Bilan n° 91 du 15 juillet 2024 (guerre d’Ukraine)

Les Russes poursuivent leur grignotage qui commence à faire du bilan territorial, malgré les pertes. Le sommet de l’Otan a dit des choses polies pour l’Ukraine : rien cependant qui change la donne, ni militaire, ni politique. L’Ukraine est oubliée.

Déroulé des opérations militaires

Front sud : Stabilité vers Robotyne. Après Staromaiorske, Urozhaine (autre conquête ukrainienne de 2023) a été reprise par les Russes. Il ne reste quasiment plus rien des prises ukrainiennes de l’été dernier.

Front de Donetsk : Entre Marinka et Vouhledar, les Russes ont progressé en direction de la route 05-24 qui demeure sous contrôle ukrainien. Kostantynivka est menacé.

A Krasnohorivka, les Ukrainiens ont cédé du terrain et ne tiennent plus que quelques pâtés de maison au nord, Nevelske est menacé.

Dans le secteur d’Avdivka, les Russes ont progressé sur l’ensemble du front, touché à l’étang au centre et abordé Novoselivka Persha, pris Sokil et Yevhenivka et avancé aux lisières ouest de Novooleksandrivka pour presser le village de Vozdvyzhenka, dernier obstacle bâti avant, 5 km derrière, la route H 32 qui relie Pokrovsk à Kostiantynivka, deux forteresses ukrainiennes du Donbass.

Un peu plus au nord, le 21 juin les Russes ont percé à Shumy, un peu à l’est de Toretsk puis le 28 juin, un peu plus au sud, à hauteur de Pivnichne. Le 2 juillet, ils percent à Yurivka et abordent Niu-York par le sud. Ils consolident au cours de la quinzaine suivante les positions gagnées.

Front de Bakhmout : A Chasiv Yar, le micro-district à l’est du canal a été conquis le 2 juillet. Dans le secteur de Siversk, poursuite de l’effort russe : Rozdoiivka a été lentement prise par les Russes.

Front de Svatove/Koupiansk. Au sud, dans le secteur de Kreminna, les Russes ont avancé dans le segment septentrional, entrant dans Makivka le 1er juillet. Au centre, les Russes percent à hauteur de Pischane (au nord de la source de la Zherebets). Au nord, quelques grignotages russes sur la ligne LymanPershy jusque Orlianka.

Front de Kharkiv : Front stabilisé. Les Russes ont ouvert une micro-incursion à l’ouest (Sotnytsi Kozachok), sans autre envie que de bloquer une brigade ukrainienne. Dans le secteur de Lyptsi, les approches de la bourgade ont été dégagés par Kiev, les Ukrainiens réussissant même à remonter le long de Hlyboke. A Voltchansk, les Russes tiennent quelques positions au nord de la ville, les Ukrainiens reprenant quelques sites au nord de la rivière sans prendre nettement l’avantage. Situation toujours confuse.

Analyse militaire

Les Russes ont pris 26 km² il y a quatre semaines, 34,5 km² la semaine qui a suivi, 55 km² la semaine dernière, 30 km² cette semaine. La moyenne hebdomadaire de gains a progressé à environ 35 km², soit 5 km² quotidien, soit plus que les 3,5 km² de la période précédente.

La manœuvre de diversion russe au nord de Kharkiv a fonctionné : les Ukrainiens ont été obligés de rameuter quelques brigades pour défendre la ville. Ils s’obstinent à reprendre Vovchansk qui constitue un point de fixation idéal pour les Russes. Ceux-ci ont profité pour insister sur leur axe prioritaire, à l’ouest d’Avdivka. La radiale ukrainienne du Donetsk entre Pokrovsk et Kostiantynivka et désormais à portée. Kostiantynivka est le point fort qui tient toute la ceinture du Donbass, en arrière de Chasiv Yar et en avant de Kramatorsk. Simultanément, les Russes ont percé à l’est d’Horlivka, menaçant directement Toretsk. Ils font également effort au nord de Bakhmout vers le saillant de Siversk, et au sud vers l’autre Kostantynivka, verrou arrière de Vouhledar. Enfin, ils ne négligent pas le nord du Donbass entre Koupiansk et Kreminna, grignotant quelques positions et fixant un certain nombre d’unités ukrainiennes.

Cet effort russe se fait au prix de pertes importantes. Les assauts russes se font d’abord par préparation d’artillerie. Le RAPFEU a décru de 10 pour 1 à 6 ou 7 pour 1. Si la crise des munitions est moins aiguë du côté ukrainien, elle demeure prégnante. Par ailleurs, les tubes s’usent de part et d’autre et la précision s’en ressent. Quant aux drones, même s’ils sont visuellement très importants au point que les images donnent l’impression de leur suprématie, ils ne provoquent qu’une part minoritaire (15 à 20 %) des pertes. L’essentiel se fait encore par feu indirects (artillerie, appui air-sol) ou directs (armes légères d’infanterie, armes antichar de proximité, armes de bord de véhicules blindés). Les Russes font cependant usage croissant des FAB, ces lourdes bombes planantes (500, 1500 voire 3000 kg) qui provoquent des dégâts énormes.

