Malgré quelques succès indirects ukrainiens, la reprise de la poussée russe aboutit à certains résultats. Zaloujny a été remplacé, Poutine a donné un interview très suivi.

SOurce : Poulet volant (ici)

Déroulé des opérations militaires

Les Russes semblent avoir cessé leurs frappes de missiles dans la profondeur. Les Ukrainiens en revanche continuent leurs actions, moins massives mais très ciblées, avec des résultats réels, nous y reviendrons.

Front de Kherson. Sans changement.

Front sud : Sans changement.

Front de Donetsk. Quelques poussées russes vers Novomykhailivka et Marinka avec des gains encore marginaux (même s’ils sont entrés dans Heorhivka). A Avdivka, la situation évolue rapidement. Les Russes n’ont pas encore pris le môle défensif du Zenith au sud malgré une poussée depuis Opytne pour le prendre à revers. A l’est, quasiment toutes les positions ukrainiennes à l’est de la route H20 ont été prises. Mais c’est au nord-est de la ville que les choses bougent le plus vite. Les Ukrainiens ont en effet cédé leurs positions à hauteur des étangs (ouest de Kamianka). Ils ont dû se replier au sud de l’ancienne carrière de sable (noyée et devenue un étang). Les Russes ont progressé ensuite jusqu’à la voie ferrée et leurs éléments de reconnaissance l’auraient dépassée, à hauteur du pont de chemin de fer.

Autrement dit, toute la partie urbaine résidentielle d’Avdivka, au sud, risque de se trouver coupée de ses approvisionnements. Il semble que les Ukrainiens n’aient d’autre choix que de replier leurs unités au sud de la ville (entre voie ferrée et H20 d’une part, au Zenith d’autre part) pour tenter de tenir d’abord une première ligne d’arrêt à hauteur de la voie ferrée puis autour d’un nouveau môle défensif, organisée autour de la cokerie et des immeubles hauts qui l’environnent.

Un peu plus au nord, quelques combats à hauteur de Niou-York, les Ukrainiens menant des actions offensives dans ce secteur pour tenter de divertir l’effort russe.

Front de Bakhmout : Peu de modifications : toujours des accrochages à hauteur de Klichivka. Les Russes sont aux lisières d’Ivanivske et de Bogdanivka.

Front de Svatove/Koupiansk. Les Russes ont poussé à hauteur de Torske et de la Zerebets. Ils sont à deux kilomètres de Torske et Yampolivka. Les Ukrainiens ont donc une rocade sous le feu de l’ennemi. Ils devraient abandonner prochainement leurs positions en avant de la Zerebets.

Un peu au nord, Kotliarivka (au sud de Yahidne) demeure ukrainienne.

Analyse militaire

La fin de la pause se voit sur le terrain, avec une progression russe à Avdivka et dans une moindre mesure à l’ouest de Kreminna. Avdivka devrait tomber dans les semaines à venir. La situation y est plus difficile pour les Ukrainiens car les conditions de terrain sont moins favorables qu’à Bakhmout, où la ville dans un thalweg s’appuyait sur des positions hautes. Ici, l’arrière de la position est un terrain plat et dégagé, plus difficile à aménager et avec des lignes logistiques plus compliquées à maintenir. Le sud de la ville pourrait passer rapidement aux mains des Russes mais les Ukrainiens devraient s’accrocher à la cokerie et au quartier Kvartal. Cependant, elle constitue un complexe mois facile à valoriser qu’Azovstal à Marioupol.

Il reste un gros mois d’ici les élections présidentielles en Russie. Si un succès sur le terrain servira évidemment V. Poutine, la chute de la ville ne constitue pas un objectif indispensable à sa réélection. Pour les Ukrainiens, la résistance à Avdivka au cours des quatre mois a permis tout d’abord de gagner du temps, mais aussi de construire une ligne défensive en arrière. Celle-ci a probablement une conception légèrement différente de la ligne Surovikine : si bien sûr on a étagé des lignes de tranchées, de mines et de dents de dragon, la priorité a probablement été donnée à l’installation de môles défensif autour des principales villes de l’oblast de Donetsk. Autrement dit, malgré les avancées légères des Russes, les Ukrainiens ont globalement tenu et ont réarticulé leur dispositif, sans effondrement.

On sent malgré tout un effritement de la capacité de résistance ukrainienne. Beaucoup pointent le rapport de feu (RAPFEU) en munitions d’artillerie, amplement documenté depuis quelques semaines. Il semble qu’il a augmenté en faveur des Russes à un taux d’environ 8 pour 1 voire plus. Pour autant, les Ukrainiens répliquent non pas avec de l’artillerie mais par l’usage massif de drones. Ici, remarquons le rôle massif des industriels français dans la coopération industrielle avec Kiev, fait ignoré des grands médias et qui pourtant apporte une aide sensible sur le terrain et parfaitement reconnue par Kiev. Ça ne fait pas de bruit mais c’est efficace, n’en déplaise aux classements d’instituts qui ne considèrent que les promesses et ne vont pas voir leur réalisation sur le terrain.

