Bilan hebdomadaire n° 88 du 12 mai 2024 (guerre d’Ukraine)

Si la Russie a poursuivi son grignotage, elle a surtout déclenché un mouvement, au nord de Kharkiv, dont la signification reste encore à apprécier.

SOurce : Poulet volant (ici)

Déroulé des opérations militaires

Front sud : Stabilité vers Robotyne. Combats aux lisières d’Urozhaine et désormais de Staromaiorske, abordé par les hauteurs à l’ouest.

Front de Donetsk : Pas de changement dans la zone de Marinka, toujours des combats aux lisières de Heorhivka. Dans Krasnohorivka, outre la pression au sud (zone industrielle), les Russes auraient pris la zone à l’est du bourg, forçant les Ukrainiens à se retirer lentement vers le centre. Plus au nord, poussée contre Netailove tandis que les Ukrainiens se réarticulent à Nevelske pour ne pas se laisser déborder.

Pas trop de changements dans le secteur d’Avdivka, qui a vu les Russes pousser légèrement sur l’ensemble de la zone sans progrès notable.

Front de Bakhmout : A Chasiv Yar, ils se seraient établis le long du canal enterré, à hauteur d’Ivanivske.

Dans le secteur de Siversk, progression au sud (en avant de Vesele)

Front de Svatove/Koupiansk. Rien de bien notable à signaler.

Front de Kharkiv : Dans la nuit du 10 mai, les Russes déclenchent des hostilités au nord de Kharkiv, le long de la frontière qui passe au sud de Belgorod. Cette manœuvre n’a pas été préparée par beaucoup d’artillerie et on signale surtout des fantassins et quelques BMP, mais pas de masse blindée mécanisée. Deux secteurs sont actifs (pour l’instant, car il y a des rumeurs de préparation plus à l’ouest, vers Soumy).

Le premier, à l’ouest, entre le lac de Travyanske et le village de Zelene. Ce front, d’une largeur de 20 km environ, situé au nord-nord-est de Kharkiv, a vu les Russes prendre quelques villages : Strilecha, Krasne, Pylna, Borysivka, Zelene. Les combats se déroulent à hauteur de Hlyboke, un peu au -dessus de Lyptsi, point-clef de la zone. Le terrain pris est de 53 km² (carte de Poulet volant ici).

Le second, un peu plus à l’est, à hauteur de la rivière Donets. Le front est large de 15 km, les Russes ont pris là aussi quelques villages : Ohirtseve, Plenetivka, Hatysche. Les combats se dérouleraient à hauteur de la bourgade de Voltchansk, un peu plus au sud. La zone prise est de 35 km²

Analyse militaire

Si l’on prend les décomptes de Poulet volant, les Russes ont pris cette semaine 123 km². Mais il faut regarder en détail. 80 km² sont dus à l’offensive de Kharkiv, nous y reviendrons. Mais notre cartographe préféré a procédé à quelques ajustements pour 9,68 km² (terrains conquis ces dernières semaines et non comptabilisés). Hors Kharkiv, le gain net des Russes cette semaine est donc de 33 km², ce qui montre qu’ils poursuivent leur effort général, notamment au large de Donetsk.

La semaine dernière, nous nous interrogions sur les possibilités russes à partir du saillant d’Orechetyne. Ils ont imaginé une quatrième variante, celle d’une attaque dans un secteur tout à fait nouveau. Dès lors, qu’est-ce que cela signifie ?

La poussée vers Kharkiv était annoncée par les Ukrainiens depuis plusieurs semaines. Elle a fini par se réaliser, même si, deux jours après son déclenchement, il est encore bien trop tôt pour évaluer sa signification.

Constatons que les progrès russes, avec de la reconnaissance offensive assez légère, témoignent d’une faible résistance initiale. Les Ukrainiens n’ont donc pas organisé de « défense de l’avant ». Cela peut s’expliquer par la volonté de ne pas consommer trop de forces dans des saillants malaisés à défendre. Si l’on observe les cartes de fortifications dressées par Clément Molin (ici), on s’aperçoit qu’à l’ouest, la ligne avancée se trouve à hauteur de Lyptsi. A l’est, elle se trouve bien au sud de Voltchansk. Il n’est donc pas forcément surprenant que les Ruses aient pris autant de terrain en 36 heures. C’est au fond maintenant que l’on va observer les intentions et capacités des uns ou des autres. Autrement dit, ces 80 km² ne sont pas forcément significatifs.

Pour les Ukrainiens, la question cruciale va être de savoir comment résister : où et surtout avec quelles forces ? Faut-il engager des troupes situées ailleurs ? où les prendre ? où choisir de s’affaiblir alors que la situation sur le reste du front n’est pas fameuse ?

Pour les Russes, plusieurs options existent.

  • H1 : poursuivre la progression en avant de la frontière de façon à constituer une zone tampon et éviter les incursions ukrainiennes dans le canton de Belgorod. En effet, l’an dernier et il y a encore deux mois, les Ukrainiens avaient engagé des troupes dans la zone, pour affirmer que le combat se déroulait aussi en terrain russe. Cette option est l’option minimale. Elle est possible au vu du faible volume de troupes engagées.
  • H2 : Poursuivre plus avant en direction de Kharkiv, pour forcer les Ukrainiens à mobiliser leurs réserves dans la zone. Il ne s’agit pas de prendre la ville, mais d’écarteler encore plus le dispositif ukrainien. A noter que pour l’instant, on dénombre seulement le volume de deux brigades russes en arrière immédiat de la zone : pas assez pour assiéger Kharkiv.
  • H3 : Tout en maintenant une pression sur Kharkiv pour fixer les Ukrainiens, faire effort au sud-est, le long de la rive orientale de la Donets, afin de prendre Koupiansk à revers. Cela signifie une progression de 100 km, mais avec la possibilité d’engager d’autres troupes depuis l’Est. 100 km demeure toutefois un objectif très ambitieux, au vu des caractéristiques peu manœuvrières du conflit depuis deux ans et demi. Cependant il n’y aurait qu’une ligne sérieusement fortifiée entre Voltchansk et Koupiansk : si elle est franchie, il n’y a plus de résistance. Mais les Russes sont-ils capables de conduire un mouvement offensif aussi prononcé, dans les circonstances actuelles de transparence du champ de bataille ?
  • H4 : Elargir encore le front en avançant à l’ouest du secteur, par exemple dans la direction de Soumy.
  • Dans tous les cas, poursuivre l’effort sur les autres points sensibles, par ordre : Ocheretyne, Chasiv Yar, Marinka, Staromaioske.

S’agit-il de la « grande offensive » dont beaucoup parlent, peut-être animés par une « vision occidentale de la guerre » qui aime la bataille et le mouvement ? Il est encore trop tôt pour le dire. Rien ne dit surtout que cela soit conforme à la doctrine russe et surtout à son bagage tactique actuel. Observons néanmoins que les forces russes ont pris environ 270 km² en six semaines et qu’on ne voit pas le tempo ralentir.

Analyse politique

Pas grand-chose à dire cette semaine. Le silence est là.

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