Une fois cette préparation effectuée, les Russes envoient une infanterie, souvent peu équipée. Les matériels roulants qui les accompagnent sont de plus en plus légers ou vieux. Il s’ensuit un RAPPERT humain important, même si je reste circonspect devant le ratio de quatre pour un avancé par certains. En tout état de cause, il est sûr que les Russes perdent plus d’hommes en avançant.

D’un autre côté, on sent que les brigades ukrainiennes sont à l’étiage. Les renforts humains sont rares et peu formés. De nombreux succès récents des Russes sont dus à l’exploitation de relèves sectorielles mal effectuées et mal coordonnées, avec à chaque fois des unités peu aguerries qui se font surprendre.

Dès lors, l’équation est simple. Depuis fin février, la Russie à conquis 671 km². C’est ridicule par rapport aux 10.803 km² qui lui restent à reprendre pour le seul oblast de Donetsk (sans même parler des oblasts de Lugansk, Zaporijia et Kherson). La progression kilométrique est donc relative. Pourtant, elle est constante depuis octobre dernier. Surtout, elle semble lentement s’accroître, passant de 2 km² quotidien à l’automne dernier à plus de 5 sur le mois couvert par cette analyse. Cela montre que l’usure ukrainienne est réelle.

Beaucoup d’analystes, à l’ouest ou peut-être à Kiev, semblent calculer que céder 30 à 50 km² par semaine au prix de l’usure du dispositif russe vaut le coût. Le lecteur connaît mon pessimisme méthodique : je n’en suis pas si sûr. L’initiative est russe depuis six mois et à aucun moment, les Ukrainiens n’ont réussi à la reprendre, même localement. Systématiquement, Kiev est obligé de boucher les trous qui se révèlent et dont la fréquence s’accélère. Surtout, rien à l’horizon ne semble annoncer une inversion de tendance : ni les armes, ni les munitions, ni les hommes ne sont annoncés pour bientôt, ni même après. L’initiative tchèque a permis de trouver quelques obus mais en nombre très réduit. Les F16 sont comme l’arlésienne et se font attendre. Les troupes paraissent fatiguées.

Pour autant, les Russes montrent eux aussi des signes de faiblesse. Malgré tout, ils ont mobilisé leur industrie et leurs alliés pour avoir des munitions et des matériels, peut-être en nombre insuffisant, néanmoins conséquent et à date prévue. Leurs pertes humaines sont élevées mais leur font comparativement moins mal que les pertes ukrainiennes compte-tenu du différentiel démographique. Enfin, rien ne monte la capacité russe à exploiter une rupture localisée du dispositif ukrainien : je l’ai dit à de nombreuses reprises, les qualités manœuvrières russes me laissent pour le moins dubitatif.

D’un mot : l’usure profite aujourd’hui à la Russie. La stabilisation apparente cache mal un effritement ukrainien.

Analyse politique

Au niveau politique, la guerre d’Ukraine a totalement disparu des radars. Les élections européennes ont montré une Europe politique éclatée. Les élections législatives française et britannique ont capté l’attention des deux pays, l’euro de football celle de l’Allemagne. Seul le sommet de l’Alliance atlantique a, brièvement et marginalement, ramené l’Ukraine dans l’actualité : le sommet de Washington posait la question ukrainienne. Les uns espéraient un chemin (rapide) vers l’adhésion (Pologne, France Royaume-Uni), d’autres (États-Unis, Allemagne) ne souhaitaient qu’un pont (lent). Sans surprise, la perspective de l’adhésion est repoussée à plus tard même si, promis-juré-craché, l’Ukraine rejoindra l’Alliance…. un jour. On a annoncé quelques mesures (flux de 40 milliards de dollars, instance de coordination des dons de matériel, etc…) : rien de vraiment convaincant. Les dirigeants de l’Alliance étaient bien plus préoccupés par les élections américaines, les absences de J. Biden (confondant les noms de Poutine et de Zelensky), la menace de Trump.

Disons les choses simplement : l’Ukraine est oubliée aussi bien des peuples que des dirigeants.

Bonne semaine.

OK

One thought on “Bilan n° 91 du 15 juillet 2024 (guerre d’Ukraine)

  1. On peut légitimement se trouver surpris par les allusions répétées ici aux pertes russes sans qu’on ne s’inquiète davantage des pertes ukrainiennes, tout aussi inconnues mais dont bien des rumeurs (corrélables à un rapport feu défavorable, sans parler des bombes planantes) disent qu’elles sont absolument énormes.
    De quoi renforcer l’impression d’amoralité foncière de tout espèce de soutien à l’immonde boucherie en plus maintenant oubliée, qui dure depuis deux ans avec une seule certitude: la victoire russe. Comment s’y préparer ? Que fera-t-on après ?

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