En effet, même si les Russes ont beaucoup de drones également ainsi qu’une guerre électronique robuste, les Ukrainiens compensent leur RAPFEU défavorable par un usage de drones, d’autant plus efficaces que les tactiques russes en combat blindé-mécanisé n’ont pas toujours évolué (à la queue-leu-leu dans des espaces découverts) et entraînent des pertes certaines. Les drones sont en revanche moins efficaces contre des unités légères, rapides et mobiles, qui aujourd’hui sont employées par les Russes à Avdivka. De même, la météo joue un rôle et les drones volent moins quand le plafond est bas.

Cependant, les Ukrainiens conduisent une manœuvre opérative intéressante et de longue haleine. Chacun a constaté qu’ils ont repoussé la flotte russe hors de la Crimée même si elle est probablement moins diminuée que beaucoup l’imaginent, si j’en crois le relevé de Red Samovar : https://twitter.com/Strike_Flanker/status/1755278577249980526). Outre le croiseur Moskva, on compte la destruction d’une corvette et d’au-moins un navire amphibie, peut-être deux. Mais la manœuvre d’interdiction a fonctionné et les bateaux russes ne s’aventurent plus trop dans la partie occidentale de la mer Noire, chassés par les satellites et avions radars de l’Occident, joints à des drones navals de longue portée. De même, la défense sol-air russe dans la péninsule semble fortement diminuée, ce qui aurait entraîné l’engagement du A-50, avion de guet aérien abattu le 6 février. Tout ceci permet à l’Ukraine de frapper dans la profondeur, y compris sur le territoire russe, visant cette fois des dépôts de carburant ou des usines d’armes. Le résultat est quand même que la Crimée n’est plus un territoire militairement utile pour les Russes.

Tout ceci n’est pas très visible, moins que la prise de deux hectares dans un faubourg du Donbass, mais cela marque des points. Insuffisamment pour gagner la guerre, assez pour constituer un succès opératif conséquent. En termes stratégiques, il faut apprécier cette « manœuvre indirecte » qui a quelques résultats, même si elle pèse peu sur le cours des combats.

Avdivka devrait donc tomber dans les semaines à venir. Si la position sur le terrain est importante pour les Russes dans la mesure où cela permet de dégager complètement Donetsk, qui restait à portée de tir ukrainien, cela aura à court terme peu de conséquences sur l’ensemble du front. Les Russes pourront alors poursuivre avec deux efforts probables : l’un au sud, de façon à prendre Vouhledar et rectifier à leur profit le front dans ce secteur ; l’autre au nord, tout d’abord à hauteur de Kremina puis de Siversk, afin de réduire ce saillant ukrainien dans leur dispositif. Enfin, la rive gauche de l’Oskil constitue un objectif permanent sur lequel les Russes continueront d’appuyer.

Le lecteur le constate : il ne s’agit que de maigres objectifs et non d’une grande offensive qui emporterait tout, ce dont les Russes ne paraissent pas capables. Pour le moment, ils ne jouent qu’à gagne-petit.

Analyse politique

Pas mal d’événements depuis quinze jours. Tout d’abord, les Européens ont voté les 50 milliards d’euros d’aide à l’Ukraine, C’est évidemment une excellente nouvelle pour Kiev qui manque de liquidités. Cela traduit surtout la prise de conscience par les Européens que les Américains ne pourront pas poursuivre leur aide : le compromis bipartisan obtenu par Biden au Sénat ne passera pas la Chambre des Représentants. Les manœuvres politiques en année électorale jouent à plein. Trump annonce clairement qu’il abandonnera l’Ukraine. Le soutien occidental repose désormais sur les seules épaules européennes, ce qui explique la fébrilité manifestée par les dirigeants et leaders d’opinion de ce côté-ci de l’Atlantique.

L’Ukraine a espéré un moment qu’une fois l’attention sur la guerre de Gaza retombée, elle pourrait profiter à nouveau de l’intérêt du soutien occidental : malheureusement, peu à peu cette attention s’effrite.

Dans ces conditions, l’entretien accordé par Poutine au journaliste américain Carlson est significatif : non pas tellement au fond mais sur la forme : premier interview accordé, possibilité de s’adresser directement au public occidental, ouverture affichée à la possibilité de négociations. Le moment est choisi non seulement sur la scène extérieure mais aussi sur la scène intérieure. Constatons qu’il a été massivement regardé (150 millions de vues).

C’est le moment choisi par V. Zelesnky pour changer de CEMA et remplacer Zaloujny par le général Syrsky, ex CEMAT et seul candidat sérieux. Ce renvoi était inéluctable pour deux raisons : il y avait une divergence publique d’appréciation sur le cours de la guerre et Zaloujny envisageait de se lancer en politique. Il reste que la vie politique ukrainienne reste agitée et que les mouvements ne sont pas finis.

Syrsky devra probablement tenter quelque chose pour sauver Avidvka. On parle ainsi d’attaquer le saillant russe au nord de la ville. Le seul enjeu désormais consiste à savoir combine les Ukrainiens sont prêts à sacrifier pour Avdivka. Mais surtout, Syrksy va devoir conduite la mobilisation afin e regarnir les lignes. Telle est sa mission à court terme.

OK