mais l’on voit bien qu’une partie des élites américaines, qui donne la priorité au défi chinois, estime qu’il faut restreindre l’appui à Kiev. D’où ces tentatives pour mettre au point un modus vivendi. Nous en saurons un peu plus à l’issue du sommet de Vilnius.
Bonne semaine.
OK
Bonjour monsieur Kempf. Merci pour cette analyse bien détaillée. Les bombes à sous munitions peuvent elles faire gagner l1 guerre?
Non, je ne crois pas.
S’il y a effectivement stabilité du front, ce n’est pas faute d’efforts de la part des Ukrainiens, surtout en prévision de la réunion de l’OTAN à Vilnius, on s’est activé furieusement entre deux pauses avec ou sans blindés et sans aucun résultat. D’autre part, les pertes ne sont absolument pas équilibrées et le massacre déraisonnable de la chair à canon ukrainienne extrême. Bref, l’échec complet d’un an d’annonces mirifiques quant aux exploits militaires ukrainiens à venir est maintenant visible.
Les rodomontades insensées des généraux et experts de plateaux TV (ce blog est remarquable de sobriété à cet égard) qui se sont déversées pendant des mois apparaissent comme ce qu’elles étaient depuis le début: injustifiables.
La réalité? Cette guerre hautement technologique utilise des moyens encore jamais vus qui rendent les attaques frontales de blindés inopérantes. Les bombardements de précision depuis les avions, hélicoptères, drones, missiles et artilleries diverses les rendent tout simplement impossibles. Quand en plus le terrain est miné, on observe ce qu’on voit: l’incapacité des blindes à ne serait-ce que rentrer dans leurs zones d’action: ils sont détruits avant de pouvoir être utilisés ! Rien n’y fait: après un mois d’échecs retentissants, les Ukrainiens pourtant avertis ont tenté à nouveau une attaque au même endroit cette semaine et avec le même résultat (Robotne).
Cela vaut aussi pour les Russes qui ont les pires difficultés à mener des offensives similaires, où ils sont confrontés aux mêmes réalités: détectés, ils se font détruire à distance. Ce qui explique, au grand dam des pro Russes véritables (je m’en exclus), l’absence de la grande offensive qui règlerait tout et qui serait tout simplement bien trop couteuse, voire en fait impossible.
Car c’est la volonté, constamment manifestée par les Russes d’économiser les vies de leurs soldats qui explique leur stratégie: l’attrition maximale et la recherche de l’épuisement de l’adversaire. La fameuse « agression » est le patient étouffement d’une victime piégée qui ne peut que se débattre furieusement tant qu’on l’encourage. Jusqu’à la fin inéluctable.
Emmanuel Macron a décidé de fournir des missiles Scalp à l’Ukraine. C’est une erreur majeure.