Alors que beaucoup parlent d’influence opérationnelle, nous sommes heureux d’accueillir ce texte d’un de nos chercheurs associés, Pascal Tran Huu, sur les « illustrations » des guerres en cours, notamment celle d’Ukraine. LV
Source : https://twitter.com/JulianRoepcke/status/1668214716034940929
On le sait, la guerre se fait dans tous les domaines dont celui de l’information. Pendant les guerres coloniales, le grand public était informé par le biais de correspondants de guerre qui décrivaient ce qu’ils voyaient dans la presse écrite : Articles illustrés par des photos. Certains faisaient des reportages audios diffusés en différé car la technique ne permettait pas d’assurer des « directs » depuis le lieu des combats. Les films étaient, pour la grande majorité, réalisés par les armées, l’ECPA pour la France. Avec la guerre du Vietnam, les journalistes avaient plus de facilités pour écrire, prendre des photos, tourner des images avec, toutefois un contrôle de l’autorité militaire.
C’est avec la première guerre du golfe que sont apparues les images en temps réel. On se souvient tous des images verdâtres nous montrant les attaques aériennes sur Bagdad voire des images des journalistes intégrés aux troupes. L’avènement de l’Internet et des caméras miniaturisées nous a fait entrer dans le quotidien du soldat en opération. Les films postés sur les réseaux sociaux pouvaient montrer des soldats échangeant des coups de feu avec un ennemi invisible ou patrouillant dans le désert malien.
Avec la guerre en Ukraine, on a franchi un pas supplémentaire avec l’arrivée des drones de la gamme commerciale. Le drone servant au combattant à reconnaître une zone, à guider un tir indirect voire à guider des combattants nettoyant une tranchée ennemie. Aucun détail n’est épargné à part les cris puisque les drones ne captent pas les sons. Les « footage » (Vidéos, images filmées brutes qui n’ont pas encore été éditées, montées) tournés en caméra subjective, ajoutent le son à l’image.
Désormais, Russes et Ukrainiens diffusent, sur les réseaux sociaux, des films montés à partir de « footage ». Des films explicites racontant une histoire.
Ainsi, les Russes ont diffusé une vidéo, prise depuis un drone, montrant l’équipage d’un Bradley (véhicule blindé de combat de l’infanterie) ukrainien empêtré dans un champ de mines. Le Bradley faisait parti d’une section de 3 engins qui ont été pris pour cible par l’armée russe. Deux blindés ont été détruits et la troisième tente de récupérer des soldats blessés qui, manifestement, ne peuvent pas se mouvoir même en rampant. L’engin est stationné à moins de dix mètres des blessés. L’un des valides, resté avec eux, s’approche de l’engin et saute sur une mine. Grièvement blessé, le soldat se fait un garrot à la jambe. Un homme saute alors du VBCI pour aller chercher les blessés mais, hélas, saute sur une mine et perd sa jambe. Il se fait un garrot et se traîne jusqu’au blindé pour rembarquer. Le film se termine par l’arrivée d’obus sur la position.
Les Ukrainiens, eux, ont diffusé une vidéo dans laquelle une unité d’infanterie nettoie une tranchée. La vidéo alterne les vues d’un drone et la vue prise par une caméra de casque. Afin que le spectateur comprenne bien la vidéo, des drapeaux russes et ukrainiens ont été placés en incrustation sur chaque soldat. Comme pour la vidéo du Bradley, rien n’est épargné au spectateur qui assiste au nettoyage de la tranchée à la grenade et au fusil d’assaut. Les soldats russes qui veulent se rendre doivent se déshabiller pour montrer qu’ils n’ont pas d’armes cachées puis emmenés à une vingtaine de mètres pour y être interrogés.
Dans une autre vidéo, tourné au même endroit semble-t-il, un opérateur drone guide un binôme nettoyant la tranchée. Il signale la présence d’ennemi et leurs gestes. Ainsi, il avertit qu’un soldat russe vient de dégoupiller une grenade afin de permettre au binôme de se mettre à l’abri. Puis il donne le top pour qu’ils puissent se mettre en position de tir et tuer le Russe.
Ukrainiens et Russes se rejoignent lorsqu’il s’agit de filmer des soldats morts en couplant le visage, ou ce qu’il en reste, avec les papiers d’identité afin de « donner des nouvelles » de tel ou tel…
En quelques décennies, nous sommes passé du récit un peu irréel à des images crues, mais montées, de la guerre qui elle n’a pas beaucoup changé ; d’une diffusion partielle à une diffusion tous azimuts sans filtres autres que ceux que se donnent le spectateur ou, lorsque les films sont repris par la presse internationale, un floutage préservant la dignité humaine…
Souvenez-vous du film « Projet Blair Witch» qui raconte l’histoire de trois étudiants en cinéma, Heather, Mike et Josh qui veulent produire un documentaire sur la légendaire sorcière de Blair. Le film est tourné « à la première personne » c’est-à-dire comme si le spectateur est l’un des protagonistes de l’histoire.
Le budget du film était de 60.000 $. Il en a rapporté près de 249 millions…
L’avenir sera-t-il à ces films à petit budget mais qui pourront rapporter gros, en termes d’image, de communication. Le « footage » d’un groupe de soldats ennemis exécutant des « gentils » sera-t-il le reflet de la réalité ou une mise en scène habile, d’autant plus que l’intelligence artificielle est capable de trucages quasiment indécelables ?
En définitive, la guerre, y compris informationnelle ne change guère. Du temps des guerres coloniales, on pouvait douter des récits des journalistes, surtout s’ils vont à l’encontre de ce à quoi on croit ; avec l’image, on pouvait penser que le mensonge n’existait plus or les trucages de photos pour, par exemple, effacer un dirigeant tombé en disgrâce, sont légion. Quant aux vidéos…
C’est horrible me direz-vous ? Non c’est la guerre.
Pascal Tran Huu
On peut faire trois remarques. D’abord que le voyeurisme quand il concerne les morts effectives de soldats en opération est une forme de pornographie peu ragoutante, surtout quand elle est quasiment fabriquée pour illustrer les souffrances de l’ennemi exclusivement… Ensuite que ces vidéos ne signifient rien, sauf bien sûr pour leurs consommateurs compulsifs qui en tirent plaisir, mais aussi preuve de leur victoire. Dégueulasse et imbécile.
Au final, les arguments en faveur du camp ukrainien que l’on tire de ces vidéos, je pense au spécialiste Xavier Tytelman qui les utilise pour justifier les contre vérités qu’il délivre sans vergogne, ont surtout une conséquence: attirer des désinformés abrutis dans le camp des perdants et donc maintenir et causer des souffrances inutiles inouïes.
Il faut exiger l’arrêt immédiat de toute fourniture d’armes et de munitions aux Ukrainiens envoyés pour rien se faire tuer dans une boucherie ignoble !